Campagne contre la fistule obstétricale à Kiffa, une dizaine de femmes retrouvent le sourire grâce à l’Agence Française de Développement et le Projet TEMEYOUZ

Article : Campagne contre la fistule obstétricale à Kiffa, une dizaine de femmes retrouvent le sourire grâce à l’Agence Française de Développement et le Projet TEMEYOUZ
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12 octobre 2022

Campagne contre la fistule obstétricale à Kiffa, une dizaine de femmes retrouvent le sourire grâce à l’Agence Française de Développement et le Projet TEMEYOUZ

Une campagne contre la fistule obstétricale, menée du 26 au 30 septembre 2022 à Kiffa, capitale de l’Assaba, a permis à une dizaine de femmes venues de plusieurs coins reculés du pays de briser leur isolement et de retrouver le sourire. Cette opération financée par l’Agence Française de Développement (AFD) a été pilotée par le Projet TEMEYOUZ mise en œuvre par Expertise France et son consortium qui regroupe des ONGs internationales et nationales, en l’occurrence Santé Sud, Medicos Del Mundo (MDM) et l’Association Mauritanienne pour la Promotion de la Famille (AMPF), avec l’appui du Centre hospitalier de Kiffa et l’Association des Femmes Volontaires du Développement (AFVD).

Kiffa, l’une des plus grandes villes du pays, à 600 Km de la capitale Nouakchott – Crédit Aidara

Au Centre hospitalier de Kiffa, bâtisse imposante étalée sur plusieurs hectares, la salle d’hospitalisation des femmes opérées de la fistule obstétricale est située sur un long couloir attenant au bloc opératoire. Trois femmes nouvellement traitées sont allongées sur des lits en fer. Dr. Sow Aboubekri, chirurgien urologue, vient s’enquérir de leur situation.

Centre hospitalier de Kiffa – Crédit Aidara

« Nous allons bien. Al Hamdoulillah, nous sommes heureuses et ne savons comment vous remercier » dit l’une d’elle. L’autre, plus jeune, bredouille dans un leitmotiv, « cela faisait mal, mais maintenant je suis très contente. Merci ».

« Al Hamdoulilah je suis guérie » déclare cette patiente qui a été opérée – Crédit Aidara

Plus loin, devant le bloc opératoire, une équipe de médecins de MMS-France (Mère du Monde en Santé) et leurs collègues mauritaniens, dont Dr. Diagana Mohamadou et Dr. Semethe discutent des prochaines programmations. Dr. Alimi Jean-Charles, chirurgien urologue affiche un sourire permanent. La jeune anesthésiste Dr. Antonietta Pia passe furtivement avec un léger geste de la main pour saluer et s’engouffre dans le bloc où une patiente se faisait préparer.

Le Directeur du Centre Hospitalier en compagnie des chirurgiens urologues devant le bloc – Crédit Aidara

Le recrutement des patientes, le principal problème

« MMS France est une ONG qui travaille dans le domaine de la fistule obstétricale depuis plus d’une dizaine d’années avec une expérience dans plusieurs pays d’Afrique, Burkina Faso, Rwanda, Tanzanie et Mali » explique Dr. Faivre d’Arcier Benjamin. Puis, d’ajouter « aujourd’hui c’est notre première mission en Mauritanie et les conditions d’accueil sont excellentes, un bloc chirurgical de qualité et surtout une infrastructure globale avec entre autres, l’AFVD qui a bien pris conscience de ce qu’est la fistule, de ses enjeux et de ses difficultés ». Il a précisé ensuite que l’équipe MMS France est accompagnée par des collègues mauritaniens, notamment Dr. Sow et Dr. Diagana. « Ils sont très motivés pour développer cette chirurgie » a-t-il fait savoir, précisant qu’ils espèrent pouvoir revenir pour traiter un maximum de femmes et poursuivre la formation des équipes sur place.

« Nous reviendrons pour opérer encore plus de femmes » Dr. Faivre D’Arcier – Crédit Aidara

Les difficultés de recrutement constituent le principal problème, a ajouté Dr. Faivre D’Arcier Benjamin, soulignant « nous sommes en train de reprendre une activité qui avait plus ou moins disparu ».

Pour sa part, Dr. Sow ABoubekri, déclare apprécier la présence de l’équipe MMS France qui est venue renforcer les compétences du personnel local dans le cadre de cette activité riche et importante parce qu’elle concerne des femmes vulnérables venues des coins les plus reculés. « Le fait de recevoir des missions de ce genre permet d’avoir un recrutement plus important et de pérenniser cette activité » a-t-il précisé.

« Les chirurgiens qui pratiquent la fistule sont peu nombreux en Mauritanie  » Dr. Sow Aboubekri – Crédit Aidara

Évoquant la situation en Mauritanie, il a reconnu que « le nombre de chirurgiens qui pratiquent la fistule est peu nombreux » citant les quelques références nationales dans ce domaine, notamment Dr. Diagana et Dr. Yahya TFeil.

Dr. Sow a par ailleurs indiqué que « la chirurgie réparatrice de la fistule n’est pratiquée que dans un seul centre à Nouakchott, donc hors de portée de la majorité des femmes, et le fait de la décentraliser à l’intérieur du pays, à Kiffa par exemple, permet de rendre le service plus accessible ».

Prise en charge pendant 21 jours

Un peu plus bas, dans le vieux quartier de la Qadima, le « Centre d’accueil et d’hébergement fistules obstétricales » de l’AFVD. Un groupe de femmes assises dans une véranda, visage couvert. En leur compagnie, deux volontaires de l’association.

« L’ONG prend en charge les patientes pendant 21 jours » Salka Touda, sage-femme membre de l’AFVD – Crédit Aidara

« Nous avons actuellement 8 femmes recrutées dans le cadre de cette campagne sur la fistule. L’AFVD les accueille et leur fournit dès leur arrivée, un kit composé d’un sceau, d’un sac, d’une bouteille, d’une serviette, plus un savon et des couches adultes » explique Salka Touda, sage-femme membre de l’Association. Ces femmes sont entièrement prises en charge avec leurs accompagnants, a-t-elle précisé, soulignant que leur transport aller-retour est également assuré ainsi que leur déplacement entre le centre et l’hôpital.

« Elles sont prises en charge pendant 21 jours » a en outre souligné Salka, dont la journée est marquée par d’incessants va-et-vient entre l’hôpital et le centre d’accueil. Une équipe de Medicos Del Mundo à Kiffa veille également au bon déroulé de la campagne, notamment Guèye Oumar et Fatou Cheikh Guèye, technicienne santé genre.

« TEMEYOUZ et ses partenaires vont permettre de traiter davantage de femmes » Sedy Camara – Crédit Aidara

S’exprimant au nom de la Direction Régionale de l’Action Sanitaire (DRAS) au niveau de l’Assaba, Sedy Camara, Point Focal Santé de la Reproduction, s’est réjoui de l’arrivée de nouveaux partenaires sur le terrain de la lutte contre la fistule, notamment le Projet TEMEYOUZ et son consortium d’ONG. « Cette pratique est bien connue en Assaba, à travers les nombreuses actions menées dans ce domaine depuis plusieurs années par le Ministère de la Santé et le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) » a-t-elle rappelé. Elle a ajouté que le Projet TEMEYOUZ et ses partenaires vont permettre de traiter davantage de femmes victimes de la fistule dans le cadre de cette campagne.

Depuis Nouakchott, la coordination du Projet TEMEYOUZ veille au grain

Logé dans un bâtiment situé à Tevragh-Zeina, l’ONG Medicos Del Mundo (MDM) assure la coordination des ONGs du consortium en charge d’une partie des activités du Projet TEMEYOUZ.

Luis Chang, Coordinateur de Consortium du Projet Temeyouz – Crédit Aidara

« Cette première campagne de fistule obstétricale organisée dans le cadre du Projet TEMEYOUZ appartient à l’action que mène le consortium qui travaille sur les soins de santé primaire et sur les violences basées sur le genre » a d’emblée lancé Luis Chang, Coordinateur du Consortium du Projet Temeyouz regroupant Santé Sud, MDM et AMPF. Il a précisé qu’il s’agit d’une campagne pilote qui a pour objectifs, de faire mettre en œuvre une première expérience internationale au niveau de Nouakchott pour renforcer les compétences de l’équipe de Kiffa afin qu’elle puisse prendre en charge et opérer les cas de fistule obstétricale qui pourraient avoir lieu dans la région et dans les régions avoisinantes.

Selon Luis Chang, cette première campagne leur a permis de mieux connaître la situation et voir les défis à prendre en compte, dans tout ce qui est l’identification des cas et leur référencement. « Mais surtout de mieux sensibiliser les populations sur l’importance de traiter les fistules obstétricales, et des changements de vie que cela peut produire pour les femmes que nous prenons en charge, tout en permettant à l’hôpital de Kiffa d’acquérir les compétences nécessaires pour recevoir et traiter les cas de fistule » a-t-il souligné. Il a évoqué par la suite la possibilité pour le Projet TEMEYOUZ d’organiser une deuxième campagne du genre.

La santé, un axe de développement pour l’AFD

Selon Bénédicte Brusset, Directrice de l’AFD en Mauritanie, la santé fait partie du domaine d’intervention de son institution, et cela fait partie aussi selon elle du développement. « Nous intervenons en santé en Mauritanie depuis plus de dix ans, d’abord dans le cadre du forfait obstétrical qui permet aux femmes d’avoir accès à tous les services liés à la grossesse » a-t-elle rappelé.

Bénédicte Brusset, Directrice AFD Agence de Mauritanie – Crédit Aidara

La Directrice de l’AFD a souligné que la fistule est la conséquence d’un accouchement compliqué entrainant des problèmes délicats pour la femme et la mettant dans une situation handicapante. « Ce n’est pas la première fois que l’AFD intervient sur la fistule, elle l’a fait ailleurs dans d’autres pays, mais c’est peut-être notre première intervention sur ce sujet en Mauritanie » a-t-elle souligné. Selon elle, l’AFD a toujours contribué dans ce domaine, notamment à travers des formations d’équipes en capacité d’opérer.

S’agissant de la campagne de Kiffa, Mme Brusset a précisé que l’AFD finance le Projet TEMEYOUZ et que ce dernier est mis en œuvre par « Expertise France », filiale de l’AFD, et que dans ce cadre des discussions ont eu lieu avec le Ministère de la Santé et « Expertise France » sur un projet qui pouvait adresser des problèmes de santé communautaire ou de santé maternelle. Selon elle, dans la santé maternelle, sujet vaste, plusieurs choix ont été faits, une partie des interventions porte sur la fistule et une partie par rapport à la transfusion sanguine.

« L’intervention de TEMEYOUZ sur le sujet du sang est d’arriver à reconstruire le Centre National de Transfusion Sanguine de Nouakchott, qui sera totalement neuf, et de créer un centre régional de transfusions sanguine à Kiffa, afin de mettre à la disposition des chirurgiens du sang « sûr » qui ne met pas en danger la vie de la femme » a expliqué la Directrice de l’AFD.

Sur les perspectives d’avenir, elle a précisé que la poursuite de l’opération dépendra des résultats, mais aussi de la stabilité du personnel, soulignant que dans le cadre de cette campagne, il y a eu le renforcement de capacité de certains chirurgiens qui sont dotés de la compétence spécifique liée à la fistule. « On verra comment ils comptent rester en région, notamment à Kiffa et non à Nouakchott où il existe déjà des compétences, surtout que les femmes victimes de fistule sont moins nombreuses à Nouakchott qu’elles ne le sont à l’intérieur du pays » a-t-elle insisté.

Autre condition de la poursuite de la campagne, selon la Directrice, la capacité des ONGs à mobiliser et à recruter. « Si demain l’hôpital de Kiffa nous dit malheureusement on avait 250 qui étaient prêtes à être opérées, mais on n’a pu en opérer que 50, alors à ce moment-là on pourra réfléchir nous-mêmes ou mobiliser d’autres acteurs pour surmonter la difficulté et pouvoir toutes les faire opérer » a-t-elle illustré. Puis d’insister que quand à la fin, seul un nombre réduit de femmes devront être opérées, par rapport aux coûts envisagés, peu de bailleurs seront emballés, y compris l’AFD.

La balle est ainsi lancée aux ONGs de redoubler d’efforts dans le recrutement et le repérage des femmes victimes de la fistule, surtout qu’elles sont connues dans leur communauté, afin de les identifier et de leur proposer une réparation chirurgicale gratuite.

A noter que lors d’une rencontre entre les Premières Dames sur la fistule en Afrique de l’Ouest et du Centre organisée en mars 2021 à Niamey, Mme Ghazouani, Marième Fadel Dah, avait souligné que la fistule reste un défi en Mauritanie. « Chaque année, un nombre de 150 à 300 femmes viennent accroître le nombre de porteuses de fistule obstétricale avec un GAP cumulé de 2.700 à 5.400 cas entre 2003 et 2021 » a-t-elle témoigné.

Certains acteurs de la lutte contre la fistule trouvent qu’un tel témoignage peut faire espérer que l’Etat donnera les moyens de la prise en charge maintenant que plus de chirurgiens sont formés.

Cheikh Aidara

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