Mort de Oumar Diop, radioscopie d’une explosion de colère en Mauritanie

Article : Mort de Oumar Diop, radioscopie d’une explosion de colère en Mauritanie
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31 mai 2023

Mort de Oumar Diop, radioscopie d’une explosion de colère en Mauritanie

La mort à Nouakchott de Oumar Diop, jeune père de famille de 38 ans originaire de MBagne, continue de susciter des remous dans plusieurs villes de Mauritanie. Conséquences, un jeune manifestant est tué par la police à Boghé, plusieurs blessés et des fourguées d’arrestations à Kaédi, Nouakchott, Nouadhibou et MBagne, sans compter plusieurs casses et troubles sociaux. A la version avancée par la famille du défunt, et reprise par l’opinion publique nationale, s’oppose celle des autorités.

Manifestation Kaédi

Les explosions de violence continuent de secouer la capitale mauritanienne et plusieurs villes de l’intérieur du pays. En effet, depuis l’annonce, la nuit du lundi 29 mai 2023, de la mort de Oumar Diop, jeune ressortissant de MBagne, la colère s’est emparée de la rue mauritanienne.

A partir de la version avancée par la famille du défunt, plusieurs leaders politiques et défenseurs des droits de l’homme ont condamné un « crime odieux commis dans un commissariat de police ». C’était lors d’un rassemblement monstre à l’hôpital national de Nouakchott où une foule immense et colérique s’est massée lundi 29 mai dans l’attente des résultats de l’autopsie. Là, des échauffourées ont éclaté avec les forces de l’ordre.

Une foule de jeune transportant le corps sans vie de Mohamed Lemine tué à Boghé par un policier

Mardi 30 mai, le procureur de la République et le ministre de l’Intérieur font des déclarations à la presse pour avancer leur propre version.

Mort sous la torture

Selon la version de la famille de Oumar Diop, jeune homme d’affaires, père de trois enfants avec une épouse en état de grossesse avancée, le défunt qui se préparait à migrer vers les Etats-Unis avait vendu deux voitures pour un montant de deux millions cinq cents mille anciennes (2.500.000) ouguiyas. Deux policiers en patrouille voulurent le délester de son argent, ce qu’il refusa. Il était accompagné par son frère, selon qui, le défunt aurait remis finalement vingt-cinq milles (25.000) anciennes ouguiyas aux deux policiers pour se débarrasser d’eux.

Oumar Diop
Le corps du défunt

Le lendemain, dimanche 28 mai 2023, alors qu’il est en crevaison près de l’hôpital psychiatrique dit « Hôpital Dia », aux environs de 22 heures, un ami qui est accompagné de son épouse vint lui donner un coup de main. Selon lui, deux policiers à bord d’une voiture de police demandent à Oumar Diop de les suivre au commissariat. « Le commissaire a besoin de vous » lui aurait-il dit, selon le témoignage de son ami. Face à son refus de les suivre sans motif, ils l’embarquent par la force après l’avoir roué de coups et menotté.

Vers 7 heures du matin du lundi 29 mai, sa famille reçoit un coup de fil. La police leur annonce la mort de Oumar Diop, précisant que son corps repose à la morgue de l’hôpital national.

Une foule monstre à l’hôpital

Lundi 29 mai 2023, la morgue de l’hôpital national de Nouakchott est prise d’assaut dès la première lueur de la journée, par des centaines de personnes en colère, au milieu d’une forte présence de leaders politiques, de journalistes et d’activistes de la société civile.

Famille et amis du défunt devant la chambre mortuaire de l’hôpital national

Une autopsie est en cours, sous la supervision de deux médecins légistes, un médecin désigné par la famille du défunt, dont l’un des membres est présent, en plus d’un avocat de l’organisation mauritanienne des droits de l’homme.

Foule en colère devant l’hôpital national

Des véhicules de la police anti-émeute se présentent en milieu de journée pour disperser la foule. S’en suivent des escarmouches entre policiers et manifestants. Pendant plusieurs heures, les deux camps s’échangent lancées de pierres et jets de lacrymogènes. La devanture de l’hôpital est transformée en un véritable champ de bataille, pendant que des volutes de fumées noirâtres s’élèvent en l’air, obscurcissant le ciel. Des tas de pneu finissent de se consumer au milieu de la chaussée.

Les leaders réclament justice

Dans la vaste cour de l’hôpital où se bouscule une foule immense, plusieurs hommes politiques et membres de la société civile livrent leur point de vue, au milieu d’une atmosphère électrique dominée par un brouhaha assourdissant.

Balla Touré

Des photos du corps de Oumar Diop, parsemé d’ecchymoses bleus, font le tour de la toile, alimentant une colère déjà nourrie par des réseaux sociaux en feu. La tension monte crescendo au fil des heures.

L’opposant Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces du progrès (UFP), déclare être venu s’informer sur le drame et apporter sa solidarité à la famille du défunt. Selon lui, cette situation ne fait que détériorer la confiance entre les populations et les autorités, regrettant qu’un tel scénario puisse se reproduire à chaque fois qu’un citoyen entre dans un commissariat de police.

Aminatou Mokhtar

Pour Balla Touré, député nouvellement élu, « Omar Diop est victime de la police mauritanienne », revenant sur les circonstances de sa mort. Selon lui, la police mauritanienne a une nouvelle fois récidivé après l’assassinat au commissariat de Dar Naïm 2 de l’activiste Souvi il y a quelques mois. Il a demandé à ce que justice soit rendue, soulignant que l’opinion n’acceptera pas un résultat biaisé de l’autopsie et la délivrance d’un certificat médical qui ne corresponde pas aux causes réelles du décès de la victime.

Arrivée de Birame Dah Abeid

Birame Dah Abeid, député et président du mouvement antiesclavagiste IRA, dit condamner l’acte ayant conduit à la mort de Omar Diop au commissariat de Sebkha. Selon lui, les autorités doivent faire toute la lumière sur cette affaire et condamner fermement les auteurs du crime.

Aminetou Mint Mokhtar, présidente de l’association des femmes chefs de famille (AFCF) déclare à son tour que ces assassinats de citoyens dans les commissariats de police menacent la paix civile et ébranlent les fondements encore fragiles de l’unité nationale.

Me El Id

Pour sa part, l’avocat et député Me Id Ould Mbareck, qui vient d’assister à l’autopsie, affirme que Oumar Diop est mort sous la torture. Selon lui, une enquête sérieuse et diligente doit être menée pour déterminer les circonstances de sa mort et rendre justice à la victime et à sa famille.

Plusieurs autres personnes qui étaient avec la victime lors de ses altercations avec les policiers et sa conduite au commissariat ont livré leurs témoignages.

Sur la toile, une vidéo prise par des voisins, montre les ultimes moments de Omar Diop avec deux policiers à côté d’une Pickup de la police et une petite voiture garée.

Version des autorités

Le procureur de Nouakchott Ouest

Quarante-huit heures après le drame, la Direction de la Sûreté Nationale sort un communiqué dans lequel elle déclare qu’une patrouille de police a arrêté Omar Diop après une bagarre avec un groupe de jeunes durant laquelle il aurait été blessé. Selon le communiqué, il « était dans un état presque totalement inconscient à cause de psychotropes. ». Amené au commissariat de Sebkha, « la victime s’est plaint de difficultés respiratoires et a été immédiatement transporté à l’hôpital national, où le médecin l’a examiné et lui a prescrit un traitement » selon le communiqué. Et de poursuivre, « malheureusement, malgré les efforts continus du personnel médical, sa santé a commencé à se détériorer et il est resté à l’hôpital. Malgré les tentatives des ambulanciers pour le sauver, il est décédé ».

Le Ministre de l’Intérieur

Mardi 30 mai, le Procureur de la République de Nouakchott-Ouest déclare à son tour que « les policiers qui ont interpellé Oumar Diop ont été entendus », affirmant que « les personnes qui étaient sur place sont en train d’être interrogées ». Selon lui, les résultats définitifs seront publiés. « Le médecin-légiste a demandé un complément d’analyses de l’autopsie. Les éléments seront envoyés à l’étranger pour le besoin d’examens supplémentaires » a-t-il conclu.

L’après-midi, lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur a évoqué la mort de Oumar Diop et celle du jeune Mohamed Lemine, tué à balle réelle à Boghé lors d’une manifestation réprimée par la police. Selon lui, des enquêtes ont été ouvertes dans ces deux disparitions, ajoutant que « certains prêcheurs en eaux troubles exploitent la situation actuelle pour créer l’instabilité et le désordre dans le pays ». Il a affirmé que la « situation est sous contrôle » tout en appelant les leaders d’opinion, les journalistes, les hommes politiques et les oulémas, à contribuer pour le retour à la paix et à la stabilité.

Il faut rappeler que ces troubles qui se poursuivent depuis deux jours sont attisés par ce que d’aucuns appellent « la propension des policiers à faire des commissariats des lieux de crimes et de rapines », non sans rappeler le crime odieux dont a été victime l’activiste Souvi Ould Cheine en février 2023. S’ajoute à cela, ce que l’avocat et opposant Me Lô Gourmo nomme, la frustration des jeunes des zones périphériques de Nouakchott, notamment à El Mina et à Sebkha, soumis depuis plusieurs années à un couvre-feu permanent.

Hier nuit, le service Internet a été coupé, comme ce fut le cas aux lendemains des scrutins controversés du 13 mai 2023. Une arme que les autorités semblent utiliser d’une manière récurrente chaque fois que la situation sociale et sécuritaire commence à dégénérer.

Cheikh Aïdara

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