Coup d’Etat : les Mauritaniens sont-ils prêts à défendre leur démocratie ?

Article : Coup d’Etat : les Mauritaniens sont-ils prêts à défendre leur démocratie ?
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20 juillet 2016

Coup d’Etat : les Mauritaniens sont-ils prêts à défendre leur démocratie ?

AZIZ ERDOGAN

Dans la nuit de vendredi à samedi dernier, un groupe de soldats rebelles a tenté de s’emparer du pouvoir en Turquie. C’était sans compter avec le peuple turc, fidèle au président Erdogan mais surtout aux acquis de la démocratie dans leur pays. Ils ont pu empêcher le renversement anticonstitutionnel, contribuant grandement au rétablissement de l’ordre. Le président Mohamed Ould Abdel Aziz et la démocratie mauritanienne pourront-ils bénéficier des mêmes soutiens contre une éventuelle tentative de coup d’Etat ?

La tentative de coup d’Etat en Turquie n’aura duré que l’espace d’une soirée.  De fait, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, très populaire, laissé libre de ses mouvements, a réussi à exhorter ses partisans à s’insurger contre ce coup de force, par un appel à partir de son iPhone.

S’étant assuré la plupart des forces mobiles de l’armée, les insurgés militaires turcs avaient compté sans la volonté du peuple, lequel allait sortir en masse dans les rues pour soutenir l’ordre constitutionnel démocratique et le pouvoir présidentiel. Ainsi, au lieu de gagner en force au cours de la soirée, les conjurés se sont retrouvés face à une résistance populaire de plus en plus massive, qui fera plus de 300 morts dans les rangs des civils. Une telle situation peut-elle survenir en Mauritanie ?

En fait, au lendemain de la déroute des insurgés de l’armée turque dans leur tentative de prendre le pouvoir à Ankara, les observateurs mauritaniens ont tous eu une pensée pour la Mauritanie. La question posée était de savoir si le président Mohamed Ould Abdel Aziz et les acquis démocratiques de la Mauritanie allaient bénéficier de la même solidarité populaire que celle qui a été observée en Turquie ? Il faut dire que Ould Abdel Aziz et Erdogan ont des dispositions identiques et une conception semblable de ce qui fait la République islamique. Leur construction d’un pouvoir autoritaire étant la même, ils ont démontré par le passé que si les élections sont parfaitement comprises et grandement valorisées dans leur conception de la démocratie, ils n’en font pas grand cas. Pour autant, ce qui est valable pour Erdogan , qui compte de nombreux détracteurs, ne l’est pas forcément pour Ould Abdel Aziz, lequel n’avait pas bénéficié des mêmes égards que son homologue  alors que Nouakchott vivait une situation identique à celle d’Ankara vendredi dernier.

Tout le monde se rappelle que dans la soirée du 22 décembre 2012, alors qu’il se trouvait en convalescence  en France suite à une balle perdue qu’il avait reçue, le président Ould Abdel Aziz avait été suppléé dans ses fonctions par son camarade Ould Ghazouany, chef d’état major des forces armées. C’était du moins la nouvelle qui avait couru dans les rues de la capitale. Klaxons, feux d’artifice, mouvements de foule avaient accompagné cette information qui s’avéra par la suite fausse.

A l’époque, la rue à Nouakchott avait salué la rumeur du coup de force. Elle avait agi comme par le passé, en apportant d’emblée son soutien à ceux qui étaient sensés représenter le pouvoir du moment. En effet, depuis 1978, l’attitude des populations mauritaniennes a toujours été la même en cas de changement de régime : s’aligner du côté du plus fort dans un élan d’opportunisme devenu la marque déposée d’une certaine nomenklatura présente autour de tous les pouvoirs qui se sont succédé jusque-là. Ce fut le cas lors du coup d’Etat contre Ould Haïdalla en 1984, puis lors du renversement de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya en 2005, et même lors du coup d’Etat avorté de 2003, celui des Cavaliers du changement. A chaque fois, les populations se sont d’emblée démarqués du pouvoir en place pour soutenir les insurgés, quels qu’ils soient.

Ce scénario pourrait-il se répéter aujourd’hui si un coup d’Etat militaire visait le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz ? Le peuple mauritanien serait-il prêt, dans toutes ses composantes, y compris dans son opposition la plus radicale, à défendre la légalité et les institutions constitutionnelles ? Nul ne le sait !

Ce qui semble être toutefois sûr, c’est que le président Mohamed Ould Abdel Aziz semble s’être forgé une popularité au sein d’une certaine frange, notamment la nouvelle classe de la bourgeoisie locale. Certains trouvent cependant que cette popularité s’est faite au détriment de la classe des anciens riches, qui continueraient à se sentir persécutés sous son régime. Ould Abdel Aziz s’est aussi attaché les services de l’armée nationale qu’il a remis sur les rails en réhabilitant le statut de ses officiers et en dotant ses unités opérationnelles d’une nouvelle force logistique.

Seulement, beaucoup pensent qu’il n’a pas fait que des heureux. S’autoproclamant président des pauvres à l’entame de son premier mandat en 2009,  il a fini par perdre la bataille sociale, celle de la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Mal lui en prendra d’ailleurs, puisqu’il finira par creuser le fossé entre riches et pauvres, avant de rendre «tout le monde pauvre » dans un pays qui regorge de richesses incommensurables. Il a été incapable, selon l’écrasante majorité des avis, à conduire le pays vers l’opulence et à juguler la crise économique dans laquelle la Mauritanie est plongée depuis sa prise de pouvoir en 2008. Sur le plan politique, les relations ne sont pas des meilleures entre les partis de l’opposition et lui. Sur le plan social, jamais le péril communautaire n’a été autant vivace avec les persécutions des militants d’IRA et des haratines, la mise à l’index des populations du fleuve et des leaders des Flams, la stigmatisation des forgerons et des classes serviles.

Ainsi, si d’aventure il connaissait la même situation que son homologue turc, le président Ould Abdel Aziz pourrait bien voir une partie de la rue venir à son soutien. Le reste des populations devrait attendre et regarder la situation se développer, pour réagir. La question qui se posera sera alors de savoir si ceux-là qui sortiront auront la même conviction, la même verve que les soutiens d’Erdogan. Et surtout, s’ils seront assez tenaces, assez engagés et assez courageux pour poursuivre leur combat jusqu’au bout.

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Commentaires

Diawara Cheikh
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Le peuple turc est entré dans l'Histoire. Il a prouvé aux autres peuples du monde que la détermination peut faire plier les armées. Autant alors se faire aimer du peuple afin de s'attendre à une rescousse.