Sommet arabe de Nouakchott : Après les lumières de la fête, l’obscure réalité nationale

Article : Sommet arabe de Nouakchott : Après les lumières de la fête, l’obscure réalité nationale
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2 août 2016

Sommet arabe de Nouakchott : Après les lumières de la fête, l’obscure réalité nationale

LIGUE ARABE

Après avoir plané quelques jours sur le toit du monde arabe, l’atterrissage sur le sol de l’amère réalité s’annonce rude pour les Mauritaniens. Il y a en effet ce blocage politique qui tarde à se résorber, ces procès en cascade qui s’annoncent contre des détenus d’opinion et des Trésoriers généraux, cette  crise latente aux frontières Nord et Sud du pays, la gestion diplomatique d’un après sommet aux retombées encore incertaines.

Nouakchott a vécu pendant plusieurs jours sous la fièvre du Sommet arabe, tenu le 25 juillet dernier. Pendant cet évènement, le souci de réussir cette rencontre inédite, première du genre depuis l’accession de la Mauritanie à la Ligue Arabe en 1974, avait tu toutes les dissensions. Jamais en effet, circonstance n’a fait l’objet d’une trêve aussi totale. Les revendications sociales et politiques se sont tues. Ni les militants d’IRA, encore moins ceux du Mouvement du 25 février, dont plusieurs de leurs camarades étaient pourtant détenus n’ont organisé de manifestations. Les partis politiques de l’opposition ont également rengainé leur hostilité au pouvoir. Tous ont souhaité la bienvenue aux hôtes de la Mauritanie, enterrant la hache de guerre jusqu’au départ de tous les invités.
Aujourd’hui que l’immense tente du Palais des Congrès qui avait servi aux travaux de la 27ème session du Sommet Arabe, a été pliée, sans qu’un mariage collectif n’y soit organisé selon le vœu de plusieurs centaines de jeunes filles célibataires, l’amère réalité de la situation rattrape les Mauritaniens.
En effet, la  crise politique reste toujours insidieuse. Les démarches entamées pour la tenue d’un dialogue politique inclusif sont encore au point mort. Les frères ennemis de la scène politique nationale, le pouvoir et son opposition radicale, reprendront certainement leur manœuvre et leur tactique d’usure pour une recomposition future des rapports de force. Aux derniers développements de cet imbroglio politique, la promesse des autorités d’organiser au plus vite le dialogue tant attendu avec les forces disponibles. Il était question d’accords secrets avec certains partis membres de l’opposition pure et dure regroupés au sein du FNDU (Forum national pour la démocratie et l’unité).
Ce projet, selon des sources proches du pouvoir, reste sur l’agenda prioritaire des autorités en place.
Mais en sus de la dimension politique des crises multiformes qui secouent le pays, certains observateurs évoquent également la grogne sociale née des démêlés des autorités avec certaines entreprises étrangères dont Tasiast. Aux dernières nouvelles, un deal aurait été trouvé avec l’entreprise minière qui exploite un gisement d’or au Nord de Nouakchott. Une Mauritanisation des postes sur deux ans de 80% des postes jadis occupés par des expatriés aurait été convenue.
Il y a surtout ce procès de 13 membres du bureau exécutif d’IRA, prévu le 3 août prochain, qui s’annonce chaud, car l’organisation antiesclavagistes semble avoir lancé un appel à ses troupes. L’arrivée prévue ce jour, lundi 1er août 2016 du président et du vice-président du mouvement, Birame Dah Abeid et Brahim Bilal Ramadan de retour d’une tournée d’un mois aux Etats-Unis d’Amérique, pourrait bien donner un avant-goût de cette mobilisation populaire. Un collectif de 40 avocats se serait d’ores et déjà constitué pour la défense des prévenus.
Il y a également ce procès des militants du M25 (Mouvement du 25 février) arrêté à la suite de l’incarcération d’un de leur camarade, un jeune journaliste condamné à 3 ans de prison pour avoir jeté sa chaussure sur le ministre porte-parole du gouvernement au cours d’un point de presse hebdomadaire.
Il y a surtout ce procès en préparation à Zouerate qui concerne plus d’une dizaine de Trésoriers régionaux accusés de détournements de deniers publics et de fautes de gestion. Regroupés d’abord à la prison civile de Nouakchott, ils ont été par la suite transférés à plus de mille kilomètres au Nord de la capitale, à Bir Moghreïn. Leurs familles organisent de temps en temps des manifestations pour protester contre cet éloignement qui les prive des droits de visite.
A côté de ses dossiers internes qu’il est amené à gérer ces jours-ci et dans les mois qui s’annoncent, le pouvoir mauritanien devra faire face également à la crise diplomatique persistante avec le Royaume du Maroc. L’organisation du dernier sommet arabe à Nouakchott, marqué par l’absence du Roi Mohamed VI qui s’était fait représenter par son ministre des Affaires étrangères, aurait davantage creusé les dissensions entre les deux pays. Sur ce point, la presse marocaine ne cesse de se donner à cœur joie d’évoquer la victoire du Royaume sur la Mauritanie, cette dernière s’étant précipité selon elle à capter la patate chaude d’un sommet arabe que le Maroc avait refusé d’abriter, conscient de son échec prévisible.
A côté de la crise diplomatique avec son puissant voisin du Nord qui s’exacerbe de jour en jour, la Mauritanie devra probablement aussi régler son petit différend avec le Sénégal au Sud. Des milliers de têtes de camelins auraient été refoulés par les Sénégalais, violant ainsi, selon la partie mauritanienne, les accords liant les deux pays relatifs au droit de pâturage de ses troupeaux sur son sol.
La Mauritanie devra surtout rattraper quelques ratés diplomatiques consécutifs à l’absence de deux grands invités dont la présence était très attendue au Sommet arabe de Nouakchott. Il s’agit du Roi Selman d’Arabie Saoudite qui avait pourtant soutenu et appuyé financièrement mais aussi diplomatiquement la tenue du sommet. Alors qu’il était en vacances à Rabat, à deux heures de vol de Nouakchott, il annonça son désistement. C’est aussi le cas du Général Abdel Fetah Sissi, président d’Egypte, qui non seulement a décommandé à la dernière heure sa venue pourtant très programmée en Mauritanie, mais dont la presse a inventé un attentat qui devait le viser durant sa présence à Nouakchott.
L’image du pays s’est ainsi retrouvée sérieusement malmenée par la presse égyptienne, mais aussi par plusieurs stations de télévision à travers le monde arabe. En cause, non pas l’organisation du sommet, qui a été unanimement appréciée, mais surtout sur son timing, eu égard à la situation désastreuse du monde arabe, marqué par les divisions fratricides, les conflits confessionnels et l’éloignement de la question palestinienne du centre des préoccupations.

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