Mauritanie : après le genre, la santé de la reproduction rebute les parlementaires

Article : Mauritanie : après le genre, la santé de la reproduction rebute les parlementaires
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6 janvier 2017

Mauritanie : après le genre, la santé de la reproduction rebute les parlementaires

Décidément, les parlementaires mauritaniens sont réfractaires à tout ce qui touche à la féminité. Après avoir fustigé le projet de loi sur les violences basées sur le genre, renvoyant le gouvernement à ses copies, les députés et sénateurs viennent d’opposer la même réserve au projet de loi sur la santé de la reproduction. Pourtant, cette dernière loi est le fruit d’une longue lutte menée par la société civile mauritanienne. Il s’agit d’un des principaux axes de la stratégie nationale de la santé publique, dans le cadre de la lutte contre la mortalité maternelle et infanto-juvénile, dont la Mauritanie affiche les plus forts taux au monde !

cela fait longtemps que le gouvernement mauritanien fait de la résistance face au projet de loi sur la santé de la reproduction, en effet, le texte croupit depuis quelques années dans les obscurs tiroirs de la République. Adopté le 6 octobre 2016 en Conseil des ministres, le texte vient d’être soumis à l’approbation du Parlement mauritanien, suscitant déjà quelques hostilités.

Pour Toutou Mint Taleb Navé, député du parti islamiste, «l’année 2017 semble être celle des lois anti-islamiques ». Selon elle, le projet de loi sur la santé de la reproduction, tout comme la loi sur les violences basées sur le genre, comporte dans ses replis un message négatif à l’endroit de la société mauritanienne et ses valeurs. «Son adoption par le parlement ouvrira la voie à la dépravation des mœurs, tout comme la loi défendue par le ministre de la Justice sur le Genre » a-t-elle déclaré.

Elle a fustigé notamment les articles 7, 9 et 17 du projet de loi. «Ces articles sont dangereux ! » s’est-elle exclamée lors d’une rencontre avec un groupe de journalistes. «Leurs charges sont nocives pour nos valeurs, dans la mesure où ses articles comportent de façon claire des dispositions relatives à l’introduction de la sexualité dans les programmes d’enseignement, l’encouragement des jeunes à utiliser des condoms ainsi que des informations relatives aux méthodes contraceptives, sans compter l’exigence faite aux centres de santé de mettre les produits contraceptifs à la disposition des jeunes et des adolescents, levant ainsi le tabou sur cette question» a-t-elle martelé. Plus grave, ajoute-t-elle en substance, ce projet de loi autorise la publicité sur le planning familial, sur la contraception et ses produits. «Nous demandons le retrait du texte soumis au parlement et sa révision, afin de rendre ses dispositions conformes à notre religion et à nos valeurs » a-t-elle conclu.

«Que la loi soit rejetée par les hommes je peux comprendre, mais qu’elle le soit par les femmes, c’est là une ignorance flagrante, surtout si cela vient de femmes parlementaires » s’est insurgée Mana Mint Ahmed, activiste de la société civile.

Pour comprendre les divergences de vue par rapport au projet de loi sur la santé de la reproduction, et sur le plan strictement religieux, il suffit simplement de savoir que l’un de ses plus fervents défenseurs n’est autre que Hamden Ould Tah, président de l’Association des Ulémas de Mauritanie (qui regroupe tous les érudits du pays) et non moins président de l’ONG Stop Sida. Pour ce jurisconsulte qui jouit d’une grande renommée en Mauritanie, «tous les pays voisins disposent déjà d’une loi sur la santé reproductive, j’ose penser qu’avec ce texte, la Mauritanie franchira elle aussi et sous peu, le Rubicon». Cette déclaration a été faite en août 2016 lors d’un atelier de mise à niveau et d’appropriation du projet de loi sur la santé de la reproduction, que son ONG avait animé en présence de cadres du département de la santé, ceux du Programme National de la Santé de la Reproduction, de juristes, d’Ulémas, d’organisations de la société civile et des partenaires au développement.

Sur le plan institutionnel, le gouvernement mauritanien est déterminé à faire passer le projet de loi devant le parlement. En témoigne l’audience qui avait réuni le 30 août 2016, le ministre de la Santé, le Pr.Boubacar Kane, et la Représentante résidente de l’UNFPA en Mauritanie, Mme Cécile Compaoré Zoungrana. Lors de cette rencontre, il a été question de l’adoption de la loi sur la santé de la reproduction, l’application du décret relatif au suivi des décès maternels, la mise en route de la ligne budgétaire destinée à l’achat des produits de la santé de la reproduction, le repositionnement de la planification familiale, les conditions d’éligibilité à certains fonds thématiques ainsi que les dispositions et modalités pratiques de nature à booster le partenariat entre les deux parties.

Le ministre de la Santé a confirmé lors de cette rencontre l’adoption prochaine de la loi sur la santé de la reproduction, alors que la Représentante de l’UNFPA a promis d’explorer les possibilités que peut offrir l’Initiative H6 destinée à soutenir les efforts du gouvernement mauritanien pour la réduction drastique de la mortalité maternelle, néonatale et infantile. L’initiative H6 regroupe les organismes du Système des Nations Unies, UNFPA, UNICEF, OMS, ONUSIDA, ONUFEMMES et Banque Mondiale.

A rappeler que le projet de loi sur la santé de la reproduction, proposé et suivi par un comité interdisciplinaire composé d’activistes de la société civile, de leaders religieux et d’acteurs des médias, est constitué de 25 articles répartis dans 8 chapitres. L’article premier du texte définit ainsi ses objectifs: « La présente loi a pour objet de protéger les générations présentes et futures des effets sanitaires, sociaux, dévastateurs des maladies touchant à la santé publique et en particulier la santé de la reproduction en République Islamique de Mauritanie ».

La Mauritanie est, avec la Côte d’Ivoire, le seul pays à ne pas disposer de cadre juridique régissant la santé de la reproduction en Afrique de l’Ouest.

Cheikh Aidara

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