Brisures de vie…Des migrants résidant en Mauritanie racontent leur parcours

Article : Brisures de vie…Des migrants résidant en Mauritanie racontent leur parcours
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24 août 2022

Brisures de vie…Des migrants résidant en Mauritanie racontent leur parcours

Ils sont Togolais, Béninois, Maliens, Congolais, Ivoiriens, Nigérians… Ils vivent en Mauritanie, pour certains, depuis plusieurs années. La plupart ont échoué ici, après une ou deux tentatives de rejoindre l’Europe, coincés dans ce vaste pays désertique, entre les dunes du Sahara, l’Océan Atlantique et la savane africaine. Rares parmi les personnes rencontrées sont ceux qui rêvent encore de reprendre le chemin de la migration, la majeure partie ayant choisi de rester en Mauritanie et d’y travailler.

Kalamatienne Nyome Dady

Kalamatienne Nyome Dady, président de la communauté congolaise de la République Démocratique du Congo (RDC) est en Mauritanie depuis…21 ans ! Pourtant, la première fois qu’il foula des pieds ce pays, c’était juste pour le traverser, vers l’Eldorado européen. 

Passeur indélicat

Ce sortant de l’Ecole des Beaux-Arts de Kinshasa avait tenté l’aventure vers la fin des années 90.  « J’avais payé pour cela la bagatelle de 5.000 dollars U.S à un passeur », raconte-t-il. Il n’était pas seul, selon ses dires. « Nous devrions passer par Brazzaville pour relier Nairobi au Kenya, puis de là, le Canada. Mais, ce plan fut vite délaissé par notre passeur qui proposa l’itinéraire Brazzaville-Abidjan-Paris », poursuit-il. Mais il sera bloqué à l’aéroport Houphouët-Boigny à Abidjan. Le passeur qui devait lui faciliter le trajet, lui et les autres aventuriers, avait disparu dans la nature avec l’argent. Kalamatienne se retrouva errant dans les rues de la capitale ivoirienne, dormant dans les rues, sans le moindre sou, ni le moindre habit, pendant plusieurs semaines.

Il décida alors d’aller à la recherche du passeur, après concertation avec ses autres compagnons d’infortune avec lesquels il avait gardé le contact. « Nous avions la ferme volonté de le tuer ou de nous faire rembourser », d’après ses propos. Ils le trouvèrent enfin, alors qu’il tentait de s’enfuir. Pour se tirer d’affaire, le passeur leur proposa de les faire passer par la Mauritanie, puis l’Espagne, via le Maroc. Ce qui fut fait. Une fois sur le territoire marocain, ils furent refoulés vers le poste frontalier de Nouadhibou en Mauritanie, leur porte d’entrée. « Les Marocains ne nous ont pas laissés passer » ressasse-t-il avec regret. Ils étaient au nombre de 22 personnes.

Les migrants se débrouillent comme ils peuvent (marché de la téléphonie mobile) NouakchottCrédit Aidara

La fausse équipe de football

Au poste frontière de Nouadhibou, ils se font passer pour une équipe de football de retour après un match disputé au Maroc. Leur stratagème sera vite démasqué par la police mauritanienne. Ils furent arrêtés pendant un certain temps, interrogés, puis relâchés. « J’ai séjourné pendant six mois à Nouadhibou, avant de décider de descendre à Nouakchott », se souvient-il. Pendant plus d’une demi-année, Kalamatienne raconte avoir dormi en plein air, face au restaurant « Le Palmeraie ». Le matin, il se rendait dans quelques ateliers de calligraphie. Grâce à sa formation en art, il aidait les calygraphes de la Capitale, moyennant un repas.

Après le noir, le bout du tunnel

« Un jour, c’était en 2003, un employé de Word Vision me fila un billet de 500 ouguiyas. J’ai payé de la colle et quelques matériaux pour fabriquer la maquette d’un château d’eau » débite-t-il. Il raconte l’avoir offert à son bienfaiteur, lequel en fit cadeau à l’ambassadeur américain en poste en Mauritanie à l’époque. Emerveillé par l’ouvrage, celui-ci lui en commanda deux autres, puis une description technique de son fonctionnement. Mais Kalamatienne n’avait pas de quoi acheter le matériel et le fit savoir à son ami. Ce dernier lui demanda alors d’établir une facture de ces deux château d’eau, et d’y inclure la première maquette. « Cela avait coïncidé avec l’inauguration d’un projet d’assainissement financé par les Etats-Unis à Kiffa où ma maquette avait servi pour construire le château d’eau. Je fus invité à la cérémonie durant laquelle j’ai expliqué sa conception », témoigne-t-il.

A la suite de cela, il raconte avoir travaillé comme consultant à Word Vision. Il gagna par la suite plusieurs contrats avec le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), pour divers supports de communication.

« J’ai pris en charge un compatriote pendant une année, avant qu’il ne soit engagé comme professeur d’art plastique à l’Ecole des Cadres », explique-t-il.

Kalamatienne déclare travailler comme professeur d’art plastique au Lycée Théodore Monod de Nouakchott et qu’il organise régulièrement des expositions de peinture. Il a enseigné auparavant au Lycée des Cadres, un établissement privé.

Journée internationale des migrants à Nouakchott-Crédit Aidara (archives)

Liban, puis Mauritanie, la quête infructueuse de Noah

La trentaine, le regard torve, Noah, Béninoise, vit en Mauritanie depuis 2019. « Je suis arrivée dans le pays par le biais d’une famille mauritanienne » témoigne-t-elle. Elle raconte avoir vécu pendant deux années au Liban et qu’elle a eu beaucoup de difficultés à quitter le pays. « C’est CARITAS et le HCR qui m’ont tiré finalement d’affaires après 8 mois de tractations » soutient-elle. Elle sera finalement renvoyée au Mali, sans moyens. Là, elle rencontra une famille mauritanienne qui l’engagea comme employée de maison et l’amena avec elle au pays. Noah, qui a quitté ses anciens employés, déclare avoir déposé plusieurs demandes de financement pour agrandir son commerce. En vain.

Le rescapé des bagnes russes

L’aventure de Sama Essofa Ganiou, est plus que rocambolesque. Aujourd’hui, ce Togolais d’une trentaine d’années est enseignant et vit en Mauritanie depuis 2013. « J’ai séjourné auparavant en Russie, plus précisément à Saint-Pétersbourg. Je voulais faire carrière comme footballeur », raconte-t-il. « J’ai rencontré énormément de problèmes là-bas, surtout avec des passeurs qui disaient pouvoir me faire passer vers l’Europe occidentale pour rejoindre mon oncle qui réside en Italie. Mais j’ai été grugé à chaque tentative », se rappelle-t-il avec amertume.

Finalement, il sera arrêté pour défaut de carte de séjour puis incarcéré pendant six mois, avant d’être refoulé à Lomé, via Paris. « J’ai été retenu par la police des frontières françaises, mais je suis parvenu, grâce à une connaissance, à rentrer à Paris où j’ai séjourné pendant trois mois. Informé du décès de mon papa, je suis rentre à Lomé » lance-t-il dans un soupir.

Comme sa belle-sœur vivait en Mauritanie, il regagna le pays par taxi-brousse. « J’ai débarqué en 2014 en Mauritanie où j’ai rencontré un jour le directeur de l’Ecole du Sahel qui m’embaucha comme enseignant ». Il y exercera pendant 8 années. Suite à des difficultés avec la direction, lui et d’autres enseignants quittèrent l’établissement pour créer une école privée, l’école Jeanne.

La guerre libérienne le jette sur la route de l’aventure

Agronome de formation, Gay A. Gaie a fui son pays, le Libéria, dans les années 90 à cause de la guerre. « Je suis passé d’abord en Côte d’Ivoire, avec femme et enfants. Nous y sommes restés jusqu’à la guerre civile post-électorale qui avait éclaté dans ce pays et je fus obligé de quitter laissant ma famille pour tâter notre prochain terre d’atterrissage ».

Il débarque seul en Mauritanie en 2002, dans les bagages d’un homme d’affaires américain qui s’était intéressé à son profil et qui l’avait engagé dans un projet de formation à l’intention des paysans ivoiriens. Il voulait l’engager pour le même projet en Mauritanie.  « En 2003, j’amène ma famille restée en Côte d’Ivoire. Nous avons vécu une mésaventure à la frontière mauritanienne, à Medboubou, puis après moult tractations, nous sommes venus à Nouakchott », rapporte-t-il. Ils s’installent finalement tous au cinquième arrondissement à Nouakchott, sans la totalité de leurs bagages, retenus lors de leur périple. Finalement, le projet avec l’homme d’affaires américain ne connut pas de suite et il resta jusqu’en 2007 sans grande opportunité de travail.

Un jardin exotique lui ouvre la voie de la réussite

Gaye et sa famille déménagèrent à la Cité Plage plus tard. Il y développa un jardin potager qui finit par attirer l’attention de quelques expatriés. Un agent de l’ambassade américaine à Nouakchott émerveillé par son jardin lui parla d’un appel d’offres lancé par l’ambassade d’Allemagne. « Je devais pour cela formaliser mon entreprise, ce que j’ai fait. Mais il y avait une autre difficulté, le préfinancement requis pour postuler, car je ne disposais pas de fonds », se remémore-t-il.

Mais son projet semblait plutôt intéresser les Allemands qui lui permirent de participer à l’appel d’offres et il gagna le contrat. En 2018, il acheta un terrain et y édifia un centre de formation agricole et le clôtura. Mais sa femme tomba gravement malade, ce qui l’obligea à l’amener au Sénégal pour ses soins. Entre 2019 et 2020, il séjourne en Inde. Quelques mois après son retour, en 2021, sa femme décède. Il vit aujourd’hui avec ses enfants et mène une vie laborieuse à Nouakchott.

Jef Roch Wandza

Elle migre pour rejoindre son mari

Elle est jeune et ne semble pas avoir vécu les péripéties de nombre de migrants. Joël, jeune fille ivoirienne est en effet arrivée en Mauritanie en 2014 pour rejoindre son mari, déjà installé dans le pays depuis un certain temps. Diplômé en agroalimentaire, elle travaille dans une société laitière à Nouakchott.

Elle fuit le mariage en Guinée et devient entrepreneuse en Mauritanie

Aminata Sidibé est guinéenne de Conakry. Victime de mariage forcé, elle rejoint la Mauritanie en 2007 avec son grand-frère, après son divorce. « Je suis restée longtemps sans travail, et j’ai pensé beaucoup à la migration, car beaucoup de jeunes guinéens ont séjourné chez mon grand-frère, puis sont partis en Europe ».  A chaque fois qu’elle en parlait à son grand-frère, il la dissuadait. « Finalement, il m’a trouvé un financement, ce qui m’a permis de me lancer dans l’agriculture à Rosso », se réjouit-elle.

Manque de pot

Etudiante entre 2008-2012, la crise postélectorale ivoirienne l’oblige à rejoindre sa grande sœur installée en Mauritanie. C’est l’histoire de Nadège, une jeune ivoirienne. « Ma grande sœur m’avait déniché du boulot avec une expatriée française, mais à défaut de papier, je n’ai pas pu obtenir le job », lance-t-elle avec amertume. Elle est aujourd’hui sans travail.

Mère, migrante et veuve

Fatouma Abdoulaye

« Je suis arrivée en Mauritanie en 2014 suite aux troubles dans mon pays ». C’est par cet aveu que Fatouma Abdoulaye, migrante centrafricaine, entame son récit. Veuve, elle vit avec ses enfants, sans autres ressources que celles tirées de la vente de gâteaux qu’elle place dans des commerces.

Des récits de migrants teintés de douleurs et d’espoirs

Les récits sont divers, avec pour chacun sa charge de douleurs, d’espoirs et de regrets refoulés. Ils sont tous plus poignants les uns que les autres. Les histoires se suivent mais ne se ressemblent pas, chacune avec ses hauts et ses bas. Chaque trajectoire de vie offre une facette de l’humanité. Les migrants ne sont pas que des noms, encore moins, de simples visages.

Kassim Nassim

Chaque migrant est un livre d’histoires, une page vivante. Tous m’ont marqué au cours de mes rencontres. Le Gambien Modou Lam Konteh, technicien froid qui gagne sa vie à Nouakchott, Adams Mebentamin, gérant d’un atelier d’arrivages et président de la communauté nigériane, mariée à une Mauritanienne et père de 3 enfants, Jeef Roch Wandza, président de la communauté congolaise de Brazzaville, rencontré dans le fil d’une discussion. C’est aussi le cas de la Malienne, Aîchata Sall, commerçante venue en Mauritanie en compagnie de son mari, Etienne Agossou du Bénin, directeur d’études et enseignant à l’école privée « L’Eclosion » à la Cité Plage de Nouakchott. Sans oublier Kassim Nassim, président de la communauté Sierra-Leonaise et ses filles, vendeuses de « balbastic », chaque jour confrontées aux tracasseries policières. Et la liste est longue…

Cheikh Aïdara

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