7 janvier 2018

Traversées Mauritanides : un creuset littéraire

Pendant une dizaine de jours, du 13 au 20 décembre 2017, les rencontres littéraires de Nouakchott, «Traversées Mauritanides», ont enchanté la ville pour la 8e année consécutive. De nombreux auteurs étaient présents tels Marguerite Abouet, Mamadou Kalidou Bâ, Laetitia Beaumel, Mbarek Beyrouk, Aïchetou Camara, Marième Derwich, Bilal Hamzata, Moulaye Hacen, Eddy Harris, Cheikh Saad Bouh Kamara, Yacoub Mohamed Khattari, Idoumou Mohamed Lemine, Kadiata Sall, Brahim Bacar Sneiba… Des écrivains venus du Canada, de la Côte-d’Ivoire, de la France, des Etats-Unis et bien sûr de la Mauritanie. Tous ont offert le meilleur d’eux-mêmes, au grand bonheur des amoureux du livre et des débats, ainsi que des élèves présents.

Huit éditions, sans interruption pour une manifestation, c’est la preuve d’une énergie soutenue et certaine. Le succès retentissant de la 8ème édition a convaincu plus d’un que la Mauritanie est capable d’accueillir de grands événements littéraires. Il suffit juste d’en offrir cadres et ressources. Même si les ressources ne sont pas ce dont dispose réellement l’association Traversées Mauritanides, qui s’investit sans compter, depuis le lancement de ses rendez-vous en 2010. Petit à petit Traversées Mauritanides, portée par l’écrivain et homme de cultures Bios Diallo, s’est imposée au fil des ans comme une rencontre des intelligences et du bon goût. Celle des belles lettres, de l’écriture et de la lecture, autant de valeurs à recréer dans un monde où les nouvelles générations sont portées sur d’autres mécanismes que le contact avec les livres, surtout la version papier.

Affiche de l’édition et photo de famille (Crédit : Traversées Mauritanides)

 

«Ecrits, sourires de vies»
En 2016, les auteurs avaient évoqué les villes et leurs murmures, cette année les invités de la 8ème édition des «Traversées» ont planché sur ce qui pourrait être perçu comme une résultante de nos espaces confinés voire délétères. Autrement dit, comment conjuguer vie et écriture ? Ecrit-on pour supporter la vie ou devons-nous sourire de tout, du plus gai au plus dramatique ? «Ecrits, sourires de vies», tel est le thème autour duquel s’est tissée la réflexion des différentes tables-rondes.

Le défi de la lecture fut l’ultime mission des rencontres :
Selon Bios Diallo « il faut multiplier les approches. Trouver des pistes. Faire venir des auteurs, en vie (dit-il en riant), permet de montrer aux jeunes que tous les écrivains ne sont pas morts et qu’ils ne sont pas que dans le papier ou sur des images de télévisions. Par leur présence on pourra d’avantage stimuler les rétissants».  Il se retourna ensuite pour répondre à une question posée par une élève (et à laquelle la plupart des invités a dû répondre) : «la parole dite et écrite est-elle suffisante pour redonner le sourire ?» Un questionnement qui a entretenu les idées, la plume et l’humour, car chacun y est allé de son argumentaire. Moments rares que permet le jeu de la littérature qui s’exporte joyeusement dans les rencontres au bout d’une rue, d’un café, de visites en milieux scolaires, de conférences, de spectacles de contes et joutes poétiques. Cette année, comme par le passé, les espaces d’accueils ont été les écoles Diamly, les Sablettes, le Lycée français Théodore Monod, l’Institut français de Mauritanie (IFM), le Musée National, le Centre culturel marocain, le Racing Club, Le Petit Centre Extension

 

 

Des brochettes venues de …

Laetitia Beaumel, Française résidant au Canada et dont le recueil de poésie «Il n’existe jamais que la moitié du ciel» a reçu en 2017 le prix Piché de poésie de l’Université du Quebec, a été un vrai faisceau de lumière dans les écoles nouakchottoises. De commerce facile, souriante et tenant partout les enfants dans ses bras, elle a senti un grand plaisir à aller dans ces lieux de découverte, dans « cette chaleur » de Nouakchott.

Ecrivains lors d’une table ronde. (Photo : Traversées Mauritanides) De g.à dr. : Khattri, Bakar Sneiba, Eddy, Modératrice, Marième, Mbareck.

Eddy Harris, écrivain-voyageur, journaliste de formation et auteur de plusieurs ouvrages («Mississipi Solo» ou encore «Life in Harlem») a fait le bonheur aussi bien des scolaires que du public intellectuel de Nouakchott avec son humour à fleur de peau. On se souvient de ses formules, à dire de lui-même qu’il n’est pas sérieux ou sérieux en rien, ses analyses et prises de paroles ont toujours fait l’objet des plus grandes attentions. Africain-Américain vivant depuis plus de vingt ans en France, avec plusieurs voyages en Afrique et à travers le monde, Eddy Harris a le dialogue des cultures dans les lectures. Mesure et lucidité constituent ses forces et créent l’attraction de ses écrits.

Egalement au rendez-vous, Intagrist El Ansari, le plus Mauritanien des Maliens, et pour cause : il a fait de la Mauritanie depuis de nombreuses années sa… patrie. Il n’a manqué aucunes des Traversées Mauritanides depuis le début. Son savoir et son dialogue des humanités, c’est aux jeunes qu’il aime les transmettre. Semer à la source de l’humain est son approche.

Invité à participer à cette édition, l’écrivain tunisien Yamen Manai, Prix des Cinq Continents de la Francophonie en 2017 pour son roman «L’Amas ardent», n’a malheureusement pu faire le déplacement. Mais ce n’est que partie remise car les organisateurs tiennent à sa présence, peut-être pour la prochaine édition !

Mauritanie

Les rencontres littéraires ont réservé, comme d’habitude, une grande place aux auteurs mauritaniens : MBareck Beyrouk, Prix Ahmadou Kourouma 2016 pour son roman «Le Tambour des Larmes», Idoumou Mohamed Lemine, auteur de plusieurs romans dont le dernier en 2016 est «Le Fou d’Izziwane », Brahim Bakar Sneiba «Soufi, le mystique qui faisait peur», Dr MamadouKalidou Bâ, auteur de plusieurs études littéraires, qui vient de se mettre à la fiction avec le roman «La résistance pacifique», les militantes et engagées Marième Derwich et Aichetou Camara, auteures respectivement du recueil de poésie «Mille et un Je»  et du roman Au-delà des frontières. La programmation a recherché  certaines personnes qu’on avait perdu de vue : Yacoub Mohamed Khattari, auteur du roman «Les résignés » sur l’esclavage, et Kadiata Sall, nouvelliste et auteure de «Almoudo mon frère » et « Moun… ». En compagnie de leurs homologues invités, les écrivains mauritaniens marquent leur présence. Les élèves commencent à se familiariser avec leurs textes qu’ils ont l’opportunité de travailler chaque année, d’ailleurs les encadreurs, du primaire à l’université, en redemandent ! Une perspective est à l’étude, entre les différentes parties, pour une présence plus régulière de ces productions, même hors des dates du festival.

La grande attraction de cette 8ème édition des Traversées Mauritanides, fut sans doute la venue de l’Ivoirienne Marguerite Abouet dont l’arrivée à Nouakchott a suscité l’enthousiasme des enseignants et des élèves qui avaient lu son best-seller «Aya de Yopougon», (l’album en 6 volumes est porté à l’écran). Portée par le succès de ses écrits et images, Marguerite était attendue sur tous les sites. Dans les écoles il a fallu réaménager des plages horaires en sa présence pour donner satisfaction à tous, parents compris ! On la hélait dans les rues, à la plage… Jusque dans les banques où on la faisait signer des autographes sur des programmes ou feuilles volantes. L’auteure d’Akissi, C’est la vie (série télévisée) et du Commissaire Kouamé (polar BD sorti peu de temps avant cette rencontre) dit elle-même : « j’ai rarement eu de si sympathiques accueils. Les jeunes mauritaniens sont attachants, pleins d’humour et d’amour. Après les rencontres, les échanges se poursuivaient pendant longtemps. Les filles ont exposé, en des termes clairs et précis, leurs lectures et préoccupations. On a senti une réelle soif de savoir. Au-delà de mes personnages, j’ai senti ici la nécessité de m’engager davantage pour la jeunesse, l’éducation, la lecture et la circulation de la culture. Et pour un vivre-ensemble aussi ».

Des rencontres qui font de la place aux autres

Table-ronde arabe avec le jeune prodige Moulaye Hacen (Photo : Traversées Mauritanides)

Traversées Mauritanides, malgré sa forte programmation marquée en langue française, s’est aussi toujours voulue comme le creuset des diversités. A chaque édition, une place est faite à divers moyens d’expressions, notamment à la littérature en langue arabe. Cela permet de s’ouvrir aux Mauritaniens et à tous ceux qui sont liés à cette expression linguistique et culturelle. Ainsi, la conférence «Ecrire le sourire de ma vie», modérée par l’universitaire Bilal Hamza, a connu un moment fort en échanges en arabe avec le jeune Moulaye Hacen, par ailleurs journaliste-bloggeur que d’aucuns découvraient se demandant si on pouvait l’écouter plus souvent, ont également participé Mohamed Abdallahi Bellil, Tarba Mint AmarDes rencontres se sont aussi faites en anglais, à l’université et à l’Iserie.

Au final, la 8ème édition des rencontres Traversées Mauritanides a de nouveau tenu son pari en réunissant autour d’illustres écrivains la famille scolaire, les amoureux des livres et des débats. Les réactions, à l’issue de cette semaine de brillants échanges, montrent un engouement certain autour de cette manifestation. Reste à espérer d’intéressantes perspectives grâce aux soutiens forts des autorités et des mécènes. Car les pressions et sollicitations deviennent de plus en plus importantes, surtout de la part des groupes scolaires et des jeunes assoiffés de lecture, malgré la présence indéniable des nouvelles technologies et des réseaux sociaux.

Au soir de la clôture, l’ensemble des organisateurs (équipe de bénévoles, de professeurs, d’étudiants et d’éducateurs sociaux) a tenu à saluer et à remercier les sponsors sans lesquels un tel événement ne pourrait se produire : le Ministère de la Culture, l’Organisation Internationale de la Francophonie, les ambassades de France et des Etats-Unis en Mauritanie, l’IFM, Kinross Tasiast, la BNM, la CUN, l’Alliance franco-mauritanienne, la Royal Air Maroc, le SMGP, l’Unicef, les hôtels Wissal et Halima. Le tout dans une ambiance poétique de slams, de contes et de scène théâtrale avec des écoles et les artistes.

Vivement l’édition 2018 !

Cheikh Aidara

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