Rupture avec le Qatar : la rue mauritanienne divisée

Article : Rupture avec le Qatar : la rue mauritanienne divisée
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14 juin 2017

Rupture avec le Qatar : la rue mauritanienne divisée

A la suite des pays du Golfe sous la férule de l’Arabie Saoudite, la Mauritanie a annoncé le 6 juin dernier par le biais d’un communiqué du Ministère des Affaires Etrangères, la rupture de ses relations diplomatiques avec le Qatar. Une annonce qui a provoqué une manifestation spontanée, plusieurs citoyens s’étant massés devant l’ambassade qatarie à Nouakchott pour exprimer leur solidarité. Depuis, la rue mauritanienne est profondément divisée.

 

Mohamed Abdel Azoz et le Roi Salman d’Arabie Saoudite à Djeddah.

La crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe, intervenue le 5 juin 2017, isole de jour en jour le petit émirat. La vague des ruptures diplomatiques avec le Qatar s’est en effet amplifiée, sous la pression de Riadh, à des dizaines d’autres pays, dont la Mauritanie. La raison évoquée pour expliquer cette décision diplomatique reprend dans ses termes, les mêmes accusations portées par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Il est reproché au Qatar de soutenir le terrorisme et de jeter le trouble dans le monde.

Ce qu’on reproche au Qatar
La crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unies, Bahreïn et qui s’est par la suite étendue à tous les pays arrosés par les pétrodollars saoudiens a été disséqué par la quasi-totalité des analystes du monde.

L’accusation de soutien au terrorisme, répétée à l’envie ici en Mauritanie, par une pléiade de cadres  contraints à investir les plateaux des télévisions pour soutenir le point de vue officiel est battue en brèche.

Parmi les causes supposées de la crise, certains analystes en Occident citent le reproche fait au Qatar d’empiéter sur les plates-bandes de son puissant voisin saoudien, tout récemment rétabli dans la plénitude de son leadership du monde arabo-musulman par la nouvelle administration américaine. En effet, un lien de cause à effet a été établi entre la visite de Donald Trump à Riadh le 21 mai 2017 et l’offensive contre Doha enclenchée le 5 juin dernier. Le Qatar aurait eu l’ambitieux crime de jouer dans la cour des grands en oubliant sa petite taille, pour prendre trop de place dans les économies développées, comme ses énormes investissement en Europe.

L’autre cause évoquée, celle du refus du Qatar à se joindre à la coalition anti-Iran que Trump veut former avec les pays du Golfe, dont l’Arabie Saoudite. Le Qatar est lié à l’Iran par une frontière maritime mais surtout par un important champ gazier que les deux pays exploitent en commun.

Mais si des présomptions pèsent sur le Qatar à travers certains privés qataris soupçonnés de financer des organisations déclarées terroristes comme le Jebhat Nosra proche d’Al Qaïda en Syrie, l’Arabie Saoudite et les Emirats seraient également fortement impliqués dans ce financement occulte du terrorisme. Ainsi, pour beaucoup d’observateurs, l’accusation de terrorisme adressée au Qatar ne serait qu’une façade et qu’en réalité il lui serait reproché de ne pas être dans le délire anti-Iran de Riadh et d’Abu Dhabi.

L’autre point de discorde serait d’ordre idéologique avec un Qatar qui abrite les Frères Musulmans chassés d’Egypte et que le Royaume saoudien combat comme la peste parce qu’ils font ombrage au courant salafo-wahabiste qu’il finance et propage à travers le monde.

Les Emirats n’ont jamais quant à eux pardonné au Qatar son indépendance et son refus d’intégrer l’union, préférant se détacher pour former un «petit pays indépendant ». Le comble, cette coupe du monde que le Qatar accueillera en 2020.

Mais la plus grande contradiction serait le rôle central joué par les Etats-Unis dans l’isolement du Qatar tout en y maintenant sa puissante base militaire, la plus importante au Golfe. C’est surtout le parti pris de l’administration américaine en faveur de pays autocratiques comme l’Arabie Saoudite, où la démocratie est absente et les droits de l’homme bafoués qui jette le discrédit sur la politique étrangère des Etats-Unis dans le monde arabe.

Tous les analystes sont cependant d’avis que le Qatar ne pourra pas résister longtemps à l’embargo qui le frappe et qu’il sera obligé de faire des concessions ou de courir le risque d’une énième révolution de palais. En 2014, une crise similaire avait frappé le Qatar et a duré 8 mois. A l’époque, c’était la tête du prédicateur Al Qardawi qui a été réclamé et depuis, il a disparu des plateaux de télévision qataris. Cette fois, la facture risque d’être plus salée, car il s’agit pour l’Arabie Saoudite et ses alliés d’amener le Qatar à chasser les frères musulmans qu’il abrite ainsi que la direction du mouvement Hamas, sans compter la livraison de cinq bonnes dizaines de personnes recherchées pour terrorisme.

La crise du Qatar vue de l’Occident

Si Donald Trump a déclaré que la crise du Qatar doit être réglée le plus rapidement possible, nul ne sait encore le sens de ces propos, si la solution doit être militaire ou politique. La Turquie et le Pakistan auraient annoncé un mouvement de troupes vers le Qatar pour le protéger en cas d’attaques, tandis que l’Iran vient de dépêcher plusieurs avions pour ravitailler le pays.

En France, les réactions tardent encore, même si la plupart des analystes trouvent que le nouveau président français Emmanuel Macron avait déjà annoncé durant sa campagne qu’il mettra fin aux avantages fiscaux accordés aux investissements qataris par l’administration Sarkozy. Ainsi, il a fait poireauter l’Emir du Qatar pendant six jours avant de le prendre au téléphone après la crise.

Pourtant, les investissements qataris en France, estimés à plus d’un milliard d’euros, pèseront lourd dans toute décision que la nouvelle équipe de Macron aura à prendre.

L’Allemagne mais aussi l’Union européenne ont demandé la fin de l’embargo sur le Qatar.

In fine, le Qatar serait coupable d’exhibitionnisme au point d’avoir agacé son voisinage immédiat qui cherche aujourd’hui à le remettre à sa place.  Et puis, sa chaîne Al Jezira, 5.000 employés et 180 bureaux à travers le monde a eu l’outrecuidance de heurter la culture antidémocratique des pays du Golfe nullement habitués à un tel degré d’indépendance dans le traitement de l’information. Cette chaîne donne en effet la parole à tous les opposants du monde arabe et cloue au pilori les chefs d’Etat arabes non coutumiers de telles critiques. Il lui est aussi reprochée d’avoir soutenu et même provoqué des crises dans le monde arabe.

L’analyse de la crise en Mauritanie

En Mauritanie, la décision de rompre avec le Qatar a été trop rapide et brusque pour l’opinion publique nationale. Le communiqué du Ministère des Affaires Etrangères accuse le Qatar de propager des idées extrémistes et d’avoir sciemment semé l’anarchie dans de nombreux pays arabes. «Le Qatar a pris l’habitude de mettre en cause les principes sur lesquels est fondée l’action arabe commune» déplore le communiqué officiel.

Cette décision du gouvernement mauritanien a été d’autant inattendue que le Qatar a beaucoup investi en Mauritanie, en construisant un centre pour l’éducation des enfants sourdes, une mosquée, un grand complexe touristique, un hôpital à Boutilimit. Mieux, les deux pays ont multiplié ces derniers mois leurs échanges et signé un jumelage entre la Cour suprême mauritanienne et la Cour Qatarie de cassation. Plusieurs centaines de fonctionnaires mauritaniens, magistrats, imams et enseignants travaillaient aussi au Qatar.

Cette embellie a été cependant émaillée de plusieurs mini crises, comme l’accusation lancée par Nouakchott il y a quelques années contre le Qatar, l’accusant de soutenir des mouvements terroristes dans le Nord Mali, et de soutenir le parti islamiste Tawassoul proche des frères musulmans.

Mais le pouvoir mauritanien est obligé de prouver la justesse de sa décision face à une opinion mauritanienne foncièrement hostile, en envoyant chaque jour et chaque nuit des pléthores de cadres et hauts fonctionnaires défendre sa position sur les plateaux de télévision et les studios des radios qu’ils soient publics ou privés. Une offensive médiatique qui vient prouver, selon les opposants, que les arguments avancés par le gouvernement mauritanien ne tiennent pas la route.

La rue estime que la décision de l’Etat résulte d’un suivisme aveugle et irréfléchi pour plaire à l’Arabie Saoudite, si ce n’est pour des raisons pécuniaires, certains parlant de plusieurs millions de dollars promis par les Saoudiens au gouvernement mauritanien.

C’est le point de vue du parti Union des Forces du Progrès (UFP) de l’opposition radicale qui estime que la rupture diplomatique avec le Qatar répond à une logique de suivisme et d’opportunisme diplomatique qui met en berne la souveraineté du peuple mauritanien.

Pour Mohamed Jemil Mansour, président du parti Tawassoul, qui s’exprimait au cours d’une invitation à la rupture du jeûne,  à laquelle avait assisté la classe politique, majorité et opposition confondue, mais aussi des membres des deux chambres du Parlement, «la défense de la cause palestinienne à travers le mouvement de résistance Hamas est un bienfait et le contraire une perdition ».

Cheikh Aidara

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