21 décembre 2016

Réparation des fistules obstétricales : une pathologie grave et taboue en Mauritanie

Une mission chirurgicale spécialisée dans la réparation des fistules obstétricales vient de séjourner en Mauritanie pendant huit jours.Une vingtaine de femmes en provenance de plusieurs localités du pays ont été opérées, d’une pathologie très handicapante,  à l’hôpital Mère et Enfant de Nouakchott ainsi qu’au centre hospitalier de Kiffa.

Réparation de fistule en cours à l’hôpital Mère et Enfant de Nouakchott

 

Arrivés mercredi 15 décembre dernier à Kiffa, capitale de la Wilaya de l’Assaba, les médecins-chirurgiens Claude Dumurgier et Ludovic Falandry, tous deux membres de l’association française «Équilibre et Population» et officiers retraités de la santé militaire, ont procédé à la réparation chirurgicale de quelques patientes.

Elles sont encore quelques 2.000 femmes au Sahel et en Afrique Australe à souffrir de la fistule obstétricale. Il s’agit d’une pathologie qui se manifeste par une communication anormale entre la vessie et le vagin, parfois entre ce dernier et le rectum. Il est dû à un accouchement laborieux qui se prolonge ou une opération chirurgicale mal menée. Les victimes sont souvent de jeunes filles au bassin immature pour une grossesse et sans accès aux soins obstétricaux d’urgence. Elles vivent souvent cachées dans des zones éloignées des centres urbains, dans des milieux pauvres et analphabètes. Elles ne peuvent plus retenir leurs urines ni leurs matières fécales, ce qui entraîne leur abandon par leur conjoint et la communauté.

Former des médecins mauritaniens à l’opération 

«Cette mission à Kiffa entre dans le cadre de la prise en charge de malades, mais aussi de la mise en place d’un partenariat pérenne avec le «Women Alliance Health Association (WAHA) dirigée par le Dr. Sinan, un français d’origine libanaise», a déclaré le Professeur Amar Ould Mohamed Lemine, chirurgien et responsable de la Santé de la Reproduction (SR) à l’UNFPA.

Selon le Pr.Amar, le plateau technique du nouveau Centre hospitalier de Kiffa, inauguré il y a juste quatre mois par le Premier ministre, pourrait être amélioré avec l’appui de l’association WAHA à travers un projet de prise en charge de la fistule obstétricale.

Il a précisé que la présente mission, la douzième du genre depuis 2005, entre dans le cadre du partenariat traditionnel entre le Ministère mauritanien de la Santé, à travers le Programme National de la Santé de la Reproduction (PNSR), le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) et l’association française «Equilibre et Population». Cette coopération tripartite a permis, selon le Pr.Amar, de former plusieurs chirurgiens mauritaniens à cette technique complexe qu’est la réparation des fistules.

«Aujourd’hui, a-t-il souligné, chaque région dispose d’une équipe de chirurgiens nationaux de la fistule simple, mais les cas les plus graves ou désespérés requièrent encore des mains plus expertes, celles des coopérants étrangers».

Un jour avant leur arrivée à Kiffa, les chirurgiens français, dont le célèbre magazine français «Paris-Match» vient de consacrer un article intitulé «Les femmes pestiférées d’Afrique», avaient déjà opéré quatre femmes à l’Hôpital «Mère et Enfant» de Nouakchott, où ils ont poursuivi les opérations dès leur retour le samedi 17 décembre dernier. En tout, plus d’une vingtaine de femmes souffrant de fistules obstétricales en provenance de Nouadhibou, ainsi que des alentours de Boghé, Kaédi et Barkewol, sont passées sous leur bistouri.

Des conséquences graves pour les femmes souffrantes 

Des histoires de vies brisées pendant des années pour certaines, plus d’une ou deux décennies pour d’autres. L’isolement, la honte, le désespoir. Aujourd’hui, l’espoir d’une guérison. Que cela soit à Kiffa avec Toumana Mint Heymani de Kankossa ou Tanje Mint Abdemou de Barkewol, ou à Nouakchott avec les Aïssata Alpha, les Zahara ou les Messouda, l’espérance d’un bien-être social retrouvé prenait le dessus sur l’angoisse d’une opération chirurgicale douloureuse.

En 2003, l’UNFPA et d’autres partenaires avaient lancé une campagne mondiale intitulée «End Fistula» pour l’éradication de la fistule obstétricale. En Mauritanie, la première mission de réparation chirurgicale date de 2005 avec l’ONG française «Equilibre et Population». Depuis, plusieurs dizaines de malades pratiquement condamnées ont été guéries.

«Nous sommes des mortes qui marchons. Nous aurions préféré être mortes» disait l’une d’elles. La fistule était en effet il y a quelques années, la maladie du désespoir. Les malades avaient pratiquement pour devise «Guérir ou mourir», d’où les nombreux cas de suicide enregistrés il y a encore quelques décennies, avant l’apparition de la chirurgie réparatrice, chez les fistuleuses. Pour le Pr.Amar, «nous restaurons les femmes et nous leur redonnons leur dignité».

Interview Dr.Aïssata Bâ, Directrice Hôpital «Mère et Enfant» de Nouakchott

«La fistule obstétricale est devenue partie intégrale de nos activités» Tout juste sortie du bloc opératoire où elle assistait à une réparation de fistule par les médecins français, MM.Claude Dumurgier et Ludovic Falandry, Dr.Aïssata Bâ, Directrice de l’Hôpital «Mère et Enfant» de Nouakchott nous a livrés ses impressions.

Dr Aïssata Bâ, en blouse blanche

 

Comment s’effectue le repérage des malades de la fistule et leur prise en charge ?

Le rapprochement avec les malades est devenu plus facile contrairement au passé. La fistule est désormais intégrée dans les activités normales de l’hôpital. Grâce aux campagnes, la fistule n’est plus cette malédiction, ni cette honte qui confinait les familles à cacher leurs malades, l’espoir de guérison ayant supplée le fatalisme d’antan. Aujourd’hui, nous avons d’éminents spécialistes de la réparation chirurgicale, tels le Dr.Diagana et le Dr.Mélaïnine, mais aussi de bons taux de guérison, de l’ordre de 70%. Cette présente mission a relevé l’existence encore de beaucoup de fistule et peu d’incontinence.

Quel rôle l’UNFPA joue-t-il dans vos efforts pour l’éradication de la fistule ?

L’UNFPA est notre premier partenaire, celui qui nous a accordés notre premier financement dans la prise en charge entière des malades (équipements, opérations, alimentation, billet retour des malades, programme AGR). Nous souhaitons que l’UNFPA continue ses appuis, car le besoin est réel en matière de fistule obstétricale, une maladie provoquée par un accouchement difficile mais aussi parfois par une intervention médicale. On les traite de la même façon par une prise en charge totale et gratuite. Nous sensibilisons également les centres de santé dans le diagnostic et le référencement.

Interview du Pr.Ludovic Falandry : «Il y a autant de fistules qu’il en existait»

Le Pr.Ludovic Falandry, président de l’Association française «Equilibre et Population»

Dr.Ludovic Fallandry à l’extrême droite en compagnie du Dr.Dumiergier (à gauche), un médecin chinois de l’hopital de Kiffa et Dr.El Vak directeur de l’hôpital

 

Parlez-nous un peu Professeur de cette mission chirurgicale contre la fistule à Kiffa…

Dans son format global, cette mission de huit jours est le fruit d’un partenariat entre le PNSR que dirige Dr.Mahfoufh Ould Boye, l’UNFPA avec le Pr.Amar et «Equilibre et Population». Il s’agit d’une mission exploratoire qui devra déboucher sur un partenariat plus productif et plus élargi.

En dehors de Kiffa, des opérations sont-elles prévues ailleurs, à Nouakchott, par exemple ?

Oui, bien sûr. Nous avons identifié une vingtaine de cas, dont 4 ont déjà été opérées avant notre arrivée à Kiffa, et d’autres sont également programmées à Nouakchott, dès notre retour.

Peut-on avoir une idée sur l’évolution de la fistule en Mauritanie depuis votre première visite en 2005 ? Y a-t-il plus ou moins de patientes ?

Il y a autant de fistuleuses qu’avant. Il faut comprendre qu’il s’agit d’une affection que les populations continuent de cacher comme une honte. Tant que les réparations chirurgicales ne feront pas l’objet de programmation régulière et continue, les cas vont s’accumuler. Si le nombre de malades a sensiblement diminué grâce aux efforts du PNSR, il y a encore toutes celles qui n’ont pas encore été repérées et opérées, et ça s’accumule, s’accumule, faute d’une prise en charge ordonnée et régulière. Il faut une réelle prise de conscience et davantage d’efforts pour la prise en charge médicale.

On sait qu’il existe aujourd’hui une certaine expertise nationale en matière de réparation des fistules, mais les ONG spécialisées se plaignent encore de l’absence de cette prise en charge programmée ?

(Le Dr.Mahfoudh Ould Boye pend la parole). L’Hôpital «Mère et Enfant » est actuellement un centre de référence en matière de prise en charge de la fistule obstétricale. Elle l’a intégrée dans ses activités. Elle compte actuellement de bons chirurgiens de la réparation obstétricale, comme le Dr.Diagana et le Dr.Hemeine.Mais il y a toujours des cas compliqués qui nécessitent l’expertise internationale, en particulier celle de l’association «Equilibre et Population». Certes, sur le plan local, la prise en charge ne pose plus de problème, car elle est aujourd’hui assurée dans tous les hôpitaux régionaux. Le problème continue de se poser au niveau du recrutement des malades et de la prise en charge sociale qui incombe à la société civile. Or, nous ne disposons pratiquement pas d’ONG spécialisées dans le domaine.

 

Mme Seydi Camara, Présidente de l’ONG AFVD

«La prise en charge médicale pose problème»

Mme Seydi Camara, présidente AFVD

 

Partenaire privilégiée de l’UNFPA dans l’éradication de la fistule obstétricale, l’Association des Femmes Volontaires du Développement (AFVD) que dirige Mme Seydi Camara, se plaint de l’irrégularité des missions chirurgicales pour la réparation de la fistule obstétricale. «Parfois, on parvient à recruter des fistuleuses, mais faute de programmation, elle se disperse» regrette-t-elle. Depuis sa création en 2006, l’AFVD a recruté 150 fistuleuses dans la région de l’Assaba, des deux Hodhs et du Guidimagha. «Parmi elles, 50 ont été opérées et guéries et 35 d’entre elles ont bénéficié de programme de réinsertion par AGR interposé grâce à l’appui de l’UNFPA, notre principal partenaire » selon Mme Seydi Camara.

L’AFVD, qui regroupe plusieurs volontaires dont des sages-femmes, dispose d’un centre d’accueil et d’hébergement d’une capacité de 20 femmes à Kiffa, où les malades ramenés des hameaux les plus lointains sont regroupés et pris totalement en charge, avant l’arrivée de chaque mission chirurgicale. Elle s’occupe également des soins postopératoires jusqu’au rétablissement complet des patientes, à qui elles fournissent outre le gîte et le couvert, le billet retour pour celles venant de loin. Dès la sortie du bloc opératoire, l’association leur offre aussi à chacune une couverture, un drap, un sceau, des couches, une bouilloire et du savon.

Centre hospitalier de Kiffa : «Un joyau à préserver»

Ce qui était au départ qu’une simple extension de l’hôpital régional de Kiffa, a fini par devenir un véritable centre hospitalier flambant neuf, bâti à l’extrême Est de Kiffa, renvoyant dans les annales de l’histoire, l’ancienne structure aujourd’hui presqu’à l’abandon. Son directeur, Dr.El Vak Ahmed Barka, nous en parle dans cet entretien. Plusieurs fois Directeur régional, directeur d’hôpital, médecin-chef, le Dr.El Vak est pour certains observateurs, l’un des meilleurs gestionnaires hospitaliers du pays. Au crépuscule de sa carrière, il fait partie de ses soldats de l’ombre, proche des populations et loin des rampes.

Dr El Vak, directeur du Centre hospitalier de Kiffa

 

Comment est née le nouveau centre hospitalier de Kiffa ?
Le Centre hospitalier de Kiffa a été inauguré le 5 août 2016 par le Premier ministre, M.Yahya Ould Hademine. Au départ, l’idée était juste de procéder à une simple extension de l’ancien hôpital régional. C’est pourquoi je crois qu’il ne faut jamais désespérer et les bons dossiers finissent toujours par réussir. Il faut dire que la naissance de cet hôpital relève d’une réelle volonté politique, notamment celle du président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz. Il avait souscrit à l’idée de doter Kiffa, d’une véritable structure interrégionale capable de désengorger les hôpitaux de Nouakchott en retenant tous les patients en provenance de l’Est de la Mauritanie. Il a été construit en deux années avec l’appui de la coopération chinoise ;
Cet hôpital dispose pratiquement de tous les services, 13 spécialités médicales pour le moment, gynécologie, urologie, chirurgie générale, traumatologie, cardiologie, pédiatrie, entre autres. Seuls nous manquent quatre ou cinq spécialités, dont la neurologie et la psychiatrie.

Comment fonctionne le service des urgences ?

Le service des urgences fonctionne 24 heures sur 24. Il dispose d’un bloc opératoire d’urgence, d’un laboratoire, d’un service de pharmacie, de la radiologie, et de tous les services d’urgence requis.

Pas d’insuffisance au niveau de la ressource humaine ?

Il ne nous manque que des techniciens supérieurs en radiologie et laboratoire notamment. Mais sur le plan médical, on ne souffre d’aucune insuffisance. Nous avons assez de médecins, de sages-femmes, d’infirmiers et de spécialistes pour couvrir tous les besoins d’un centre hospitalier classique.

N’y a-t-il pas de problème d’ambulance ?

Les ambulances, nous n’en avons réellement plus besoin, car le taux d’évacuation vers Nouakchott a beaucoup diminué. Les malades en provenance des Hodhs sont désormais orientés vers le centre hospitalier de Kiffa, notamment ceux en provenance des villes comme Tintane, Tamchakett, Koubenni, etc. Il y a surtout le service de réanimation qui a beaucoup freiné les évacuations.
Et sur le plan des équipements médicaux ?

Le centre hospitalier de Kiffa dispose de tout le matériel nécessaire pour le fonctionnement d’un véritable complexe médical, à part quelque matériel d’ORL ou quelque matériel de chirurgie.

La maintenance est-elle assurée d’une manière suivie ?

Nous avons lié contrat avec quatre sociétés privées pour l’entretien des locaux, le nettoyage et la propreté de l’hôpital. Pour ce qui est de la maintenance des équipements, ces derniers sont garantis encore pendant une année par la partie chinoise.

Comment l’hôpital assure-t-il son financement ?

Le Centre hospitalier est financé à 60% par le budget de l’Etat et à 40% par les recettes propres. L’Etat prend en charge le salaire des fonctionnaires, alors que des contrats ont été passés entre le Ministère de la Santé et quelques médecins étrangers, en l’occurrence cinq médecins syriens. Les huit médecins chinois qui travaillent au sein de l’hôpital sont quant à eux payés par leur Etat. L’hôpital ne paye directement que le personnel subalterne (planton, secrétaires, etc). ou deux techniciens.

Quel est l’impact de l’hôpital de Kiffa sur les populations ?

L’impact du nouveau centre hospitalier de Kiffa est qu’il a beaucoup aidé dans la rétention des malades des régions orientales qui étaient systématiquement évacués vers Nouakchott. Il a aussi beaucoup contribué à la baisse de la mortalité hospitalière, car beaucoup de patients mouraient en cours de route avant d’arriver à Nouakchott à cause du long trajet à parcourir. Il a ainsi beaucoup participé à l’amélioration des taux de guérison. Auparavant, la durée moyenne des hospitalisations était de 4 jours, aujourd’hui il est de 2,5 jours. Ce qui est une grande performance, car cet indicateur montre que les malades guérissent beaucoup plus vite.

Et sur le plan de la mortalité maternelle ?

Très faible, presque rare. Les femmes ne meurent pratiquement plus en milieu hospitalier mais en dehors des structures de santé, pendant leur transport, par exemple ou leur accouchement à domicile. La réanimation a beaucoup contribué à lutter contre la mortalité maternelle qui était causée en grande partie par les crises d’éclampsie. Certes, nous continuons à connaître des insuffisances en matière de banque de sang, mais nous ne manquons jamais de sang lors des opérations, soit en faisant recours aux proches des malades ou très souvent, grâce aux élèves de l’école militaire que je tiens particulièrement ici à remercier pour leur apport indéfectible en matière de don de sang.

Cheikh Aidara

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