Présidentielle 2024, la confiance serait-elle rompue entre le citoyen mauritanien et ses institutions publiques ?

Article : Présidentielle 2024, la confiance serait-elle rompue entre le citoyen mauritanien et ses institutions publiques ?
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2 juillet 2024

Présidentielle 2024, la confiance serait-elle rompue entre le citoyen mauritanien et ses institutions publiques ?

Pathétique est ce qui arrive en Mauritanie. La destruction des institutions et des administrations publiques entamées depuis le contrôle par l’armée des arcanes du pouvoir, il y a de cela plus de quarante ans, a atteint son paroxysme avec cette présidentielle du 29 juin 2024. Une autre élection avec ses lots de contestation.

Emeutes à Nouakchott-Crédit Aidara

Le cycle de hold-up électoral que beaucoup de candidats ont dénoncé, aurait repris ses droits, selon bon nombre d’entre eux et sans trop remonter dans le temps, en 2008. Notamment depuis le coup d’Etat militaire, dont Oud Ghazouani est l’un des artisans, contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi, premier président démocratiquement élu et le plus éphémère parce que son mandat n’a duré que quinze mois. Aujourd’hui ce cycle infernal de coups d’état militaire et institutionnel qui a jalonné l’histoire politique de la Mauritanie est fortement contesté et le peuple n’est plus enclin à voir sa volonté détournée.

En effet, nombreux parmi la population sont ceux qui n’ont plus confiance en la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Elle aurait failli, à leurs yeux, à la noble mission qui lui était confiée et pour laquelle ses responsables ont prêté serment devant Allah et devant les hommes. Celle de superviser en toute neutralité et indépendance la comptabilité des voix des Mauritaniens dans le choix de leurs dirigeants.

Pour eux, la CENI s’est transformé en un instrument au service du maintien ad aeternam, des fossoyeurs de la République. Ceux qui en cinq ans de mandat n’ont apporté que des malheurs à la population, hausse des prix des denrées de première nécessité, apologie de la médiocrité à travers des recrutements et des nominations à caractère népotiste au sein de l’administration publique, discrimination et racisme, répression de toutes les libertés fondamentales, résurgence de l’Etat policier, démultiplication de la gabegie, détournements des ressources nationales et protection des auteurs, déliquescence du service public, et on en passe.

Pire, la CENI est accusée d’être une anti-antichambre du Ministère de l’Intérieur, bras policier armé d’un système qui cherche vaille que vaille à se maintenir contre toute volonté populaire. Le président sortant, Mohamed Cheikh Ghazouani, est perçu par bon nombre d’observateurs, comme l’otage de ce système que certains qualifient de militaro-civil et tribal dont le principe est basé sur la préservation d’intérêts personnels et égoïstes au profit d’une oligarchie qui a saigné la Mauritanie, maintenu sa population dans la pauvreté et la précarité, et qui se partage les prébendes de la République sans la moindre compassion pour ses habitants et les générations futures.

Rien qu’en se basant sur la déclaration d’un haut responsable espagnol qui avait parlé des 15.000 résidences appartenant à des Mauritaniens à Las Palmas ces dernières années, chacun peut mesurer l’ampleur de la saignée qui a affecté l’économie du pays. Il n’est un secret pour personne que beaucoup de nantis mauritaniens, hommes d’affaires, administrateurs et hauts gradés de l’armée possèdent des villas à l’extérieur ainsi que des doubles nationalités. Leurs progénitures étudient dans les plus prestigieuses écoles et universités à l’étranger. Ils s’y soignent, y passent leur vacance et y gardent leur argent volé du pays. Pour eux, la Mauritanie n’est qu’une vache à traire. Ils y restent tant que la situation est stable. A la moindre incartade, ils sautent eux et leur famille dans le premier avion. Ce fut le cas en 2003 lors de la tentative de coup d’Etat de Hanana et ses amis.

C’est ça que les éléments du système cherchent à préserver. Or, ils ne peuvent y arriver qu’en soutenant ce système prévaricateur dont l’objectif n’est nullement national mais clanique et tribalo-affairiste.

De quoi s’agit-il ?

Lundi 1er juillet 2024, le président de la CENI, Dah Ould Abdel Jelil, ancien ministre de Taya et ancien gouverneur du Guidimagha, avait annoncé les résultats de l’élection présidentielle compilés depuis le soir du 29 juin 2024, à la clôture du scrutin. Il a égrené devant les médias publics et privés, les chiffres déjà affichés sur le site informatique « Myceni » et a livré les résultats officiels provisoires qui donnent le président sortant, Mohamed Cheikh Ghazouani vainqueur des élections avec un score de plus de 56%.

Annonce des résultats provisoires par le président de la CENI-Crédit Aidara

L’annonce de ces résultats sera suivi quelques heures plus tard, par des défilés monstres organisés par les partisans du pouvoir sur les artères de Nouakchott et dans d’autres villes du pays.

Mais ces résultats ont été fortement contestés par son principal challenger, Birame Dah Abeid, classé deuxième du scrutin avec 22, 10%. Il avait organisé le 30 juin au soir à son siège de campagne situé à l’Ilot K de Nouakchott une conférence de presse durant laquelle il avait déclaré ne pas reconnaître les résultats livrés par la CENI et ne reconnait pas Mohamed Cheikh Ghazouani comme président de la République. Dans la foulée, il se proclama président légitime de la Mauritanie, accusant la CENI de vouloir lui voler sa victoire comme elle l’avait fait en 2019.

Lundi 1er juillet, une immense foule était sortie sur le sillage de Birame pour une marche qu’il a voulu pacifique pour protester contre les résultats. Selon lui, sur la base d’une compilation des procès-verbaux de ses représentants, ses informaticiens avaient trouvé des résultats contraires à ceux avancés par la CENI.

Ses caravanes seront bloquées par les forces de l’ordre, et son siège de campagne fut bouclé pendant toute la journée, interdisant son accès à ses partisans et aux journalistes. A noter que plusieurs responsables de campagne de Birame ont été arrêtés. Son directeur exécutif de campagne au niveau national, Bakary Tandia a été séquestré pendant deux jours par la police politique lorsqu’il s’était présenté pour voter dans son bureau. Il a été relâché avec de plates excuses. Idem pour son directeur de campagne Yacoub Lemrabott, ainsi que d’autres notamment à Kaédi remporté par la Coalition Birame 2024. Cette dernière ville a enregistré dans la nuit du mardi 2 juillet 2024, quatre morts parmi les jeunes détenus par les forces de l’ordre. Le parquet a promis d’ouvrir une enquête.

Birame appelle ses partisans à manifester contre les résultats-Crédit Aidara

Durant toute la journée du lundi, Nouakchott et plusieurs villes de l’intérieur seront le théâtre de marches de protestations, arrestations de militants, coups de gaz lacrymogène. La situation va s’empirer la nuit vers 23 heures. Des foules immenses étaient sorties dans tous les recoins du pays, en particulier à Nouakchott et Nouadhibou, proclamant Birame président de la République. La confusion était totale et peu sont ceux qui n’y avaient pas cru. Une forte rumeur ayant circulé sur la rétrocession par le pouvoir de ses droits à Birame. Cette rumeur allait s’ajouter à des masses innombrables de fausses informations, intox et autres fakenews.

Si les partisans de Birame ont approuvé sa démarche, trouvant normal de faire bouger la rue pour réclamer sa « victoire », d’autres ont critiqué cette méthode, estimant que Birame devait réunir ses preuves et suivre le processus normal de recours auprès des instances compétentes, en l’occurrence le Conseil constitutionnel et même les juridictions de droit.

Mardi 2 juillet, Internet a été coupé sur l’ensemble du territoire national pour circonscrire le vent de protestation qui souffle sur le pays. Mais bon nombre d’observateurs ont appelé au calme, estimant que le pouvoir de Mohamed Cheikh Ghazouani qui avait entamé son processus de réélection par des arrestations jugées arbitraires dans les rangs des partisans de l’ex-président Aziz, doit jouer la carte de l’apaisement et de la concertation. Car si ces partisans le considèrent président légitimement élu, près de 48% de la population mauritanienne qui avaient voté contre lui, exigent le changement dans son mode de gouvernance.

Cheikh Aïdara

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