Carnet de voyage : de Zouerate à Nouadhibou, à bord du train le plus ennuyeux au monde

Article : Carnet de voyage : de Zouerate à Nouadhibou, à bord du train le plus ennuyeux au monde
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24 mars 2021

Carnet de voyage : de Zouerate à Nouadhibou, à bord du train le plus ennuyeux au monde

Ce train est réputé depuis plus de six décennies comme le plus long au monde. Plus de 2,5 kilomètres de long et 150 à 200 wagons de minerais de fer. C’est l’un des fleurons de la Société industrielle et minière (SNIM) de Mauritanie. Il relie la ville minière de Zouerate et le port minéralier de Nouadhibou, sur plus de 700 kilomètres. Il parcourt cette distance en 24 heures, après plusieurs arrêts dans plus de cinq localités pour changement de rails, mais aussi pour déverser voyageurs et marchandises, livrer eau, carburant et autres produits essentiels. Il ravitaille les nombreux postes de la SNIM, et les populations locales dont il est l’un des rares cordons ombilicaux.

Tazadit, l’antichambre de la souffrance – Crédit Aidara

A l’époque de la splendeur de la SNIM, la société industrielle et minière, héritière de la Miferma française, était une entité indépendante et souveraine, se détachant totalement de l’administration mauritanienne, aussi bien dans la pratique que dans l’esprit. La SNIM fonctionnait alors à l’Occidental, dans la rigueur et dans l’efficience. Le train minéralier qui relie Zouerate et Nouadhibou, sur plus de 700 kilomètres de voie ferrée, arrivait et partait toujours à l’heure. Une programmation aussi régulière qu’une montre suisse. Le départ des trains de la SNIM était aussi rigoureusement planifié que dans l’aviation civile. L’heure, c’était l’heure. A la seconde. Aucun retard. Les trains quittaient à telle heure Zouerate, et arrivaient à Nouadhibou à telle heure. Et vice versa. Une régularité digne d’un maître horloger.

Mais depuis la décadence qui a frappé la société ces dernières années, avec l’immixtion de l’Etat dans son fonctionnement, sa gestion et ses nominations, la SNIM n’est plus elle-même. La rigueur n’est plus la règle, ni les compétences au rendez-vous, encore moins le mérite. La SNIM se gère aujourd’hui à la mauritanienne, comme toutes les autres entités administratives du pays. Avec ses carences, ses incompétences, ses mille et un vices. De la grandeur de la SNIM, il ne reste plus que le nom.

Evidemment, cela allait déteindre naturellement sur tous ses services. Y compris le service du chemin de fer. L’heure de départ des trains et celle de leur arrivée répondent désormais à des aléas que peu d’observateurs se hasardent à expliquer. Certains évoquent la rareté du minerai. Ce qui fait que les trains attendent à Zouerate, que les minerais du TO14 remplissent les wagons, puis attendent une seconde fois à F’Dérick, 30 Km un peu plus au Sud, vers Nouadhibou, pour que les wagons en provenance de MHaoudat arrivent avec leur faible chargement. Mais avant, il faut souffrir l’aller-arrière incessant entre Tazadit, ce no man’s land gare de Zouerate, et les entrepôts de la direction des chemins de fer.

La fatigue se lit sur le visage des passagers – Crédit Aidara

Lorsqu’à 17 heures, la vieille locomotive à l’effigie jaune et noire vint remorquer les deux cabines de voyageurs qui poireautaient sur place depuis midi avec leurs paquets humains, il a fait à peu près 100 mètres en avant vers F’Dérick, puis 300 mètres en arrière jusqu’aux entrepôts de Zouerate. Là, la locomotive de tête s’est détachée à plusieurs reprises pour amener des morceaux de convoi, des citernes d’eau et de carburant par-ci, des wagons marchandises, encastrés avec forces secousses et couinements stridents, par-là. Puis, ça repart pour d’autres petites corvées du genre. Avec une lenteur d’escargot. Un cardiaque ne pourrait supporter de telles heures d’attente.

18 heures. Le train s’ébranla enfin dans un balancement de mécaniques à donner le tournis. A gauche, des montagnes noirâtres flirtant avec le ciel. Une vue merveilleuse du Kedja D’Idjil, culminant à 900 mètres. A droite, Zouerate, dans toute la platitude de son architecture et toute sa splendeur. Il faut dire que la ville a beaucoup grandi. En plus de la population autochtone, près de 30.000 orpailleurs, venus de toutes les régions du pays et des pays voisins, lui ont donné l’assaut. Un far-west mauritanien est né depuis quelques mois, à quelques encablures de la cité du fer. La magie de l’or attire tous les jours des chasseurs de fortune. Un véritable concurrent pour le minerai ferreux. On parle, en termes d’onces d’or tirés par cette exploitation traditionnelle, d’une entrée en devises de plus de 2 milliards de dollars, rien qu’en 2020.

Revenons aux malheureux passagers du train Zouerate-Nouadhibou. Ils sont quotidiennement soumis aux vicissitudes d’une administration ferroviaire qui les convoquent à midi pour des départs sans cesses décalés, jusqu’à 18 heures.

Un des wagons-passagers en attente à la station Tazadit – Crédit Aidara

Personnellement, j’ai vécu ce calvaire, le 7 mars 2021. N’ayant pas pu me libérer la veille, j’ai concocté avec un cousin, plusieurs plans de bataille. Car, je devais être à Nouadhibou le lundi 8 mars le matin, au plus tard à 10 heures. Ce qui était peu probable avec le train de la SNIM. La liaison aérienne étant suspendue entre les villes, y compris la fameuse liaison Zouerate-Nouadhibou par voie terrestre, il fallait chercher d’autres alternatives. On nous avait en effet parlé de voitures 4X4 qui font le trajet. Renseignement pris, cette option n’existe plus. Les voitures coupant dans leur trajet habituel une partie du territoire du Sahara, le conflit actuel entre le Polisario et le Maroc les en dissuade de plus en plus. Il y a surtout qu’ils ont trouvé plus lucratif. Le transport des orpailleurs vers les mines d’or de Chegatt, de Gleib NDour et autres mirages, où l’odeur du danger s’est collée au décor.

Vue partielle de la sortie de Zouerate – Crédit Aïdara

Unique option qui me restait, le train de la SNIM. Par résignation. Sinon, j’avais pensé quitter Zouerate très tôt le matin pour Nouakchott en espérant y arriver tôt le soir, puis prendre les bus pour Nouadhibou. Plus de 1 000 km de détour. Finalement, le cousin parvint à me convaincre. « Si tu quittes ici à 17 heures, tu seras à Nouadhibou tôt dans la matinée, même si tu quittes à 18 heures. Le trajet dure au maximum 16 heures  ». En réalité, nous allions passer plus de 24 heures de calvaire.

Bref, j’avais effectué rapidement mes calculs. Jusqu’à 11 heures, ça ira. Donc, je me suis résigné à prendre le « train Inchallah ». Manque de pot, le M4 qui partait ce jour, n’avait pas de « Soulé », une voiture qui sert aux employés de la SNIM et à certains privilégiés. « Sinon, je vous y aurai trouvé une place » m’avait lancé le cousin, un employé de la SNIM, l’air désolé.

A 12 heures, ce dimanche 7 mars, les passagers étaient déjà nombreux à se bousculer entre les deux wagons de passagers, à « Tazadit », là où partent les trains de Zouerate vers Nouadhibou.

 L’un des wagons était à 300 MRU, l’autre 250 MRU. Je pris celui de 300 MRU pensant que ce devait être meilleur. Mais j’ai vite déchanté. Au vu des cabines de deux mètres carrés numérotés de 1 à 6. De petites cabines, avec deux banquettes rougeâtres, face-à-face, avec une petite allée d’environ 80 cm entre elles. Poussiéreuses et sales, ces cabines n’étaient pas à l’honneur d’une société qui vante encore son prestige. Dehors, ça discutait dur. « La cabine de 250 MRU est meilleure. Il y a quatre lits dans chaque cabine, superposés deux à deux de chaque côté » explique un jeunot à la crinière teigneuse face à deux autres garçons.

Installations de la SNIM vues à travers les fenêtres-barreaux du wagon-passager – Crédit Aidara

Comme nos wagons traînaient encore sans « tête » et qu’aux alentours, on murmurait qu’on ne quitterait probablement pas avant 16 heures, je décidais d’aller faire un tour vers la cabine à 250 balles. En effet, elle était meilleure que la nôtre. Le petit bonhomme qui s’occupe des tickets des cabines à 300 MRU passa à côté. Je l’interpelle. « Vous devez changer de tarification, c’est la cabine à 300 qui devait être à 250 ». Il ne daigna même pas me répondre. Mais un des passagers de « notre cabine class » était apparemment plus dépité que moi. Il s’adressa aux chargés des tickets. Il voulait se faire rembourser pour aller vers les cabines de 250.  « C’est trop tard », lui répond-il. « Je ne peux plus te rembourser. Attends qu’un passager veuille bien t’acheter ton billet et tu pourras prendre un ticket de 250 MRU pour l’autre cabine ». Faute d’avoir trouvé un acquéreur, il se résigna.

Dans le wagon « chic » à 300 balles, les cabines sont rangées les unes à côté des autres sur une ligne. Une petite allée ne pouvant faire passer qu’une seule personne servait de passage pour aller vers les « toilettes » ou sortir du train. Des fenêtres vitrées, qu’on peut ouvrir vers le bas ou fermer, permet de se repaître du magnifique panorama, ou se prémunir du froid et de la poussière. Beaucoup d’hommes, emmitouflés sous des turbans, en pantalons chemises. Le vêtement adapté au voyage par train, nous dit-on. Beaucoup de femmes aussi. En voile, pantalons, robes et chaussures fermées.

A 18 heures 20. Nous étions à quelques petits kilomètres de F’Dérick. La locomotive se détacha derechef, nous abandonnant corps sans « tête » pour la énième fois.

18 H 40. Notre « tête « s’amena après une demi-heure avec plus d’une centaine de wagons à moitié remplis de minerais. Direction F’derick.

19 heures. Nouveau divorce avec « notre tête » qui nous planta là. Quelques passagers en profitèrent pour se dégourdir les jambes. Une bonne demi-heure plus tard, voilà notre locomotive qui revient dans un cliquetis poussif, traînant derrière lui une bonne curée d’autres wagons à demi-pleins.

Entre deux arrêts, F’Dérick. On sort pour se dégourdir les jambes – Crédit Aidara

Entre notre arrivée à la gare de départ à 11 h à Tazadit et F’Dérick, huit heures à tourner en rond dans un rayon de trente kilomètres. Tout le monde était hagard, les yeux fatigués. Heureusement, chacun avait sa petite ration avec lui. Du pain, des biscuits, des fruits, du lait, des bouteilles d’eau. Certaines femmes avaient amené tout leur ustensile de cuisine, plus des sacs de ration, avec viande rouge et blanche, macaroni et autres victuailles. La légendaire solidarité mauritanienne. Chacun partageait avec les autres. Quelques abonnés au thé, avaient trimballé tout leur arsenal, avec les ingrédients nécessaires. Il y avait une petite population qui tournait dans un mouchoir de poche, s’apprivoisant au fur et à mesure du trajet. Mais bientôt, il fit nuit noire. Et l’on découvrit que les wagons n’avaient pas de lumière. L’obscurité était totale. Seuls quelques rares téléphones qui n’avaient pas encore rendu l’âme éclaireront l’intimité de chaque cabine. Mais à minuit, plus de téléphone. Tous s’étaient déchargés. Les toilettes, ou ce qui en tenait lieu, s’étaient transformées en énormes flaques d’urine. Ça suintait de partout. L’odeur était âcre, pestilentiel. Pas étonnant, il n’y avait pas d’eau. Résultat, le plancher était jonché de bouteilles d’eau vides. Dans l’obscurité, ceux qui avaient élu domicile dans l’étroite allée se faisaient marcher dessus. On entendait des « Aïe » et des « Samhili » (pardon).

Rester assis pendant 24 heures – Crédit Aidara

Long arrêt à Choum. Un train devrait nous y croiser. Comme il n’y a qu’une seule voie, le seul changement de rail, se trouve dans cette cité, à mi-chemin entre Atar, Zouerate et Nouadhibou. La quasi-totalité des passagers, vaincus par l’obscurité, la fatigue et la poussière s’étaient endormis. Des clameurs nous parvenaient, trouant difficilement l’obscurité. Des passagers qui débarquaient, d’autres qui embarquaient, avec les cris de rares vendeurs qui tentaient de faire écouler leurs marchandises. Il faisait 2 heures du matin.

A Inal, des militaires vinrent nous déranger. Il était 3 heures passés du matin. Notre confort à quatre fut perturbé par l’arrivée de deux gendarmes en permission. Nous serons tympanisés le long du trajet par le trop d’attention que le bidasse accordait à son MDL, avec ses éternels « Chef, mets-toi ici, c’est plus confortable. Chef, prend ce morceau de biscuit, cela vous fera du bien. Chef, attends que j’étends sur vous cette couverture contre le froid ». Ça ne se termina qu’à l’arrêt final.

Résultat, à cause de ces deux superflus passagers, nous dûmes nous asseoir, alors qu’à quatre depuis Zouerate, nous étions parvenus mes camarades de voyage et moi, à trouver un petit répit en dormant chacun à moitié sur les deux banquettes. Cahin-caha, la fatigue prit le dessus.  A l’aube, des odeurs de thé à la menthe nous tirèrent de notre torpeur. L’odeur du pain rassis, mélangé à d’autres senteurs, finirent par nous réveiller. Partout sur le plancher, des milliers de mégots de cigarettes de toutes les marques. Impossible d’atteindre les toilettes sans enjamber des dizaines de corps encore sous les draps, deux doigts pinçant le nez. La poussière était partout.

Un mince couloir qui servira de dortoir à des passagers sans place – Crédit Aidara

Le convoi et ses 150 wagons ce jour-là, mirent du temps à atteindre Boulenoir, après plusieurs arrêts, surtout à Ghraydat, dans l’attente du passage du train en provenance de Nouadhibou.

Une heure d’attente, puis un formidable cliquetis et des phares éblouissants. Nous vîmes dans l’obscurité, le deuxième train de Nouadhibou nous frôler dans le sens contraire, en direction de Zouerate, dans le fracas de ses 200 wagons vides. 

Notre train reprit alors sa lente croisière vers Boulenoir. Il ne s’arrêta pas, au grand dam de quelques passagers qui comptaient sur cet arrêt pour rejoindre la grande route goudronnée en espérant trouver un moyen de transport pour Chami.

11 h. Lundi 8 mars 2021. Nous entrâmes à Bountiya. Enfin, Nouadhibou. Des dizaines de tacots faisant office de taxis nous proposaient leurs services pour rejoindre la ville. Nous étions groggy, avec encore dans les oreilles, le bruit du train qui continuait à nous secouer.

Cheikh Aïdara

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