LES FEMMES NOMADES DE MAURITANIE : Des milliers de laissées pour compte dans l’accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la contraception

Article : LES FEMMES NOMADES DE MAURITANIE : Des milliers de laissées pour compte dans l’accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la contraception
Crédit:
28 septembre 2022

LES FEMMES NOMADES DE MAURITANIE : Des milliers de laissées pour compte dans l’accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la contraception

Que cela soit au niveau du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), dont pourtant la devise est « ne laisser personne derrière », ou au niveau du Ministère de la Santé, peu d’attention est accordée aux besoins particuliers des femmes nomades de Mauritanie et à leur accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la planification familiale (SSR/PF).

Réveil au petit matin chez une famille nomade aux alentours de MBout – Crédit Aïdara

Centre de santé de Ghayra, des femmes déboulent des montagnes

Le centre de santé de Ghayra, relevant de la Wilaya de l’Assaba, accueille des dizaines de femmes nomades, déversant à dos de chameaux ou d’ânes les pentes abruptes de cette vaste région rocailleuse. Située à près de 400 kilomètres de Nouakchott, sur la route de l’Espoir, Ghayra est devenue une grosse bourgade et sa structure de santé est désormais trop petite pour une agglomération qui s’est développée d’une manière spectaculaire, sous la poussée de familles nomades à demi-sédentarisées. La population est estimée à plus de 6.000 habitants (RGPH 2013) et elle s’étend sur 132 kilomètres de long.

Tikbir, l’accoucheuse de Ghayra, l’amie des femmes nomades – Crédit Aidara

En effet, de plus en plus de nomades ont fait installer leurs familles près de leurs parcours de déplacements habituels entre le Tagant et l’Assaba, aux orées de la passe de Diouk et la cité de Kamour, en plus de Ghayra, Siassa et Achram, pour la scolarisation des enfants.

Le centre de santé de Ghayra est la seule structure dans un rayon de 30 kilomètres à offrir des services de santé sexuelle reproductive et contraceptive, et c’est aussi la plus proche des grands circuits de transhumance longeant les régions nord-est du pays. De plus en de plus de femmes nomades y suivent leurs consultations pré et post-natales et y accouchent.

Tikbir Mint El Voulany dite Diabira est la plus ancienne accoucheuse de Ghayra. Elle a la confiance des familles nomades. Entre Tikbir et ces dernières, le contact dure depuis près de 20 ans. « Elles viennent des hauteurs du Tagant et de l’Aftout pour divers services maternels et infantiles et elles demandent de plus en plus des méthodes contraceptives. Il faut dire que les séances de sensibilisation sur la santé sexuelle reproductive et contraceptive que nous menons depuis des années ont porté leurs fruits » affirme-t-elle. Elle regrette cependant l’absence de véritables campagnes de proximité adaptées à cette population. Elle soutient que beaucoup d’entre elles restent encore sous l’emprise des traditions et refusent tout contact avec les services de santé. « Ce qui laisse encore des risques importants, surtout chez les jeunes filles nomades qui continuent à accoucher sous les tentes, loin des spécialistes de la santé » déplore-t-elle.

Des femmes nomades sont parfois évacuées vers les structures de santé lorsqu’elles sont au dernier stade d’une grossesse compliquée, et certaines meurent en cours de route, en particulier durant les hivernages où les torrents provoquent des ilots d’enclavement.

Cela étant dit, la révolution des télécommunications, notamment les réseaux sociaux, mais aussi les campagnes de sensibilisation des services de l’Education du Ministère de la Santé, l’accompagnement et la volonté des partenaires tels que l’UNFPA d’assurer la disponibilité des produits contraceptifs au dernier kilomètre, sont en train d’opérer une véritable révolution des mentalités.

Près de 10.000 femmes nomades en dehors des circuits de santé

Le dernier véritable recensement nomade en Mauritanie remonte aux années 70. Certes un questionnaire a été conçu dans le recensement de 2000. Des contraintes liées à la localisation de ces populations en perpétuel déplacement, parfois hors des frontières du pays, ont été relevées. Les derniers chiffres parlent d’une population qui représente environ 2% de la population générale, soit près de 80.000 individus. Les femmes représentant 52% de la population mauritanienne, les femmes nomades seraient, par extrapolation, autour de 42.000, dont environ 30.000 en âge de procréer.

Une nouvelle journée pour cette famille nomade – Crédit Aidara

Cette réalité reste têtue, malgré les nombreux efforts déployés par l’Etat pour fixer les nomades dans des villes champignons comme Nbeikat Lehwach, ou Bourrat, et autres agglomérations créées ex-nihilo dans ces vastes régions de l’Est pour sédentariser une population toujours attachée à la tradition.

En effet, des dizaines de milliers de familles mauritaniennes restent encore tributaires de la vie nomade, avec plusieurs parcours, aux alentours des régions du Trarza, du Brakna, du Gorgol, du Guidimagha et des deux Hodhs, mais aussi dans les environs du Tagant, de l’Adrar, de l’Inchiri et du Tiris-Zemmour.  

La principale question qui se pose aujourd’hui est la suivante : « comment assurer l’accès aux soins, notamment en matière de santé reproductive, à une partie de la population rurale toujours nomade, même si elle est de moins en moins importante ? »

Une population qui se sédentarise de plus en plus

Cette population négligée et invisible des structures de santé continue de peser sur les forts taux de mortalité maternelle en Mauritanie (484/100.000 naissances vivantes selon l’EDMS 2020), un pays dont la prévalence contraceptive est l’une des plus faibles de la région du Sahel (14% – EDS 2020).

Tente nomade aux alentours de MBout – Crédit Aidara

Deux grands ensembles continuent de pratiquer le nomadisme en Mauritanie, les bouviers peulhs et les chameliers maures, chacun avec ses propres circuits traditionnels, mais qui se croisent de plus en plus fréquemment autour de points de convergences dans les régions du Sud, qui connaissent pendant la soudure (février-juin) des pointes en termes de concentration du bétail.

Même si le nombre de familles nomades s’est beaucoup rétréci, les hommes préférant laisser leurs familles dans les grandes villes, beaucoup continuent cependant à trimballer femmes et enfants dans leurs déplacements. Les femmes nomades, 5.000 à 6.000 environ, constituent le plus grand défi pour les services de santé, malgré l’adoption de politiques sanitaires visant à élargir au kilomètre près les offres de services.

Cependant, des études ont démontré que « les femmes résidant en zone rurale sont 46% à devoir parcourir plus de 30 kilomètres pour accéder à un centre de santé/PMI et 83% pour accéder à un hôpital ».

Les risquent augmentent considérablement pendant l’hivernage, beaucoup de villages, localités et zones pouvant être coupées des villes pendant de longues périodes. Ce qui accroît davantage le nombre d’accouchements à domicile et le nombre de décès maternels.

Sur le parcours Mbout-Gouraye

Aux alentours de la ville de Mbout dans le Gorgol, une famille de nomade s’est installée à une trentaine de kilomètres de la ville. Cette famille originaire de Kamour en Assaba suit un parcours saisonnier qui la mène des hauteurs de l’Aftout vers les rives du fleuve Sénégal. Elle fait une escale de quelques mois près de Mbout, avant d’atterrir durant la période de soudure aux alentours de Sélibaby, puis redescend vers la ville de Gouraye au bord du Sénégal, trainant plusieurs dizaines de chameaux et plus d’une centaine de têtes de caprins.

Jeune fille et ses trois enfants (aux alentours de MBout)- Crédit Aidara

Si Brahim a préféré laisser sa famille à Kamour, notamment sa femme et ses enfants pour cause de scolarité, son frère, Isselmou lui, a amené son épouse et ses trois petits avec lui.

« Le centre de santé de Mbout est juste à côté, en cas de bobo, cela ne nous prend que quelques minutes » lance Isselmou, interrogé par rapport à l’accès de sa femme et de ses enfants aux soins de santé. Quant à l’espacement des naissances, un rire fou pris les deux époux. « C’est Dieu qui assure la nourriture et la santé, et nous n’irons jamais à l’encontre de sa volonté. Les enfants sont un don précieux et nous en ferons tant qu’il en sera décidé ainsi » répond Isselmou.

Un fatalisme largement partagé par les nomades qui confondent contraception et limitation des naissances, formellement interdit par l’Islam, même aux yeux de certaines prestataires. D’où la nécessité d’une campagne de proximité qui viserait intensivement ces milliers de femmes encore maintenues hors des circuits de l’Etat.

Au Centre de santé, Haby Sow, la sage-femme estime recevoir une trentaine de patientes par jour. Elle a soulevé la difficulté de suivre les femmes nomades, car « elles se déplacent fréquemment à la recherche de meilleurs pâturage pour le bétail avec leurs maris ».

Des stratégies sans mise en œuvre et des projets en gestation

Au niveau du Ministère de la Santé, d’après Vatimetou Mint Moulaye, présidente de l’Association des Sages-femmes de Mauritanie et chef de division de la santé maternelle, infantile, néonatale et adolescent, la problématique des femmes nomades est bien prise en compte dans les stratégies communautaires qui prévoient la mise en place d’équipes composées d’agents communautaires chargés de sensibiliser les populations sur les bienfaits des accouchements assistés en milieu médical et le suivi des grossesses. A côté, une stratégie mobile a été également conçue.

La famille de Isselmou (près de MBout) – Crédit Aidara

Elle reconnaît cependant que « toutes ces stratégies sont déjà conçues, mais restent encore sans plan de mise en œuvre ». Elle a évoqué deux projets en cours, celui financé par la Banque Islamique de Développement (BID) qui était sur une région, celle du Hodh Gharbi, mais qui va être élargi, selon elle, sur cinq autres régions et qui cible le milieu communautaire, notamment les femmes nomades. Elle a aussi évoqué le Projet de l’Agence Française de Développement (AFD) basé à Kiffa et qui veut faire de l’Assaba, le point de convergence d’une politique de santé communautaire ciblant également les femmes nomades.

Interrogée sur la prise en compte des femmes nomades dans l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive et à la planification familiale, Mme Marième Bassoum, Conseillère sage-femme au bureau UNFPA à Nouakchott, semble comme piquée au vif. « Je suis en poste à l’UNFPA depuis 2016, nous avons mené plusieurs efforts pour faciliter l’accès aux SSR/ PF mais le besoin particulier de ces femmes nomades, même au niveau des grandes campagnes qui ont été menées dans ce cadre, n’a pas été malheureusement pris en compte ». Puis, elle reconnaît, « je trouve que c’est un volet très important auquel un intérêt particulier doit être porté pour que tous les besoins soient satisfaits ».

Et de rappeler un débat qui vient d’avoir lieu dans un atelier de priorisation en présence de toutes les agences des Nations Unies, de la partie nationale et de la société civile, lorsqu’un membre très actif de la société civile a posé le problème de l’accès des femmes et des enfants nomades aux soins de santé.

Avec la famille de Brahim et Isselmou au petit matin – Crédit Aidara

Hamada Bneijara, président de l’Association pour le Développement Intégré du Guidimagha (ADIG) et qui travaille depuis près de vingt ans sur cette région et sur celle de l’Assaba, appartenant lui-même à une famille traditionnellement nomade, est intransigeant. « La population nomade est la plus marginalisée en Mauritanie, ignorée des registres sociaux, des services de l’Agence Taazour, notamment ses filets sociaux et ses cash-transfert, ignorée des services de l’état-civil, de l’éducation nationale et de la santé. Bref, une population complètement ignorée et dont le mode de vie pastoral participe pourtant à hauteur de 19% du PIB ! » s’insurge-t-il.

Selon plusieurs observateurs, les Etats africains, en particulier ceux du Sahel et leurs partenaires internationaux, devront veiller à la préservation d’un mode de vie, empreinte d’une identité, celle que quelques 20 millions de nomades en Afrique, tentent de préserver et de perpétuer, malgré les difficultés et les risques inhérents à la montée de l’insécurité et à l’urbanisme galopant.

Dieh Moctar Cheikh Saad Bouh dit Cheikh Aïdara

Partagez

Commentaires