Le personnel de santé face à la gestion clinique des viols

Article : Le personnel de santé face à la gestion clinique des viols
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15 juillet 2019

Le personnel de santé face à la gestion clinique des viols

Le viol, extrême  violence basée sur le genre (VBG) et pire forme de violation des droits de l’homme, est un défi pour le corps médical et la société civile mauritanienne, surtout sur le plan judiciaire et la prise en charge psycho-médicale des victimes. Une vingtaine de praticiens de la santé et de la société civile vient de suivre dans ce cadre, une formation, du 9 au 11 juillet 2019 à Nouakchott, sur la gestion clinique des viols, sous la houlette d’un consultant international, Dr.Jonathan Ndzi. Cette session a été organisée par le Ministère de la Santé avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA).

Les participants en pleine séance de formation (Crédit Aidara)

« En juillet 2016, Rouhiya, alors âgée de 15 ans, a fui son père qui abusait d’elle sexuellement pour chercher refuge chez un homme de 23 ans qui lui avait promis de l’épouser. Peu après, a-t-elle rapporté, cet homme l’a enfermée, droguée et violée collectivement, avec trois autres hommes. Rouhiya est restée en captivité pendant deux semaines jusqu’à ce que la police la trouve et la ramène au domicile dont elle avait tenté de s’échapper. Dans sa déclaration à la police, Rouhiya a révélé qu’elle connaissait un des agresseurs. Les policiers l’ont alors arrêtée et envoyée à la prison des femmes en l’accusant d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage (zina). «Je leur ai demandé : Mais pourquoi ?’Qu’est-ce que j’ai fait de mal ?», a rapporté Rouhiya. « Ils m’ont dit de garder le silence et de ne pas poser de questions». C’est l’extrait d’un Rapport de Human Rights Watch publié en septembre 2018 sur le viol en Mauritanie, sous le titre «Ils m’ont demandé de garder le silence » Un moratoire immédiat sur les poursuites et la détention des personnes pour zina, avait même été lancé par l’organisation.

Prise en charge clinique des cas de viol

Pour renforcer la capacité des agents de la santé et celle des membres de la société mauritanienne dans la gestion clinique des viols, le Ministère de la Santé, avec l’appui de l’UNFPA, a organisé du 9 au 11 juillet 2019 à Nouakchott, une session de formation sur le sujet, avec l’appui d’un expert, le Dr.Jonathan Ndzi, consultant international. La formation a abordé dans les détails, les différents aspects de la violence basée sur le genre (VBG), le viol criminel et le viol conjugal, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés. L’accent est surtout mis aujourd’hui sur la prévention de la violence sexuelle par la compréhension plus rationnelle des facteurs de risque et les conséquences de la violence sexuelle. D’où la nécessité, selon Jonathan Ndzi, de cerner les facteurs contributifs à la VBG, notamment la pauvreté, l’absence d’éducation et les conflits armés, mais aussi l’abus de pouvoir, l’irrespect des droits de l’homme et les inégalités sexuelles.

L’approche centrée sur les survivants constitue ainsi l’une des méthodes suivies dans la prise en charge des cas de violence sexuelle,  avec quatre principes directeurs, la sécurité de la victime (certains viols étant suivis de meurtre), la confidentialité de la déposition, le respect de la survivante et la non-discrimination dans le traitement des cas.

Dans ce cadre, le rôle du secteur de la santé réside, selon Dr.Ndzi, dans la fourniture des soins  cliniques et les premiers secours psychologiques, avec la préparation de la victime et la disponibilité du service de soutien. L’autre étape est la collecte des preuves médico-légales, avec des cas de réfèrement de la survivante et sa protection contre toute forme de stigmatisation, ainsi que les soins à apporter en cas de lésion, l’offre de médicaments pour la prophylaxie ou le traitement contre les infections sexuellement transmissibles (IST) conformément au protocole national en vigueur, mais aussi un traitement de prophylaxie post-exposition (PPE) au VIH, l’administration de la contraception d’urgence, l’atténuation de la douleur, le soin des plaies, etc.

Il a été noté que le risque de grossesse chez les femmes violées est plus élevé que le risque d’infection au VIH en Mauritanie, vu le faible taux de prévalence au niveau national  (0,4%).

Les participants se sont également familiarisés au cours de la formation aux procédures administratives dans les cas de violence sexuelle, fiches médicales avec pictogramme, formulaire de consentement, brochures d’informations sur l’assistance post-viol, avec l’aménagement d’un espace d’archivages fermé à clé et sûr pour conserver les documents confidentiels.

Ils ont aussi été informés sur les mesures à prendre lors de l’écoute du récit de la victime, avec au préalable la prise en compte de sa culture, la préparation à l’entretien, l’écoute attentive sans interruption ni état d’âme, un environnement apaisant et confiant, entre autres.

L’examen clinique des victimes de violence sexuelle doit se faire dans les 72 heures suivant l’acte. Selon Dr.Nzi, le praticien de la santé dans son dépôt devant les juridictions doit éviter d’évoquer la virginité de la victime ou parler d’hymen. Cela risque d’entraîner, d’après lui, le débat sur ce terrain, faisant l’affaire de l’avocat de l’auteur présumé, et l’audience oubliera l’affaire du viol.

Parmi les éléments de preuve que le certificat médical pourra fournir, le consultant a cité les éventuelles blessures, le sperme (avant 72 heures), l’état des habits, les corps étranger (trace de terre, feuilles, herbes, cheveux, etc.) le sang ou l’urine pour le dépistage toxicologique, l’ADN.

Pour prévenir la transmission du VIH suite au viol, il est recommandé d’administrer à la survivante, 72 heures au plus après l’incident, les antirétroviraux pour prévenir toute contamination.

Le viol, un mal qui ronge la société

Atelier de l’ONG AFCF sur les VBG (Crédit AFCF)

Le viol constitue l’un des faits sociaux les plus récurrents en Mauritanie. Des organisations de la société civile travaillent depuis plusieurs années sur la question, à l’image de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), l’Association Mauritanienne pour la Santé de la Mère et de l’Enfant (AMSME) ou encore l’Association de Lutte contre la Dépendance (ALCD). Ces associations prennent en charge les victimes et les accompagnent dans le suivi psycho-médical et dans les démarches judiciaires. Seulement, ces organisations, de plus en plus tolérées par les instances judiciaires, butent souvent sur les obstacles institutionnels, juridiques et sociaux que rencontrent les survivantes lorsqu’elles veulent rapporter à la police des incidents d’agressions sexuelles, amener les coupables devant la justice et obtenir un soutien médical et psychosocial. Les filles victimes de viol sont le plus souvent accusées de «zina » et jetées en prison, si les juges ne valident pas leur argumentaire.

Ces ONG recensent ainsi chaque année des centaines de cas. L’AMSME à elle seule, a rapporté en 2018, 703 cas assistés dont 26 cas de violence conjugale à Nouadhibou et 209 cas de violence sexuelle à Nouakchott. Parmi ces derniers, 185 filles et 12 garçons, âgés de moins de 5 ans à 23 ans (Voir Rapport AMSME 2018).

Un projet de loi sur les VBG en Mauritanie a été rejeté deux fois par le Parlement (Voir lien :
https://aidara.mondoblog.org/2017/01/04/projet-loi-violences-genre/).

Autres liens :

Témoignages de femmes victimes de viols : https://www.youtube.com/watch?v=Ic5IX4oS048

https://lemonde-arabe.fr/06/09/2018/mauritanie-femmes-viol-justice/

Cheikh Aidara

Interview avec Dr. Jonathan Ndzi

«La Mauritanie est l’un des rares pays ouest africains à disposer d’un protocole sur le viol»

Quel intérêt y a-t-il à organiser une formation sur la gestion clinique des VBG ?

Dr.NJonathan Ndzi : La VBG est une violation des droits de l’homme qui ne se passe pas seulement en situation humanitaire, mais qui peut aussi avoir lieu en temps normal. Malheureusement, la VBG et la violence sexuelle n’ont jamais été intégrés dans le curricula et les programmes de formation dans  les écoles de médecine ou de santé publique, Néanmoins, le peu d’information que les médecins, infirmiers ou sages-femmes peuvent disposer restent toujours insuffisantes pour prendre en charge de tels cas. Aussi, faudrait-il s’assurer qu’un traitement adéquat a été délivré à la victime ou la survivante, pour ne pas courir le risque d’une grossesse non désirée, et dans un temps déterminé, pour qu’elle ne soit pas infecté au VIH. Une prise en charge correcte peut aussi sauver la victime de troubles psychiques consécutifs à l’acte. Car, très souvent nous assurons cette prise en charge psychique qui peut s’assurer très utile.

Comment prouver un cas de viol ?

Dr.NJonathan Ndzi : Nous ne travaillons pas spécifiquement sur les cas de viol, bien qu’il constitue l’extrême degré de la VBG et la situation la plus fréquente en situation humanitaire. Le viol est l’une des plus grandes causes de mortalité chez la femme, la jeune fille ou le garçon en situation de crise, car très souvent, il est suivi de meurtre. On est violé puis tué. Aussi, avons-nous pensé à la prévention, sinon à la prise en charge correcte des victimes.

Comment le certificat médico-légal peut aider le juge en cas de viol ?

Dr.NJonathan Ndzi : Un juge ne peut pas compter sur une seule preuve pour condamner quelqu’un. Le certificat médico-légal à lui seul ne suffit pas. Il faut beaucoup plus de preuves, le procès-verbal de la police, les témoignages, en plus du certificat médico-légal qui est une pièce obligatoire à fournir dans le traitement judiciaire des violations sexuelles, peuvent aider le juge à prendre sa décision. Cette obligation légale peut constituer une preuve supplémentaire qui atteste de la survenue d’une agression sexuelle. La tentative de viol et le viol requièrent la même peine.

Dans le cas de la Mauritanie, que pensez-vous de son protocole en matière de VBG ?

Dr.NJonathan Ndzi : La Mauritanie dispose d’un protocole en révision, tout comme il se fait même au niveau de l’OMS (Organisation mondiale de la santé). La mise à jour se fait partout. J’ai apporté ma contribution pour que le document puisse aider la victime. J’exhorte mes collègues médecins, infirmiers et sages-femmes, à adopter une procédure commune de prise en charge de cas aussi délicats, que ceux relatifs à la violence sexuelle, pour aider l’humanité en prenant en charge correctement les victimes.

Un dernier mot ?

Dr.NJonathan Ndzi : Je suis heureux de constater les progrès réalisés en Mauritanie dans le domaine de la santé. Parce que le protocole que vous avez, beaucoup de pays d’Afrique de l’Ouest n’en disposent même pas. Il y en a qui ont un protocole à ses débuts, ou un protocole caduc ou un protocole qui ne répond pas aux normes de l’OMS. C’est déjà un pas important.

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