Plan de Réponse Pastoral en Mauritanie, un faux départ dans la Mise en Œuvre

Article : Plan de Réponse Pastoral en Mauritanie, un faux départ dans la Mise en Œuvre
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Plan de Réponse Pastoral en Mauritanie, un faux départ dans la Mise en Œuvre

Un Milliard Cent Sept Millions Deux Cent Trente Deux Mille Deux Cent Quarante MRO (1.107.232.240), plus de 11 Milliards de l’ancienne monnaie (plus de 3 millions USD) ! Tel est le montant global du Plan de Riposte que l’Etat mauritanien a mis en place pour répondre aux besoins du monde rural et pastoral. Vingt pour cent (20%) de ce plan, soit 222.000.000 MRU (plus de 2 Milliards MRO) sont destinés à la Mise en Œuvre de ce programme, alors que 75% (834.513.240 MRU) est destiné à l’Aliment de Bétail et le reste, environ 5% est destiné aux deux autres volets, l’Hydraulique pastoral et la Santé Animale. Seulement, les Wilayas n’ont encore reçu la moindre infime partie de l’enveloppe destinée à la Mise en Œuvre, alors qu’ils en ont la charge au niveau local. Où est passé l’argent de la mise en œuvre du Plan de Riposte Pastoral, jalousement gardé jusque-là au niveau central ?

Santé Animale, campagne de vaccination (Crédit Aidara)

Le Président mauritanien, Mohamed Cheikh El GHAZOUANI, a lancé, le13 avril 2020 à Nouakchott, un vaste Programme Pastoral d’Urgence visant à venir en assistance aux pasteurs durant la période de soudure. Ce programme comprend quatre composantes :

A)Aliment de bétail
B)Hydraulique pastorale
C) Santé animale
D) Mise en œuvre.

Cette volonté politique a été matérialisée par un important  financement à hauteur de 1 107 232 240 MRU qui se répartit selon les composantes comme suit :

Composantes Montants Pourcentage %
Aliment de Bétail 834 513 240 MRU 75%
Hydraulique pastorale 30 000 000 MRU 2,70%
Santé animale 20 719 000 MRU 1, 87%
Mise en Œuvre 2.22 000 000 MRU                20%

Malgré la volonté politique et les moyens colossaux, la mise en œuvre du Programme pose de sérieux problèmes jamais rencontrés auparavant.

Gestion de la composante Aliment de Bétail

D’importantes quantités d’Aliment de Bétail ont été disponibilisées au niveau des points pastoraux, des sièges communaux, départementaux et régionaux. Il s’agit en tout de 80.000 tonnes dont 50.000 tonnes de blé tendre et 30.000 tonnes d’aliments composés (Rakele).

Le blé, qui contient une teneur de 11% en protéine, a été acquis par entente directe avec le fournisseur sur le marché international ayant accordé la meilleure cotation, 274 USD dollars la tonne, rendue magasins à Nouakchott en sac de 50 Kg portant une étiquette spéciale.

Pour la composante Rakele, les fournisseurs locaux ont été saisis à l’effet de fournir des offres pour l’acquisition de 30.000 tonnes. La demande de cotation avait fixé un délai de réponse au 12 mars 2020. Mais, le Comité Interministériel chargé du programme avait jugé nécessaire de réduire le délai afin de caler les premières livraisons de ce produit avec celles du blé prévue à partir du 20 mars 2020. Sur ce, des négociations avaient été rapidement prises avec les fabricants en question sur ces modalités.

Deux options ont été retenues pour la mise à disposition de l’Aliment de bétail aux éleveurs.
Une couverture spatiale réduite qui consiste à disponibiliser des produits au niveau des chefs-lieux des Moughataas et trois arrondissements avec un coût de 1.900 MRU la tonne.

Une couverture spatiale élargie, qui consiste à disponibiliser le produit au niveau de toutes les communes en plus de vingt (20) points de concentration de cheptel pour un coût de 2.775 MRU la tonne.

Toutefois, il est amer de constater qu’en dépit des appels répétés des pouvoirs publics et des gouvernants, la gestion publique de ce volet demeure plus  opaque que jamais auparavant. Les organisations représentatives des éleveurs ont été empêchées de participer au ciblage des bénéficiaires. Aucun rôle n’a été défini  pour la société civile dans ce Plan. Pourtant, la Communication en Conseil des Ministres relatives au Programme Pastoral Spécial 2020 dan sa page 2 souligne que «les autorités administratives et communales ainsi que les organisations professionnelles du secteur de l’élevage seront impliqués dans la mise en œuvre du programme». Cette association des professionnelles de l’élevage n’a pas eu lieu.

D’autre part, les éleveurs se plaignent de la spéculation qui entoure la vente des aliments de bétail. Ils affirment que ces aliments sont vendus à des intermédiaires et non aux récipiendaires, contrairement à l’objectif du Plan qui stipule que «l’objectif de ce programme est d’assister les éleveurs pendant la période de soudure et ce, à travers la disponibilisation d’un stock suffisant d’aliments de bétails de qualité cédés à des prix abordables permettant d’exclure toute spéculation».

En effet, selon les éleveurs, les commerçants paient les produits et font changer l’emballage avant de les reverser sur le marché. Pire encore, aucun poste de lavage des mains n’a été installé sur les lieux de vente et les mesures de distanciation n’ont été guère respectées en raison de l’affluence et de l’entassement des populations.  Ce qui constitue une grave violation des consignes sanitaires et des risques potentiels encourus de contagion au COVID-19.

L’Hydraulique pastorale et la Santé animale

En ce qui concerne les composantes Hydraulique Pastorale, Santé Animale et Mise en Œuvre, elles sont toujours confinées à Nouakchott, alors qu’on est à la veille des saisons pluvieuses, avec une forte probabilité de porter atteinte à leur mise en œuvre.

Pour ce qui est de l’hydraulique pastorale, vingt-deux (22) points pastoraux pourvus de pâturage ont été identifiés au niveau des différentes zones pastorales des Wilayas du Hodh Echarghi, Hodh El Gharbi, Assaba, Brakna, Guidimagha, Adrar et Tagant. Exit le Gorgol et le Trarza pour des raisons non éludées.

Même pour le choix des entreprises qui devront se charger de la réalisation de ces points pastoraux, le Comité Interministériel en est encore apparemment au stade des propositions. Pour le moment, l’idée serait de sélectionner ces entreprises par voie d’entente directe sans appel d’offres. Ce qui pose un autre problème d’absence de transparence.

En ce qui concerne la Santé animale, l’intervention vise à assurer un soutien au cheptel à travers la distribution des polyvitaminés, antiparasitaires, sels minéraux et autres médicaments nécessaires pour les animaux durant cette période de soudure.

A noter que la mise en œuvre du volet Hydraulique pastoral et le volet Santé animale est assurée par le Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement et le Ministère du Développement Rural.

La Mise en Œuvre

Avec un budget de plus de 2 milliards MRO dans le présent plan de riposte, le volet Mise en Œuvre, se taille la part du lion. Pour le moment, aucune ouguiya n’a été versée aux Walis pour la mise en œuvre régionale du plan, alors que des instructions ont été données aux autorités administratives de superviser la mise en place des volets du programme, notamment la vente et la distribution de l’Aliment de bétail au niveau de leur région, mais sans aucun budget d’accompagnement. A moins, que ces autorités déconcentrées ne soient en rien concernées par la Mise en Œuvre du programme spécial.

Pourtant, ce plan de Mise en Œuvre comprend le transport, la manutention, la gestion des stocks des produits et les opérations de vente confiés au Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA).

Les Wilayas encore OUT

Les règles de bonne gestion et de transparence exigent que chaque Wilaya puisse savoir le quota qui lui est attribué dans  cet important Programme et dans toutes ses composantes, ce qui malheureusement n’est pas le cas.

Comment responsabiliser les autorités pour qu’elles puissent suivre et accompagner ce Programme si au préalable elles n’ont pas été informées, ni associées au processus de sa mise en œuvre ?

A titre illustratif au niveau de chaque Wilaya, on doit communiquer  officiellement aux autorités qui sont en relation directe avec les bénéficiaires   les montants affectés par composante ce qui aurait permis une gestion fluide, efficace et transparente du Programme. Les autorités ont besoin de moyens pour une bonne exécution du Programme. Ce qui ne semble pas être le cas et risque de peser lourdement sur la fonctionnalité du Programme.

Il y a lieu de rappeler que les quatre départements(Ministères du Développement Rural, de l’Hydraulique, des Finances et le Commissariat à la Sécurité Alimentaire) en charge de ce Programme sont représentés par les Autorités régionales et non des missionnaires, délégués régionaux ou autres consultants….

La répartition des quotas  relève d’abord de la responsabilité de l’État et  pour la remplir, le dispositif du Programme devrait, planifier, réglementer, assurer le financement, la budgétisation et le suivi de ses  différentes composantes et fournir des informations à leur sujet.

Cela suppose de mettre en place un cadre institutionnel et légal adapté au contexte qui définit clairement la mise en œuvre du Programme. Cela permettrait aux bénéficiaires d’exprimer leur opinion et d’exercer ainsi  une influence sur le déroulement des activités des composantes par voie de réclamations ou par participation active à la mise en œuvre du programme. Une telle démarche aurait contribué non seulement à son appropriation, mais également à servir plus dignement les populations.

Tout ce processus mené dans les normes d’une gestion transparente aurait conduit vers la mise en place d’une  coordination qui définit de façon  claire les rôles des différentes parties prenantes du Programme,  avec comme finalité  de promouvoir et de garantir la coopération non seulement entre les services de l’administration, aussi bien au niveau central, régional que local, mais aussi, entre les différents secteurs et  la société civile pour une meilleure redevabilité.

Cheikh Aïdara

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