Litige foncier, quand un puissant homme d’affaires cherche à dépouiller ses pauvres voisins

Article : Litige foncier, quand un puissant homme d’affaires cherche à dépouiller ses pauvres voisins
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6 octobre 2019

Litige foncier, quand un puissant homme d’affaires cherche à dépouiller ses pauvres voisins

La famille Haratine Ehel Hadrami vivait côte à côte avec celle du puissant homme d’affaires Mohamed Mahmoud Ould Atigh Ould Mohamed Abdallahi pendant des années dans ce qui n’était encore qu’une gazra à Arafat. La première cherchait un gît, l’autre, avec les preuves détenues aujourd’hui, l’accumulation de terres.

Derrière le mur cassé, des coeurs en colère (Crédit Aidara)

Lorsqu’enfin en 2009, l’Etat décida de régulariser ce vaste squat situé dans la Moughataa d’ Arafat, la famille Ehel Hadrami hérita du lot n°1574 du secteur 11 B, situé à proximité de l’Hôpital Sadagha et dans lequel elle a vécu de nombreuses années. Quand à la famille Mohamed Mahmoud, elle eut droit à trois terrains, l’une à l’emplacement de leur gazra et les deux autres dans une autre zone. Mais le puissant homme d’affaire voulait deux parcelles dans cette partie là, ce qu’il n’obtint pas. C’est ainsi qu’il jeta son dévolu sur celle de ses voisins. Une pauvre famille Haratine composée de plusieurs garçons et filles orphelins de père. Mais leur mère, Metou Mint Mohamed El Abd, décida de se battre pour remplacer le père disparu. Elle résista à toutes les tentatives de Mohamed Mahmoud. Un jour, ce dernier lui proposa de lui acheter le terrain. Ce qu’elle refusa catégoriquement. Il lui proposa le terrain contre ses deux terrains situés dans l’autre zone. Elle refusa. Il lui déclara alors la guerre. Selon les propos de sa fille, Khdeija, il lui aurait répondu : «puisque tu refuses de céder à toutes mes propositions, je t’arracherais ce terrain, j’ai de l’argent et l’administration est corruptible ».

Metou, la mère de la famille Hadrami, mènera pendant dix ans, un combat acharné contre Mohamed Mahmoud, fort du badge que l’administration lui avait délivré. Epuisée par ce long combat, à coups de va-et-vient devant les différentes administrations, qu’il pleuve ou qu’il vente, sous le soleil ardent et sous l’urgence du quotidien, Metou tomba malade, puis décéda en avril 2019.

Vulnérables après la mort de la mère

Restés seuls, les enfants Hadrami devenaient encore plus vulnérables. Plus de père, plus de mère pour les protéger. Des orphelins pauvres, issus d’une couche défavorisée et sans soutien. Mais la famille Hadrami s’arc-bouta sur son fameux Badge que l’Agence de Développement Urbain (ADU) lui avait délivré sous le n° 11 R, lui conférant la propriété des lieux (voir photo). Ce que la commission du Ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme allait confirmer après une visite de terrain (voir photo).La conclusion de la Commission de l’ADU du 26 mars 2014 est la suivante : «La Commission demande l’attribution du lot n° 1574 au recensé C8-271 et le déménagement des autres recensés ». Or, le recensé C8-271 est Hacen Hadrami. C’est sur cette base que le badge lui a été délivré. Ce que l’l’Inspecteur général du Ministère de l’Habitat, rapporté par la famille, a confirmé à deux reprises. Selon lui, «ce terrain, selon les données de base du département, appartient bel et bien à El Hacen Ould El Hadrami ».

Le badge délivré par l’ADU (Crédit Aidara)

Mais le puissant homme d’Affaires, Mohamed Mahmoud Ould Atigh était parvenu, par on ne sait quel stratagème, par obtenir plusieurs complicités. D’abord, celui d’un inspecteur de l’ADU dénommé Abdallahi qui bloqua dans les données de base de l’agence, le badge de la famille Hadrami, après plusieurs visites à la famille pour l’inciter à abandonner le combat. Puis, le préfet d’Arafat et contre toute attente, le préfet de Toujounine, qui osa contre toute prérogative se manifester à plusieurs reprises dans le dossier. Même la complicité du Wali de Nouakchott-Sud n’est pas à écarter, selon la famille Ehel Hadrami.

La conclusion de la Commission d’attribution du Ministère de l’Habitat (Crédit Aidara)

Ainsi, depuis près d’un mois, le préfet d’Arafat fait tout pour arracher la terre de la famille Hadrami au profit de Mohamed Mahmoud. Cette connivence des autorités administratives dans une affaire qui relève du Ministère de l’Habitat, a été vite perçue par les militants du mouvement Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), l’association antiesclavagiste dirigée par Birame Dah Abeid, comme un combat d’un clan composé de Maures contre une famille Harratine. Ce qui donne aujourd’hui à ce dossier litigieux une autre dimension. Celle de la domination et de l’esclavage qui continue de perdurer sous la forme foncière à l’encontre des Harratines qui sont toujours dépouillés au profit d’un clan d’oppresseurs.

La résistance des Ehel Hadrami renforcée par IRA

Ainsi, la résistance de la famille Ehel Hadrami fut-elle renforcée par l’afflux du mouvement IRA, dont les éléments se déployèrent dans la dite parcelle pour la protéger de jour comme de nuit. La famille Ehel Hadrami était empêchée depuis des années à construire sa parcelle, alors que Mohamed Mahmoud Ould Atigh avait pu en toute tranquillité clôturer la tienne, qu’il n’habite pas, en attendant de faire main basse sur le terrain contigu, celui occupé par la famille Hadrami.

Quelques membres de la famille Hadrami arrêtés au commissariat Arafat 1 (Crédit Hadrami)

Le préfet d’Arafat continue ainsi d’accentuer sa pression sur la famille Hadrami, multipliant les arrestations de militants d’IRA et de membres de la famille. Des arrestations qui s’arrêtent tous au niveau du commissariat d’Arafat 1, sans que les menaces de déferrement devant le Procureur de la République soient effectives. Puis, les arrêtés d’hier, se font relâcher le lendemain. Une vie qui régule désormais le quotidien de la famille Hadrami qui s’est même vu agressée un jour par le clan Mohamed Mahmoud. Il s’en est suivi des échauffourées aux termes desquels, le clan Mohamed Mahmoud a battu retraite, emportant ses blessés.

La complicité du préfet d’Arafat

Entre temps, la famille Hadrami qui vit dans des baraquements sordides était parvenue à ériger un mur de façade. Il ne dura pas longtemps, car le 3 octobre 2019, le préfet envoya des renforts de garde et de policiers, plus un «Caterpillar». La famille refusa que l’on casse son mur. La charge des forces de l’ordre fut impitoyable. Il n’y avait en ce moment que les membres féminins de la famille, dont une vieille femme aveugle qui sera bastonnée devant un grand rassemblement de curieux. Les filles furent traînées, battues, déshabillées. Puis, le petit mur, d’à peine 1 mètre de long sur 10 mètres de large, fut abattu. Des filles et quelques garçons en plus de quelques militants d’IRA furent arrêtés et conduits au commissariat de police d’Arafat 1. Le lendemain, ils furent relâchés. Ces arrestations s’étaient faites à l’insu du Directeur régional de la Sûreté de Nouakchott Sud.

Le préfet envoie des policiers casser le mur (Crédit Aidara)

Selon le témoignage de la famille, le préfet refuse de les écouter et de recueillir leur version. «Chaque fois, il nous dit que le type, c’est-à-dire Mohamed Mahmoud, dispose d’un badge. Et quand nous lui disons, nous aussi nous avons non seulement le badge, mais l’attestation de l’Inspection générale du Ministère de l’Habitat et de sa commission, attestant notre propriété, il bouche les oreilles ». Selon Hacen Ould Hadrami, le préfet a pris fait et cause pour Mohamed Mahmoud et ne veut rien entendre. «Le comble, selon lui, même le préfet de Toujounine, qui n’a rien à voir dans cette affaire qui ne relève nullement de sa circonscription s’est aussi immiscé dans ce dossier, car à plusieurs reprises, ce sont des forces de l’ordre venant de Toujounine qui viennent nous harceler. Nous savons que nous avons affaire à un puissant homme d’affaires qui est prêt à dépenser des fortunes pour récupérer notre parcelle, mais ce sera  en passant sur nos corps».

Lundi 7 octobre 2019, la famille Ehel Hadrami a promis de demander audience à la Ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme, pour qu’elle tranche définitivement sur ce dossier d’injustice flagrante. «Mohamed Mahmoud dispose de plusieurs terrains, alors que nous ne possédons que celui-ci. Nous ne possédons rien en dehors et si on nous dépouille, nous préférons nous immoler ici que de quitter » a affirmé Hacen, l’aîné de la famille Hadrami.

Cheikh Aïdara

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