Rôle de la Société civile dans l’emploi et l’entreprenariat des jeunes en Mauritanie

Article : Rôle de la Société civile dans l’emploi et l’entreprenariat des jeunes en Mauritanie
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13 avril 2019

Rôle de la Société civile dans l’emploi et l’entreprenariat des jeunes en Mauritanie

L’ONG ECODEV a organisé, à l’occasion de ses vingt-ans et en marge de son Assemblée générale annuelle des 10 et 11 avril 2019 à l’hôtel Mauricentre de Nouakchott, un débat très animé sur «le rôle de la société civile dans l’emploi et l’entreprenariat des jeunes en Mauritanie ». Ce débat a été animé par un panel composé de Diop Zeynabou Coulibaly, Directrice de Programmes à OXFAM, Mohamed Bakar Teïss, Ingénieur, directeur général de Helma Forage et président du Club des entrepreneurs de Mauritanie, Mohamed Lemine Atigh qui a dirigé des centres de formation professionnelle (CFPP) dans plusieurs régions du pays et Sidi Khalifou, entrepreneur et Président d’ECODEV.

Les panélistes (Crédit Aidara)

D’entrée de jeu, Haroun Ould Sidatt, expert en entreprenariat et modérateur du débat, a campé le contexte mauritanien et son paradoxe, avant de baliser le terrain pour les panélistes. Auparavant, Mohamed Lemine Ould Abde, membre du Conseil d’Administration d’ECODEV avait adressé, au nom de l’ONG, ses remerciements aux invités et aux participants.

Le paradoxe de l’emploi en Mauritanie

La population mauritanienne est majoritairement jeune, a souligné Haroun Sidatt, soit 60% âgée entre 16 et 35 ans. Une population qui serait selon lui un potentiel extraordinaire de développement si elle est bien utilisée mais aussi une bombe sociale si elle est délaissée, surtout dans un Etat en construction comme la Mauritanie dont les structures sont encore faibles. Il dira que le problème de préparation de cette jeunesse à prendre le relais dans la conduite du pays se heurte aujourd’hui à des défis majeurs sur le plan de l’éducation, de la formation et de l’insertion professionnelle, autant de facteurs qui ne suivent pas selon lui la forte cadence de l’évolution démographique du pays, avec une masse de 50.à 65.000 jeunes, dans la plus optimiste projection, qui rejoigne chaque année un marché du travail qui ne peut en absorber que 12.000.

Cette jeunesse, selon le modérateur, souffre du dysfonctionnement d’un système éducatif, formatif et socioprofessionnel biaisé, marqué par l’absence d’homogénéité dans le parcours des jeunes, avec des jeunes diplômés, des jeunes instruits sans diplôme, des sans éducation, des recalés de l’enseignement. Et toute cette masse de jeunes n’a que trois solutions, rejoindre le secteur public qui recrute au compte-goutte, juste pour remplacer les fonctionnaires partis à la retraite, le secteur privé en construction, sans diversité et sans capacité compétitive, ou créer sa propre entreprise. Le tout est  cependant servi par un cadre d’investissement national peu attractif, avec des déficits criants en infrastructures dans toutes les régions de l’Intérieur, faisant de Nouakchott, le point de ralliement de tous ceux qui veulent ouvrir une entreprise viable.

Le paradoxe de la situation mauritanienne en matière d’emploi et d’entreprenariat a été ressorti, selon Haroun Sidatt, par une étude qui a comparé le nombre exorbitant de jeunes sans travail en Mauritanie et les possibilités offertes par le secteur agropastoral qui serait capable d’absorber 100.000 jeunes chaque année et le secteur halieutique qui pourrait faire travailler annuellement  300.000 jeunes. Ceci sans compter le secteur des Nouvelles technologies, le modérateur citant en exemple le nombre d’emplois créés à Nokhta Sakhina, mais aussi les Start Up de plus en plus nombreux, et le tourisme, un secteur qui reprend de la vigueur. «En réalité, nous n’avons pas de problème d’emplois» dira le modérateur, faisant ressortir encore davantage le paradoxe de la Mauritanie.

Il a cité les initiatives prises par l’Etat pour créer de l’emploi à travers la création d’entreprises  Jeunes, comme la Caisse de Dépôt et de Développement (CDD), mais aussi des initiatives prises par le secteur privé, comme les incubateurs. «Mais pendant qu’on avance à petits pas pour mettre en place des stratégies et des plans de mise en œuvre pour l’employabilité des jeunes, la bulle sociale continue d’augmenter sous la poussée démographique» dira Haroun Sidatt.

La société civile a un rôle important à jouer, dira-t-il, par son expertise, sa proximité des populations et sa capacité de mobilisation de fonds, dans la capture du potentiel national et dans l’optimisation de l’impact emploi chez les jeunes.

Zeynabou Coulibaly, «le problème de l’emploi est dû en grande partie à un manque de volonté politique»

Mme Diop Zeynabou Coulibaly a de prime abord soulevé le caractère contraignant de la géographie de la Mauritanie, située dans la zone sahélo-saharienne avec un territoire à majorité désertique et soumis aux aléas d’un climat cyclique rude, avec des successions de sécheresse, la poussée de la désertification, la dégradation des sols et les érosions côtières, entre autres. S’ajoute à ces facteurs naturels, l’absence de valorisation de l’existant, comme les terres arables, 1% de la surface du pays, où seuls environ 50.000 hectares sont valorisés par année, sur un total de 502.000 hectares disponibles et prêts à l’emploi.

C’est le même constat qu’elle fera dans le domaine de l’élevage, avec un potentiel extraordinaire, mais mal valorisé, car basé sur un élevage extensif et souvent de prestige, avec une absence totale de visée économique et de rationalisation. Elle citera à titre d’exemple, les quantités innombrables de lait que les éleveurs déversent par terre, parce que représentant une surconsommation qu’ils ne peuvent ni utiliser, ni commercialiser faute de route et d’outils de conservation. Et cela, ajoute-t-elle, malgré l’existence aujourd’hui d’usines de transformation des produits laitiers, déjà confrontés à la rude concurrence du lait importé.

Mme Zeynabou Coulibaly ramène ainsi l’absence de valorisation des richesses agropastorales, à un manque de volonté politique pour protéger et booster la production nationale. Elle a évoqué ainsi, la faible part du budget de l’Etat, moins de 5%, accordée au secteur primaire, malgré les deux engagements faits à Maputo puis à Malabo, de consacrer 10% du budget dans le secteur agropastoral. Le constat du désengagement de l’Etat dans ce secteur se lit, selon elle, par la situation dégradée dans laquelle se trouvent aujourd’hui les Délégations régionales de l’Agriculture et de l’Elevage, par rapport à leur situation il y a plusieurs années.

Elle a ramené ses défis par le fait de politiques et de stratégies sectorielles concoctées sans aucune participation des populations, les véritables acteurs de développement ; ce qui débouche, dira-t-elle en substance, sur des problèmes de mise en œuvre. Elle a également évoqué la non adaptation des systèmes de production agropastorale au contexte actuel, notamment dans les domaines de l’agrobusiness et de l’innovation technologique. A cela s’ajoute, souligne-t-elle, l’absence de conscience citoyenne, d’éveil et de sens de l’initiative, déplorant l’attitude attentiste des communautés rurales, en particulier les jeunes.

Mohamed Bakcar Ould Teïss, «absence de données et de système d’information fiable, facteurs de blocage dans l’accès des jeunes au secteur privé»

Mohamed Bacar Ould Teïss a centré son intervention sur la forte demande des jeunes chercheurs d’emploi auprès d’un secteur privé embryonnaire et offrant peu d’opportunités de travail. Selon lui, l’Etat reste le principal employeur, mais aussi l’acteur principal de l’emploi à travers ses stratégies et ses politiques qu’il doit, selon lui, bâtir avec la participation du secteur privé et de la société civile, mais pas seulement les experts, pour empêcher la bulle sociale d’exploser.

L’intervenant estime que le problème d’embauche reste problématique en Mauritanie, les directeurs d’entreprise faisant peu confiance «aux inconnus ». Ce qui fait du secteur privé, selon une participante, un ensemble d’entreprises familiales, bâties sur la parenté et les connaissances. «La plupart de ceux qui se trouvent sur le marché du travail sont en général peu qualifiés, ou présentent un profil qui ne correspond pas à celui recherché. Nous sommes en tant qu’entrepreneurs confrontés à un problème d’information sur les ressources humaines disponibles » a-t-il déploré. Et d’ajouter «je reçois surtout des CV d’étrangers, et peu de CV de Mauritaniens ». Selon lui, c’est à l’Etat de créer un système efficace et crédible d’informations dans ce domaine, malgré l’existence de l’Agence nationale d’emploi des jeunes (ANAPEJ, sensée s’occuper de ce volet emploi-jeunes, et que certains participants ont critiqué pour la qualité de ses données.

En résumé, Mohamed Bakar Ould Teïss trouve que l’information sur la ressource humaine disponible sur le marché du travail est le meilleur outil que l’Etat peut mettre à la disposition du secteur privé pour lui permettre de créer plus d’emplois.

Mohamed Mahmoud Ould Atigh, «la société civile peut jouer un rôle important dans la fixation des jeunes dans leur terroir»

Pour Mohamed Mahmoud Ould Atigh, la situation de l’emploi est explosive en Mauritanie, citant la Stratégie sur l’Emploi de 2003 qui n’avait pas pu voir jour, puis la Stratégie 2018-2030 qui consacre une bonne partie à la politique d’emploi des jeunes. Comme son prédécesseur, il a ramené le problème de l’emploi dans le pays à un problème de communication

Il a été complété dans son intervention par le modérateur qui est revenu sur certains créneaux innovants mis en route depuis quelques années, comme le Marathon de l’Entrepreneur dans lequel la plupart des soumissionnaires sont des jeunes qui ont présenté des projets technologiques innovants dans le domaine de l’agriculture de la pêche à l’intérieur du pays, comme celui qui a présenté un projet sur la pisciculture au Gorgol.

Sidi Khalifou, «la société civile est une bonne école de passage pour les candidats à l’entreprenariat»

Selon Sidi Ould Khalifou, «la société civile est une bonne école de formation pour les politiciens électoralistes, et ceux qui veulent se lancer dans l’entreprenariat », donnant son propre parcours comme expérience.

Il a mis en exergue le nouveau rôle que la société civile veut aujourd’hui endosser, loin des sentiers battus du bénévolat social et de l’urgence humanitaire, pour prospecter des domaines comme la formation de richesses au profit des actions sociales, ou encore l’aspect d’agent économique qui cherche à s’installer dans la durabilité et la pérennité.

Aujourd’hui, dit-il à titre d’illustration, ECODEV cherche après des tentatives infructueuses dans les petits financements au profit des jeunes et des populations, à s’orienter vers l’entreprenariat et l’employabilité des jeunes à travers la création d’incubateurs sur l’étendue du pays.

Ce riche débat a été suivi d’interventions pertinentes de la part de l’assistance, parmi lesquels beaucoup d’experts.

Cheikh Aïdara

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