Mauritanie : Alston et sa bombe politique

Article : Mauritanie : Alston et sa bombe politique
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16 mai 2016

Mauritanie : Alston et sa bombe politique

Philip Alston

Deux évènements majeurs ont créée ces jours-ci, selon les observateurs, un véritable tsunami sociopolitique en Mauritanie, le discours de Néma du président Mohamed Abdel Aziz et le rapport provisoire de Philip Alston, Rapporteur spécial des Nations Unies pour l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. Celui-ci vient d’épingler sans ménagement le gouvernement mauritanien, accusé de marginaliser les deux tiers de sa population, à savoir, les harratines et les Mauritaniens d’origine négro-africaine.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies pour l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, Philip Alston a quitté la Mauritanie, laissant derrière lui une opinion publique profondément divisée sur ses conclusions sur la situation en Mauritanie. Si d’aucuns trouvent son rapport provisoire fidèle à la situation sociale du pays, le gouvernement mauritanien est par contre en courroux contre sa «partialité». Certains vont même jusqu’à l’accuser d’avoir semé exprès les germes d’une guerre civile en Mauritanie. Le point essentiel sur lequel se fondent ces critiques concerne la situation des harratines et des négro-mauritaniens que Philip Alston considère comme une population majoritaire mise à l’écart dans la répartition du pouvoir et des richesses. Il a ainsi mis en garde le gouvernement mauritanien «contre un risque d’instabilité en l’absence d’une répartition juste de la richesse entre ses différentes composantes ». Il estime que peu d’efforts ont été déployés pour régler les séquelles de l’esclavage en Mauritanie, que les droits essentiels à l’accès à l’eau potable, à la protection sociale, à l’enseignement et à la sécurité alimentaire ne sont pas équitablement répartis entre tous les citoyens mauritaniens, que 44% des Mauritaniens vivent dans l’extrême pauvreté, et que l’expropriation des terres agricole se poursuit  à grande échelle a profit des investisseurs. Il s’en est enfin pris aux partenaires de la Mauritanie leur reprochant de ne pas négocier assez sur certaines priorités fondamentales lors des réunions qu’ils initient avec le gouvernement mauritanien.
Ces propos de Phlilp Alston ont été distillés lors de la conférence de presse qu’il a animée le 11 mai 2016 à Nouakchott après un séjour de dix jours en Mauritanie au cours duquel il a visité plusieurs villes et localités, s’entretenant avec les populations locales et les autorités administratives, rencontré plusieurs hauts responsables mauritaniens, les partenaires au développement et une partie de la société civile mauritanienne.

Tollé d’indignation officielle
Le gouvernement mauritanien, par le biais du Commissariat aux droits de l’homme et à l’action humanitaire, mais aussi celui de plusieurs acteurs de la société civile, ont vivement réagi aux propos de Philip Alston. Une totale désapprobation par rapport au contenu de la déclaration qu’il a publiée, suite à la visite qu’il a effectuée du 2 au 11 mai 2016 en Mauritanie. Le commissariat aux droits de l’Homme épingle ainsi la «partialité d’un expert censé être indépendant et qui a clairement épousé les thèses de certains milieux et ONG hostiles au pays, dont les seuls objectifs sont de porter atteinte à la cohésion nationale et aux importants acquis enregistrés dans les domaines politique, économique et social ».
Ainsi, le Commissariat reproche au Rapporteur spécial d’avoir délibérément occulté les zones où d’importantes réalisation ont été accomplies par l’Agence Tadamoun pour se focaliser sur les rapatriés du Sénégal et sur les populations qui arguent d’avoir été expropriés par l’Etat, d’avoir travesti la réalité sociale en Mauritanie sur de prétendues exclusions des Harratines et des Négro-mauritaniens, d’avoir avancé des chiffres sans s’appuyer sur des données réelles.
Certains milieux diplomatiques mauritaniens ont relevé le manque de niveau de Philip Alston dans le domaine spécifique des usages diplomatiques et sa faible personnalité qui le porte à se laisser influencer facilement. Ces sources pensent que le rapport de Philip Alston pourrait même être remis en cause par les instances des droits de l’Homme de l’ONU si elles y sentent une quelconque partialité et si le gouvernement mauritanien élève le ton, ce qui pourrait donner lieu à une contre-enquête.
Sur cette même lancée, les Acteurs non étatiques mauritaniens (ANEM) composés de 19 groupes thématiques concernés pour la plupart par la lutte contre la pauvreté avaient exprimé leur stupéfaction face aux déclarations de Philip Alston, s’étonnant même de n’avoir pas fait partie des acteurs de la société civile avec lesquels le Rapporteur spécial des Nations Unies s’est entretenu au cours de son séjour en Mauritanie. Les ANEM considèrent ainsi que «le rapporteur spécial a fondé l’essentiel de ses conclusions sur des données tendancieuses offertes comme à l’accoutumée par des fonctionnaires du bureau local du Haut commissariat des droits de l’homme de l’ONU » toujours enclins à induire en erreur les experts qui ne prennent garde.

Parfait accord avec Philip Alston
Bien qu’aucun leader de parti politique de l’opposition ni syndicat ne se soit jusqu’à présent prononcé par rapport au discours de Philip Alston, beaucoup d’observateurs ou étrangers ont rejoint son constat. L’ambassadeur chef de la Délégation de l’Union européenne en Mauritanie, Jose Antonio Sabade n’est pas loin de ces conclusions. Lors de la célébration de la Journée de l’Europe, le 9 mai 2016, bien avant la sortie de Philip Alston, il avait déclaré qu’aucun pays «ne peut se développer en excluant la moitié de sa population », promettant l’appui de l’Union européenne aux autorités et à la société civile mauritanienne «pour continuer à avancer vers une Mauritanie plus stable, plus inclusive et plus prospère, qui met l’accent sur l’unité nationale et la volonté de vie et de progrès partagés de toutes les communautés et tous les citoyens ». Certains y ont perçus des allégations claires sur l’exclusion de plusieurs pans de la communauté mauritanienne des cercles de décision politique, économique, sociale et sécuritaire, et d’une réelle fragilisation de l’unité nationale et de la cohésion sociale en Mauritanie.
Des acteurs politiques de l’envergure du Pr.Lô Gourmo du parti Union des forces du progrès (UFP) ont réagi sur leur page facebook. Pour Lô Gourmo, «jamais un rapport n’a été aussi loin dans la description de la réalité économique et sociale de la Mauritanie que celui que vient de rendre public le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, Philip Alston, après une visite de terrain dans le pays ». Ainsi, selon lui, «le passage du discours du Chef de l’Etat à Néma, accusant les pauvres, surtout descendants d’esclaves, d’être à l’origine de leur propre misère prend un relief particulier, à la lecture de ce rapport ». Ainsi, pour Me Gourmo, Alston a bien raison de dire que le régime actuel poursuit une «politique de charité » vis-à-vis des pauvres, que les Haratines et les Négro-mauritaniens sont marginalisés, que les terres de la Vallée sont accaparées, que les injustices et les inégalités sont criantes, que les réalisations «tape-à-l’œil » sont courants, tels cette école «Taj Mahal » bâti au prix de 80 millions d’UM en zone rurale au milieu de la misère. OUI, affirme Gourmo «le rapport met le doigt sur l’exclusion active par l’Etat de catégories entières de la population, surtout les harratins et les négro-mauritaniens qui sont devenus les principales cibles des politiques discriminatoires pratiquées à grande échelle par le gouvernement mauritanien ». Pour lui, «les richesses sont inégalement réparties et sont accaparées par diverses clientèles affiliées au pouvoir ».
Beaucoup trouvent que le rapport de Philip Alston est juste et que pour la première fois un responsable onusien rompt avec la langue de bois pour décrire crûment ce qu’il a vu et constaté sur le terrain de ses observations. Selon eux, les autorités devaient le prendre au sérieux pour en tirer les bonnes solutions au lieu de jouer aux outrés et aux indignés.

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