Monsieur Mamou Daffé, Président d’Arterial Network : «Il faut que la culture africaine arrive à se nourrir de ses propres ressources»

Article : Monsieur Mamou Daffé, Président d’Arterial Network : «Il faut que la culture africaine arrive à se nourrir de ses propres ressources»
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1 juillet 2017

Monsieur Mamou Daffé, Président d’Arterial Network : «Il faut que la culture africaine arrive à se nourrir de ses propres ressources»

Au cours de son bref séjour à Nouakchott pour assister au lancement du projet «Nouakchott, ville créative d’Afrique » le vendredi 30 juin 2017, M.Mamou Daffé, Président du réseau africain de la culture, Arterial Network, qui finance le programme «Villes créatives d’Afrique» a bien voulu répondre à nos questions. Entretien.

Mamou Daffé, Président Arterial Nework

Le Festival Assalamalekum fête ses dix ans et lance l’un des projets phares d’Arterial Network sur les villes africaines, quelle réflexion vous inspire ces deux évènements ?

Sur le Festival Assalamalekum, je n’ai que des mots de remerciement et de satisfaction. Je parle souvent des acteurs africains conscients et engagés, qui s’affirment, s’expriment et s’émancipent et je pense que ce festival fait partie de ces acteurs de la jeunesse africaine en marche avec peu de moyens. Il a suffi à ses promoteurs de se retrousser les manches. Je crois que mon ami Monza et ses collaborateurs ont bien compris que le développement ne viendra pas du dehors mais du dedans. Je pense que leur expérience est à saluer car je connais bien la scène culturelle africaine, ses défis et ses difficultés. Croyez-moi, tenir dix ans un festival, il faut être très fort. Aussi, je tiens à féliciter Monza et son équipe pour leur engagement et leur abnégation mais aussi surtout pour leur apport à l’action culturelle en Mauritanie. Sincèrement, je leur dis bravo !

Quant au projet sur les villes, cinq capitales africaines ont été sélectionnées pour cette phase pilote,  parmi lesquelles Nouakchott  qui vient d’ailleurs de lancer son programme. La particularité de ce projet est qu’il permet de placer des capitales africaines sur la sellette internationale en ce qu’il leur offre de la visibilité, à elles, à leurs artistes et à leurs artisans, mais aussi à leur patrimoine culturel et artistique. Aujourd’hui, Nouakchott est sur la carte de la scène culturelle grâce à cet évènement. Ce projet implique un partenariat public-privé qui contribuera sans aucun doute à booster la créativité et l’innovation, avec de forts impacts sur le développement économique et social.

C’est pourquoi il est question de gouvernance culturelle, ce qui implique une étroite collaboration entre les acteurs culturels et les institutions publiques, car les uns ne pourront pas marcher sans les autres. Si difficulté, il peut y avoir, ce sera certainement liée à une différence de lecture et d’approche qui aurait pu être résorbée s’il existait dans nos pays une véritable éducation sociale, basée sur l’enseignement de l’éducation culturelle et artistique dès le primaire. Car plus il grandit, plus l’enfant prend conscience des dimensions humaines et intellectuelles que renferment l’art et la culture, ce qui peut façonner sa personnalité et le rendre moins crispé et plus ouvert.

Vous avez parlé dans votre intervention lors du lancement du programme «Nouakchott, ville africaine créative» de diplomatie culturelle et vous développer en même temps des politiques ambitieuses pour les villes, avez-vous réellement les moyens de ces politiques ?

Le continent africain regorge de ressources et il est immensément riche. L’Afrique a beaucoup d’argent. Il suffit juste que les  Africains réfléchissent ensemble et mettent en commun leurs ressources pour relever tous les défis. Je fais un clin d’œil en passant à l’Union Africaine qui a mis la culture au cœur de ses préoccupations à travers l’idée d’un financement de la culture africaine par des ressources africaines. Nous avons à Arterial Network un projet de Fonds culturel africain qui sera lancé bientôt à Abidjan. L’idée est d’arriver à pousser l’Afrique à partager et à mobiliser ses ressources, tirées du continent. Je salue au passage l’idée innovante de la Chancelière allemande et du président tchadien, de mettre en place un Plan Marshall pour l’Afrique.  Toutes ces initiatives peuvent constituer autant d’initiatives majeures pour porter des programmes comme celui lancé par Arterial Network pour les villes. Mais il faudrait que nous Africains, nous nous réorientons sur nous-mêmes, sur ce que nous avons, sur ce que nous savons et devons faire, tout en nous ouvrant à de nouvelles formes de collaboration. Nous ne sommes plus de simples observateurs sur ce qui se passe, mais des sujets. C’est pourquoi, nous devons anticiper par une coopération plus réfléchie avec les autres. Nous travaillons à Arterial Network, à impulser la volonté et l’engagement de l’homme africain d’abord.

La diplomatie culturelle est extrêmement importante. La culture est aujourd’hui une arme d’influence pour les Nations. C’est ce que les pays émergents ont compris, eux qui commencent à soutenir quelques fois le développement de la culture chez nous dans une sorte de coopération qu’ils appellent le «Soft Power ». Ne dit-on pas d’ailleurs que l’économie du futur, sera l’économie de la culture. Beaucoup de pays l’ont d’ailleurs déjà compris. Car, en termes de dimension humaine, tous ces conflits et ces crises qui secouent le continent auraient pu être évités, car leur source est purement culturelle. La culture devait ainsi être valorisée en tant que facteur de paix, d’unité et de rapprochement entre les peuples et les Nations. Les artistes ouvrent chaque jour des brèches dans le champ des possibilités et pourraient grâce à leurs actions permettre à l’Afrique de se développer. Oui, la diplomatie culturelle est aujourd’hui une arme pour le continent.

Vous avez entendu les artistes se plaindre des difficultés qu’ils rencontrent. Comment réellement promouvoir la création et la créativité artistique pour que les acteurs culturels puissent s’épanouir réellement par leur art ?

Vous savez, les difficultés que rencontrent les artistes et les acteurs culturels n’est pas un phénomène propre à l’Afrique. La culture touche à l’âme. C’est une chose très complexe et cela a toujours créé des difficultés et des incompréhensions partout dans le monde. Il faut se mettre au-dessus de ces difficultés. Nous sommes tous obligés de marcher ensemble. On dit que l’Afrique est pauvre, en réalité elle est divisée. Il faut qu’on arrive à trouver un terrain d’entente, un compromis pour construire le futur et notre destinée commune. C’est possible, car entre le contenant et le contenu, il y a toujours l’harmonie. Sur l’échelle de la pensée humaine, il faut que les plus forts soutiennent les plus faibles pour qu’ils puissent évoluer ensemble.  Je pense que nos messages ont été bien compris par les artistes mauritaniens.

En définitive, la culture est la solution pour beaucoup des maux dont souffre le continent. Nous pensons aujourd’hui que les principales difficultés en Afrique peuvent être surmontées par l’art, la musique et les autres formes d’expression culturelles qui constituent de véritables vecteurs de rassemblements.

S’il y a un bilan à tirer de votre mandat qui tire à sa fin à la tête d’Arterial Network, quelles sont les principales réalisations que vous pouvez citer ?

Je pense que j’ai vécu une aventure extraordinaire à côté de mon ami Monza et des autres membres du Comité de Pilotage d’Arterial Network. Nous sommes en gros satisfaits de tout ce que nous avons pu voir de l’Afrique, un continent qui s’affirme, s’exprime et s’émancipe. Un continent qui essaie avec toutes ses ressources d’achever la décolonisation des mentalités et la décolonisation tout court. Nous avons vu l’émergence d’un nouveau type d’Africain plus confiant, et cela est extrêmement important. Le combat, ce n’est pas seulement celui de l’argent, mais cette construction citoyenne et mentale. J’ai vu des frères qui s’engagent aujourd’hui avec leurs moyens, pour leur cité et pour leur ville. Et ils réalisent des choses extraordinaires.

Il faut dire que 80% des projets sur lesquelles nous sommes engagés sont des projets financés par nous Africains. Avant notre arrivée à la tête d’Arterial Network, nous n’avons jamais pu tenir une réunion sans l’argent des autres. Aujourd’hui, nous faisons tout nous-mêmes et nous décidons nous-mêmes des actions à entreprendre. Les réseaux sont fonctionnels, sans compter les projets et programme que nous avons lancés, dont les «Villes créatives d’Afrique». Nous avons réformé notre programme de plaidoyer dans le secteur culturel et pour le continent. Nous avons été sur toutes les scènes internationales. Aujourd’hui, nous sommes un groupe fortement engagé pour le continent.

Cette unité africaine dont on parle, nous l’avons déjà réalisé sur le plan culturel et nous sommes beaucoup plus en avance que les Etats. Aujourd’hui, je me sens mauritanien. Pour vous dire que l’intégration, nous l’avons déjà entamé à travers nos réseaux. En tant que président d’Arterial Network, je ne peux que me réjouir de la sympathie que m’ont témoignées les membres d’Arterial Network.

Propos recueillis par
Cheikh Aidara, journaliste
SG du Festival Assalamalekum et Arterial Mauritanie

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