Education Primaire en Mauritanie, quel rôle pour les Associations des Parents d’élèves (APE) ?

Article : Education Primaire en Mauritanie, quel rôle pour les Associations des Parents d’élèves (APE) ?
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12 avril 2019

Education Primaire en Mauritanie, quel rôle pour les Associations des Parents d’élèves (APE) ?

En marge de son 20ème anniversaire et de son Assemblée générale annuelle tenue dans la foulée, l’ONG de développement ECODEV a réuni jeudi 11 avril 2019, un panel d’experts pour débattre des problèmes de l’enseignement en Mauritanie et dégager des pistes de solution.

Panel sur l’éducation (Crédit Aidara)

Le panel était composé de l’ancien ministre, ancien Président de l’Université de Nouakchott, Dr.Bekaye Ould Abdel Maleck, NGaïdé Alassane, Conseiller du Ministre de l’Education Nationale, Cheikh Ould Maata, ancien maire de Riadh et Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches Pédagogiques (CERP), El Hadj Ould Rabani, expert planificateur COGES (Conseil de Gestion des Ecoles), Mohamed Ould Tolba de la Banque Mondiale et Dr.Abdallahi Ould Ewah, professeur d’université et gérant du Projet TOME (Transparence dans le budget de l’Education). La rencontre a été modérée par Dr.Mohamed Lemine Hamady, Expert au CERF et professeur d’université.

Survol général

Introduisant le débat, le modérateur a fait un survol de la situation globale de l’enseignement en Mauritanie, avec chiffres et données à l’appui, comme l’amélioration des infrastructures  permettant une capacité d’absorption de tous les enfants en âge scolaire, avec 600.000 enfants qui vont à l’école (statistique de 2018), pour 15.000 enseignants. La Mauritanie compte, selon lui, 4.000 écoles dont 600 pour le privé, avec un ratio de 33 élèves par enseignant et un taux de plus de 100% de scolarisation. Seulement, relève-t-il, le taux d’inscription est de 80%, le taux de déperdition scolaire de 24% , avec un déficit de 145.000 tables-bancs, et 80% des écoles ne disposant ni d’aire de jeu ni de terrain de sport.

Pour Mohamed Lemine Hamady, la société civile, notamment les parents d’élèves, sont un partenaire incontournable dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement, soulignant la nécessité pour chaque école de disposer d’une association de parents d’élèves. «Tout le monde est aujourd’hui conscient de la crise de l’école en Mauritanie » a-t-il déclaré, ajoutant que la solution est une solution globale qui interpelle tous les acteurs.

Rappelant l’évaluation qui a été réalisée sur la performance du système éducatif, le modérateur a souligné que l’Etat a dépensé des milliards dans l’enseignement sans résultat qualitatif, soulignant que le taux d’admission dans tous les examens nationaux n’a pas dépassé 35%, que 40% des enseignants ne sont pas passés par l’Ecole Nationale des Instituteurs, que sur l’ensemble des enseignants en arabe, seuls 14% maîtrisent la langue, comme seuls  4% des enseignants en français maîtrisent le français. Cela s’est répercuté, a-t-il souligné sur les résultats, avec 26% d’admission à l’entrée en sixième, 29 % au brevet et 15% au baccalauréat. S’il y a dépenses exhaustives sur les infrastructures, cela s’est traduit de l’autre côté par la baisse de la qualité, a-t-il affirmé, pointant du doigt le système dirigiste et non inclusif qui a jusque-là prévalu, en l’absence de toute implication des acteurs de l’enseignement que sont les parents d’élèves, les centres d’études et les experts indépendants dans la confection des programmes, dans les modèles de gestion de l’enseignement et les programmes pédagogiques. Selon Mohamed Lemine Hamady, toutes les études ont montré que la non implication des APE dans les politiques éducatives sont l’une des causes essentielles de l’échec du système éducatif.

Pour remédier à cette situation, il a suggéré la nécessité d’adopter une stratégie de gouvernance sociale avec les APE comme partenaires centraux, soulignant qu’une étude menée en 2018 a démontré que l’implication des APE encourage la scolarité et le suivi pédagogique.

Cheikh Ould Maata, l’apport des centres d’études et le rôle des APE

Partant de l’expérience du Centre d’études, le CERP, qu’il dirige, l’ancien maire de Riadh à Nouakchott, Cheikh Ould Maata a mis l’accent sur la recherche, la formation et la sensibilisation pour améliorer la qualité de l’enseignement, mais surtout sur l’implication des APE. Ce débat devrait permettre selon lui, de tirer des recommandations qui pourront faire l’objet d’une stratégie capable de recentrer l’apport des parents d’élèves dans le système pédagogique national, ce qui n’est pas encore le cas, a-t-il déploré en substance :

Le Président de la Fédération nationale des associations de parents d’élèves et étudiants, Ahmed Ould Sghaïr, s’est pour sa part félicité du rôle joué par ECODEV dans le domaine de l’éducation, citant les actions à résultats déjà palpables sur le terrain,  comme au niveau de Riadh à Nouakchott et de Tidjikja au Tagant, où l’ONG a formé en 2018 quelques 40 bureaux de parents  d’élèves dans le suivi pédagogique.

Dr.Bekaye Ould Abdel Maleck et les Zones d’Education Prioritaires (ZEP)

Concept nouveau développé en France dans les années 80 pour harmoniser l’enseignement et offrir une éducation de qualité égale à tous les enfants notamment ceux issus de familles défavorisées, les ZEP servent à renforcer le système éducatif à tous les niveaux et sur l’ensemble du territoire, car comme l’a souligné Dr.Bekaye Ould Abdel Maleck, le système éducatif est un tout, tant et si bien que toute faiblesse dans une des chaînes peut compromettre le fonctionnement de l’ensemble. La ZEP sert ainsi, selon lui, à corriger les incohérences et  les disparités dues à des problèmes économiques ou sociaux des parents.

Pour Dr.Bekaye Ould Abdel Maleck, la ZEP est créée selon plusieurs principes et critères, la discrimination positive, la prise en charge totale des enfants des familles défavorisées (bourse, trousse), la faible capacité d’accès, la fragilité socioéconomique, la forte déperdition scolaire. La ZEP est administrée à travers des conseils comprenant l’administration, les communes, les APE, avec des commissions spécialisées, comme celles chargées de lutter contre la violence et la délinquance en milieu scolaire, contre les stupéfiants, etc. La ZEP a besoin ainsi, selon l’intervenant, d’enseignants payés plus que leurs autres collègues et plus motivés, avec des primes de suggestion spéciale. Des bourses doivent être octroyées aux élèves ainsi qu’une prise en charge totale sur le plan de l’alimentation dans les cantines scolaires et en fournitures, pour compenser des parents dont ils constituent le plus souvent les seules forces de travail. Dr.Bekaye a suggéré d’ouvrir dans une première phase des ZEP modèles dans les localités les plus pauvres, puis généraliser l’approche dans une seconde étape.

Pr.El Hadj Ould Rabani et l’expérience de COGES

Le Conseil de participation communautaire et de gestion des écoles (COGES) est bâti selon Pr.El Hadj Ould Rabani sur un décret qui donne une place centrale aux APE. Il est composé, conformément à l’article 3 du décret, d’un président élu, d’un Secrétaire général et d’un gestionnaire, plus un représentant de la commune, un représentant des APE, un représentant du personnel enseignant et un représentant des élèves. Il se réunit une fois par mois et discute de tous les problèmes scolaires.

Dr.Abdallahi Ould Ewah et le Projet TOME

Le Projet TOME (Transparency Of Mauritanian Education Budget) liant l’ONG ECODEV et le GPSA (Global Partenership For Social Acountability) de la Banque Mondiale a été lancé le 18 janvier 2017 pour une durée de quatre ans. Son objectif est d’améliorer la transparence du Budget et la qualité de l’éducation primaire à travers les outils de la redevabilité sociale dans les Wilayas cibles, Nouakchott Sud et le Tagant.

Sur la base du diagnostic de la stratégie nationale de l’éducation et du Plan national 2001-2011 puis 2012-2020, il est apparu selon Dr.Abdallahi Ould Ewah que le budget alloué à l’éducation représente 4% du PIB, dont 44 % pour l’enseignement fondamental. «Il y a certes une forte augmentation dans l’accès à l’éducation, beaucoup d’écoles ont été construites, beaucoup d’enseignants recrutés, beaucoup plus d’élèves scolarisés, mais la qualité de l’enseignement a continué à baisser, avec des élèves souffrant de faiblesse générale dans toutes les matières. Un résultat catastrophique » a-t-il arrêté.  Et de poursuivre «100 % des enfants mauritaniens entrent à l’école, mais 90% ressortent dans la rue durant leur parcours scolaire et une fois aux portes du baccalauréat ». Et  de se demander «ces enfants vont où ?».La plupart vont alimenter les gangs, versent dans la délinquance, la drogue, à la merci des premiers recruteurs djihadistes. Avec des enseignants mal formés (non intéressés par leur métier), mal payés, évoluant dans des classes souvent délabrées, sans aucun matériel didactique, le résultat ne peut être que celui offert par le système actuel, dira-t-il en substance.

La solution réside selon lui dans la redevabilité sociale, telle que préconisée par le Projet TOME, à travers un comité de suivi participatif au niveau de chaque école. Ce principe repose sur le fait que l’éducation est l’affaire de tout le monde et que la solution doit venir aussi bien de l’Etat, du secteur privé, des mécènes, des parents d’élèves, de la société civile, des partenaires, dans un même élan coordonné et planifié.

NGaïdé Alassane, encore sur le rôle des APE

Conseiller du Ministre de l’Education Nationale en charge de la Promotion du Partenariat avec les syndicats et les APE, NGaïdé Alassane, est revenu sur le rôle des APE, comme partenaire essentiel du système éducatif. Il a évoqué l’institutionnalisation de ce partenariat entre le Ministère et les APE à travers la révision en cours du Décret 137-1999, soulignant que les parents d’élèves disposent pour leurs actions de prérogatives tirées du circulaire du ministre, de la mise en place de comités de veille, entre autres mécanismes d’intervention.

Des discussions, questions et interventions pertinentes de la part des participants ont par la suite émaillé les débats.

Cheikh Aïdara

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