Mohamed Ould Abdel Aziz : Un bilan mitigé à mi-mandat

Article : Mohamed Ould Abdel Aziz : Un bilan mitigé à mi-mandat
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11 juin 2017

Mohamed Ould Abdel Aziz : Un bilan mitigé à mi-mandat

Arrivé au pouvoir en 2008 par une révolution de palais, puis élu Président de la République lors de l’élection présidentielle de juillet 2009 et lors du renouvellement de son second mandat en juin 2014, le président Mohamed Ould Abdel Aziz s’achemine dans moins de deux ans à céder le fauteuil, conformément aux dispositions de la Constitution mauritanienne.

Durant ces huit années de règne, Mohamed Abdel Aziz laisse l’image d’un homme controversé, adulé par ses partisans qui le trouvent irremplaçable jusqu’à vouloir l’imposer ad æternam et vilipendé par ses adversaires qui l’accusent d’avoir fait de la Mauritanie un pays en lambeaux.

Entre les avis favorables des uns et les critiques acerbes des autres, nous allons tenter le plus objectivement possible de dresser un bilan présidentiel qui, le moins que l’on puisse dire, est qu’il ne laisse personne indifférent, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur du pays. Ce bilan sera le plus synthétique possible, au format d’un article de presse qui ne peut prétendre à l’exhaustivité d’une étude académique.

A la tête de toutes les performances et de toutes les tares qui seront développées dans ces lignes, il ressort que les différents mini-gouvernements successifs, retouchés selon les humeurs du moment, endossent l’essentiel des responsabilités dans les échecs et les succèsenregistrés au cours des huit années de règne de Mohamed Ould Abdel Aziz. Que cela soit sur le plan politique, économique ou social.

Sur l’action gouvernementale

A la décharge partielle des différents ministres qui se sont succédé en Mauritanie de 2008 à nos jours, on peut trouver des circonstances atténuantes. Ils ont servi sous un régime où toutes les décisions sont concentrées entre les mains du président de la République. Même pour acheter une rame de papier, même pour la moindre décision, il faut l’avis du Chef.

Résultat, l’allégeance politique a servi de critère de nomination dans les différents gouvernements plus que la compétence technique. D’où l’émergence des tares les pus répulsives de la philosophie politique la plus platonicienne. Parmi ces tares, on peut citer les dérives apologiques pour plaire au maître.

L’hypocrisie politique et les guerres de tranchées entre différentes factions au sein de la majorité battent leur plein, guerre entre anciens et nouveaux, entre clan Hademine et clan Moulaye, du nom de l’actuel Premier ministre et de son prédécesseur.

Parmi ses tares aussi, le clientélisme, le népotisme, les passe-droits, la manipulation de la vérité, l’ostracisme, l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas dans le système, la médiocrité à la tête de l’Etat, avec des nominations de complaisance basées sur de fragiles équilibres régionalistes, ethnicistes, tribaux ou corporatistes.

Parmi ces ministres, les plus inamovibles sont paradoxalement ceux qui sont les plus décriés par l’opinion publique nationale. Ceux qui devaient, selon elle, céder leur fauteuil depuis longtemps pour incompétence.

Si on ajoute à tout cela un parti-état, UPR, empêtré dans ses problèmes internes, ses guerres de tranchées et de positionnement. Résultat, Aziz navigue tout seul, en cavalier solitaire, mal soutenu par un gouvernement fort ou un parti mobilisateur.

Dernier soubresaut venu mettre le feu à la poudrière UPR, la fronde des sénateurs, obligeant le président de la République à s’engouffrer dans une controversées pirouette constitutionnelle pour un référendum constitutionnel fortement entachée.

En filigrane de sa politique équilibriste où il est parvenu jusque-là à jouer sur plusieurs tableaux, il ressort en définitive que Mohamed Abdel Aziz s’est trompé en croyant dans une opposition dialoguiste (APP, El Wiam, Sawab) qui n’a finalement pas fait l’affaire et qui a montré ses limites. Cette opposition n’a pas permis d’instaurer une certaine détente ni à décrisper la situation politique très tendue entre le pouvoir et l’opposition dite radicale.

En fait, en termes de gouvernement, la Mauritanie n’en a pas eu un seul de valable. Toutes les équipes qui se sont succédé depuis 2008 à la tête de l’Etat, à coups de rafistolages, ont été marqués par l’inertie, le manque d’homogénéité, sans tête de pont valable, avec des hommes de cour dont l’extravagance amuse au moins la galerie, à l’image du bavard ministre des Finances, du bouffon ministre porte-parole du gouvernement ou du ministre constipé en charge de l’Enseignement Supérieur, dont le sadisme anti-étudiant dispense de tout commentaire.

Sur le plan politique

Sur le plan politique, les huit années de présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz sont marquées par un émiettement de la classe politique, savamment orchestré et entretenu pour mettre à l’écart les plus radicaux des opposants.

Par cette tactique, le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz pensait pouvoir gouverner tranquillement en mettant en orbite une partie de la classe politique qu’il poussera d’année en année dans l’exclusion et la marginalisation.

Résultat, une crise politique qui perdure depuis les Accords de Dakar de 2009 et qui, malgré des dialogues menés avec ses partisans et une opposition dite modérée, entièrement acquise à ses causes, n’est jamais parvenue ni à décrisper les tensions internes ni à satisfaire les partenaires internationaux et les bailleurs de fonds soucieux du climat délétère et non consensuel qui prévaut.

Le régime que Mohamed Abdel Aziz a mis en place, en guerre ouverte à ces débuts contre les « Moufcidines », c’est-à-dire tous ceux qui avaient servi sous l’ère Ould Taya et accusés de gabegie, finira par devenir le creuset de tous les anciens ténors de cette époque Taayenne.

Cette troisième colonne qui constitue aujourd’hui l’ossature de l’équipe dirigeante actuelle, s’est reconstituée par une mue magique, rétablissantdans toute sa plénitude le Système féodalo-militaro-affairiste qui règne sur la Mauritanie depuis 1978.

Et cette force occulte est contre tout changement de la donne, celle qui permet de saigner les finances publiques, de faire le lit de toutes les magouilles, véritable paradis de la corruption et de la gabegie. Résultat, si du temps de Ould Taya, les malversations se chiffraient en million d’ouguiyas, sous le règne de Mohamed Ould Abdel Aziz, on ne parlera plus que de scandales portant sur des milliards d’ouguiyas.

Les énormes ressources de la Mauritanie n’auront servi durant ces huit années qu’à engraisser une nouvelle classe d’hommes d’affaires fabriqués sur pièces et qui remporterait, si un prix était décerné pour cela, le Guinness des plus rapides enrichissements au monde.

Pour participer à cette manne, plus d’une centaine de partis politiques, dont l’écrasante majorité sans audience ni Aura, essaimeront autour du pouvoir. Ils meubleront tous les forums et tous les dialogues, faisant chorus.

L’opposition quant à elle a été émiettée et divisée, éclatée en plusieurs fronts antinomiques. Du Front national pour le développement démocratique (Fndu), le plus grand regroupement des opposants au pouvoir, il ne restera que des lambeaux.

Le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz parviendra à l’émietter à coups de défections, promettant aux dissidents postes juteux et avantages matériels. Des offres alléchantes qui laissent indifférents peu d’opposants, tannés par des années de traversées du désert et d’exclusion.

Aujourd’hui, il existe plus de trois pôles de l’opposition dont les plus malléables servent de faire-valoir à un régime qui s’en sert pour vendre l’image d’une démocratie qui fonctionne normalement.

Ce qui ne trompe pas les partenaires internationaux qui ont compris le jeu et ne cessent d’exiger du pouvoir de Mohamed Abdel Aziz une plus grande ouverture du champ politique. S’il y a un bilan sombre du règne de Mohamed Ould Abdel, la gouvernance politique figure comme l’un des aspects les plus désastreux.

Exclusion des opposants à toute participation à la vie active, avec mise à l’écart de ses cadres, chasse aux sorcières dans les administrations publiques contre les fonctionnaires militants de l’opposition, pression fiscale sur ses hommes d’affaires, exclusion de tout activiste, journaliste ou membre de la société civile soupçonné de sympathie pour l’opposition. Un climat politique exclusiviste qui met à l’écart une bonne partie des compétences nationales.

Sur le plan économique

La bonne étoile du régime, qui lui a fait bénéficier des années d’opulence suite à la montée en flèche des prix du fer, du cuivre et de l’or sur les marchés mondiaux entre 2009 et 2012, « la manne minière », n’a pas été judicieusement exploité.

Résultat, les recettes colossales et imprévisibles de cette manne, qui a drainé entre 2009 et 2012, plusieurs milliards de dollars, n’aura pas servi à booster l’économie nationale.

Cela ne s’est pas reflété ni dans la résorption du chômage, ni dans la construction d’infrastructures de base conséquentes. Nouakchott ne compte aucun échangeur. Les salaires des fonctionnaires n’a connu la moindre hausse, alors que les prix de denrées de première nécessité ont enregistré des hausses considérables.

Peu de rentrée en termes d’investissements étrangers directs. Mais par contre, plusieurs sociétés privées ont fait faillite, des hommes d’affaires nationaux ont émigré vers d’autres pays de la sous-région, sous le coup de boutoir d’une pression fiscale insoutenable. L’impôt, après l’euphorie de la manne minière, est devenu la principale source de recettes du budget de l’Etat.

Certes, des satisfactions existent, notamment sur le plan routier. Nouakchott et Nouadhibou ont été dotés d’importants réseaux routiers urbains. Plusieurs routes ont également permis de désenclaver des régions entières, voire des départements, sur l’ensemble du territoire national, dont les plus importants restent l’axe Atar-Zouerate ou encore Atar-Tijikja.

Mais les deux axes les plus vitaux du pays continuent de souffrir de négligence, notamment la route de l’Espoir qui relie Nouakchott à Néma, sur 1200 kilomètres et qui traverse cinq grandes régions du pays, et l’axe Nouakchott-Rosso, point névralgique entre le Maghreb et l’Afrique Noire.

Satisfecit aussi sur le plan de l’hydraulique, de l’électrification, de la sécurité, de l’armée et sur le plan diplomatique où des avancées notoires ont été avancées, même si les marchés de passation des marchés liés à l’exécution des projets sont fortement décriés, avec des accusations de corruption et de gabegie à grande échelle.

Le tourisme, principale industrie des régions du Nord n’a pas repris, malgré les avancées sur le plan sécuritaire. Une bonne partie du pays reste encore dans la ligne rouge du Quai d’Orsay.

L’artisanat se meurt doucement, en l’absence de tout soutien du gouvernement. Les artisans sont obligés de se prendre en charge pour participer aux foires internationales et leur production ne bénéficie d’aucune politique promotionnelle de la part de l’Etat.

La pêche est également en crise et la Smcpp a perdu tout monopole sur les prix des produits. Victime d’un excès de protectionnisme, les eaux mauritaniennes ont été interdites aux pêcheurs sénégalais alors que les nationaux ne maîtrisent pas encore la mer.

Les accords avec l’Union européenne, très restrictifs selon certains avis, ont poussé les Européens à récupérer d’une main ce qu’ils ont laissé de l’autre. Ils se sont rabattus sur l’aide publique au développement qu’ils gèrent désormais en exclusivité, à travers l’assistance technique internationale.

Cheikh Aidara

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