Fin programmée de la presse indépendante en Mauritanie : Une victoire à la Pyrrhus

Article : Fin programmée de la presse indépendante en Mauritanie : Une victoire à la Pyrrhus
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15 août 2016

Fin programmée de la presse indépendante en Mauritanie : Une victoire à la Pyrrhus

JOURNAUX

A l’an 280 avant Jésus-Christ, le roi Pyrrhus 1er d’Epire affronta les Romains à la bataille d’Héraclee en Italie. Il remporta la victoire mais son armée essuya des pertes irremplaçables. L’expression «Victoire à la Pyrrhus » désigna depuis ce jour toute victoire obtenue au prix de terribles pertes pour le vainqueur. Le régime actuel a vaincu la presse indépendante par l’arme financière mais au prix d’une perte incalculable, sa démocratie, car «il ne peut y avoir de démocratie sans une presse libre et indépendante ».

La volonté du pouvoir actuel d’en finir avec la presse indépendante n’a cessé de se manifester depuis un certain 6 août 2008, lorsqu’il décida, unilatéralement et sans l’avis de personne, de régner sur le destin du peuple. Mais est-ce la presse indépendante seulement qui était dans le viseur, si l’on voit aujourd’hui la clochardisation générale qui n’épargne ni roturier ni manant ? Hormis les hommes du sérail, ces nouveaux riches brassant des fortunes tirées de la collectivité laborieuse, ces nouveaux banquiers, ces nouveaux hommes d’affaires, ces nouveaux promus qui pillent à la hussarde les valeurs cultivées, les préséances héritées et les vertus enracinées, qui d’autre ne se trouve pas aujourd’hui sur la paille ?
Sans recettes, pour cause de méventes cumulées, sans publicité, sans abonnements et sans dons, lorsqu’un beau jour l’Inspection générale d’Etat dans une confusion de rôle et de prérogatives en décida ainsi, de quelle autre source peut s’alimenter la presse indépendante ?
Aujourd’hui, il n’existe plus de quotidiens dans un pays qui en comptait pourtant 13 en 2008. La quasi-totalité a été décimée et les mourants ne peuvent plus se rappeler aux bons souvenirs de leurs lecteurs que par parutions fantomatiques, une fois par semaine pour les plus téméraires, ceux qui refusent encore de passer réellement l’arme à gauche, et pour les autres, parfois une fois par mois ou après deux à trois mois d’agonie. Combien de titres ont disparu ? Les cimetières de la presse indépendante ont reçu en ces années de vaches malingres beaucoup de confrères, morts les armes à la main avec des montagnes de dettes irrécouvrables léguées à la postérité. La presse papier est devenue une rare provision pour les ramasseurs de la CUN, pour les vendeurs de couscous qui n’en trouvent plus pour emballer leur produit, pour les salles de peintures pour véhicules, encore moins pour l’ancienne génération qui aimait tant recevoir ses journaux avec sa tasse de café le matin.
Les radios et les télévisions privées créées dans l’euphorie d’une libéralisation trompeuse de l’audiovisuel se sont hélas tardivement rendu-compte de la mésaventure dans laquelle elles s’étaient engagées. Combien de radios ont disparu, combien sont dans l’antichambre de la mort ? Combien de journalistes en Mauritanie connaissent aujourd’hui la couleur d’une paye mensuelle ? Dans toutes les rédactions du pays, ils cumulent au minimum cinq à six mois, voire une année de travail sans salaire. Les plus robustes, avec des financiers derrière eux, ont réduit les salaires de leurs journalistes au SMIG. A prendre ou à laisser. Vous n’y croyez pas ? Alors faites votre propre enquête.
Mais le pouvoir et ces thuriféraires, s’écrieront «mais il y a le fonds d’aide à la presse ? ». Comme toutes les politiques du pouvoir actuel, le fonds d’aide à la presse n’est qu’une politique de diversion, un humour noir, un sourire au coin, une méprisante aumône. Car que représente 250 millions d’ouguiyas pour 10 chaines de télévision et radios, une soixantaine de journaux, une centaine de sites électroniques, une trentaine d’organisations socioprofessionnelles ? Vous savez la bonne ? 60% de l’enveloppe des 250 millions d’UM vont à l’impression et autres frais. Calculez pour voir le magot à partager. Les plus chanceux ne reçoivent que de quoi tenir une à deux semaines. Puis, c’est la galère pendant une année. Sans aucune recette. Le pire, l’Imprimerie nationale fait de bonnes économies sur le dos de la presse en lui offrant un service d’une si mauvaise qualité que chaque journal édité est un deuil pour les rédactions tellement le produit offert arrache des larmes de rage.
Le journaliste Ely Abdallah, ancien directeur de la rédaction à l’Agence mauritanienne d’information (AMI) vient de publier un billet dans lequel il se demande «pourquoi nos radios arrêtent de diffuser ?» suite à l’arrêt des programmes de Radio Nouakchott après celui de Radio Mauritanides. Il s’est demandé si ces arrêts ne sont pas dus à la situation financière catastrophique de ces antennes ou aux taxes exorbitantes imposées par la Société de télédiffusion, véritable sangsue pour les médias audiovisuels. Il s’est demandé surtout pourquoi le silence de l’autorité de régulation, la HAPA, face à l’inapplication des textes qui régissent le fonctionnement d’un secteur de l’audiovisuel transformé de plus en plus en un énorme bazar où les acteurs peuvent ouvrir boutique ou fermer à leur guise, sans cahier de charges à respecter. Quel destin pour ces dizaines de journalistes qui travaillaient dans ces radios et quel sort pour ces milliers d’auditeurs qui n’ont plus accès à leurs émissions habituelles ? Quel statut enfin pour la radio service public, ni privatisé ni étatisé et qui continue à recevoir des subventions publiques illégalement ?

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