L’aventure des chercheurs d’or en Mauritanie : Vers le «No Man’s land City »

Article : L’aventure des chercheurs d’or en Mauritanie : Vers le «No Man’s land City »
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27 avril 2016

L’aventure des chercheurs d’or en Mauritanie : Vers le «No Man’s land City »

 

orpailleurs

Mohamed et Aly sont des instituteurs. Le premier est parvenu à se faire envoyer un puissant GPX 4500 détecteur d’or par l’entremise d’un frère installé à Dubaï. Les prix de ces appareils ont flambé en Mauritanie et coûtent aujourd’hui près de 2 millions d’ouguiyas. Quand à Ali, il est parvenu à convaincre son père, un transporteur interurbain, de lui prêter sa Toyota, lui miroitant la fortune qui l’attend à des encablures de Nouakchott, sous quelques pelletés. Ils ont été rejoints par Brahim, un banquier qui trouve stupide de rater une occasion de se taper des millions. Il rêve de s’installer à son propre compte au lieu d’attendre des miettes à la fin du mois. C’est lui qui prend en charge la logistique.
Une autre voiture s’était jointe à eux. A son bord, deux amis, avec des manœuvres. Sidi Salem, un peshmerga désabusé par une presse qui n’est plus la vache à traire qu’elle était du temps de Ould Taya et Vallou, un commerçant détaillant qui a bradé sa petite échoppe au marché de Teyarrett pour participer à l’aventure.
Serrés comme des saucissons, les occupants des deux véhicules scrutent la porte d’entrée du Fret de Nouakchott, là où viennent de s’engouffrer Mohamed et Sidi Salem pour dédouaner leur détecteur. Tout alentour, une immense foule bariolée, entremêlas de boubous bleu et blanc. La circulation est pratiquement bloquée entre le rond point de l’aéroport de Nouakchott et la porte du Garnison de l’air. C’est toute la Mauritanie qui est prise ces jours-ci par la fièvre de l’or. Même des émigrés mauritaniens à l’extérieur, Angola, pays du Golfe, Etats-Unis, Europe, sont revenus au bercail, paraît-il.

Une paperasserie administrative harassante
«Trois cent trois mille ouguiyas ! » lance Mohamed, jetant une facture froissée à ses compagnons. Le visage défait et le boubou froissé, il dit avoir bataillé comme un Titan pour parvenir au guichet de la douane. «Heureusement que nous avions déjà achevé les autres formalités ! » maugrée Ali.
«Etfou ! Al Hamdoullilah » renchérit Mohamed qui se rappelle les bousculades devant la Direction des Domaines pour payer la quittance de 100.000 UM exigée par la Direction des Mines pour l’autorisation de prospection.  «Il a fallu deux jours de bataille homérique à chaque étape de ce fastidieux processus ! Je crois que l’Etat doit faciliter le circuit pour les gens, en créant par exemple un guichet unique » commente Brahim.
Les deux Toyota sont surchargées de bidons d’eau et de gasoil, des couvertures, des matelas et oreillers, des ustensiles de thé et de cuisine, une tente, de la nourriture pour cinq jours.
«Allô Sidi Salem, on est prêt ! » lance Mohamed dans son téléphone Thoraya à l’intention des occupants de l’autre véhicule qui les suivent, le pied droit nonchalamment posé sur le tableau de bord, les orteils dépassant légèrement la vitre entrouverte. Ils avaient payé deux Thoraya, pour rester en communication. Tout le monde est enturbanné. «Il paraît qu’il fait une chaleur d’enfer sur place » commente Ali.
«Un ami qui est rentré hier me l’a dit. La vache ! Il est revenu avec 75 grammes d’or en trois jours de prospection si on le croit » commente-t-il, les yeux perdus sur la route de Soukouk, une bretelle au Nord de Nouakchott devenue une grande agglomération. La voiture venait de s’engager sur la route  «Sahraoui» qui désenclave cette partie de la capitale, envahie par des villas cossues qui sortent de terre. Derrière, l’autre véhicule vient de suivre ses sillages».
«Pourquoi ne passes-tu pas par le goudron Nouadhibou ? » demande Ali. Le chauffeur qui se sent interpellé hocha de la tête. «Je suis un grand connaisseur de la région, crois-moi, ce raccourci va nous permettre de gagner de précieuses heures » répondit-il sans détourner la tête du chemin cahoteux qu’il venait d’emprunter ». Vaincu, Ali se confina dans le silence, s’en remettant à sa volonté.
La route bitumée a disparu depuis belle lurette, laissant place à une voie sinueuse serpentant entre des dunes énormes. La nouvelle université s’éloignait au loin, tandis que les véhicules s’écartent de toute vie. La chaleur qui commence à envahir la cabine, les cahots provoqués par les secousses finirent par assommer les passagers.
Personne ne sut combien d’heures le calvaire avait duré. Seul le chauffeur est resté éveillé pendant tout le trajet. «Ew Aw ! Réveillez-vous ! » cria-t-il soudain. Les yeux  écarquillés, ils scrutent au loin des formes cubiques et des silhouettes que le halo solaire fait flotter. «Ici, c’est Nokta Sakhina ! » renseigne le chauffeur. Un énorme bazar à ciel ouvert où tout se vend et s’achète à prix…d’or. Ici, les commerçants ne résonnent qu’en milliers d’ouguiyas. Un paquet de Marlboro vendu à 600 UM à Nouakchott coûte 6.000 UM, un baril d’eau vendu à 300 UM est cédé à 5.000 UM. Même les vendeurs de thé se sucrent. Un verre coûte 500 UM au lieu de 50 UM. Quelques prospecteurs sont à pied d’œuvre quelques encablures un peu plus loin. Du ciel, tombe une lave de chaleur.
«Allons à Hmeymine ! » indiqua Ali. Juste le temps de se dégourdir les jambes, tâter le pouls de ce premier contact avec «No Man’s Land City » et voilà les deux Toyota vrombir de nouveau pour s’enfoncer 120 kilomètres plus au Nord.

La «Californie » mauritanienne
Féru de lectures, Mohamed tente de briser le silence. «Vous savez, ce que nous vivons là, les Américains l’avaient déjà vécu il y a près de 150 ans, quand la Californie attira quelques 300.000 ouvriers après la découverte de l’or dans une ville qui s’appelle Sutter’s Mill ».  Puis, après un bref silence, il ajoute «l’aventure n’avait duré que huit ans. On ne sait pas combien d’années, ça va durer ici ». Silence dans la cabine. Chacun imaginait ces milliers de personnes qui ont rêvé en ces temps-là de faire fortune comme eux aujourd’hui. «Le malheur, souligne Mohamed, beaucoup avaient fait fortune et d’autres sont retournés chez eux avec guère plus que ce qu’ils possédaient au départ ».
Re-silence encore plus lourd. Chacun se rappelle de récits faits par certains orpailleurs mauritaniens, revenus de leur aventure dans ces vastes étendues de l’Inchiri sans une once d’or.
Au loin, des centaines de Tout-terrain et des tentes dépenaillées. Des visages ocre, tannés par le soleil, scrutent le convoi qui vient d’arriver. Hmeymime !
Mohamed, Brahim et Ali furent rejoints par Sidi Salem et Vallou ainsi que leurs deux ouvriers. Rapidement, deux tentes furent dressées  et un semblant d’installation vit le jour. Harassés par la longue chevauchée, ils décidèrent de commencer la prospection le lendemain. Une chape de plomb les avait cueillis à froid. La nuit ne tarda pas d’ailleurs à envelopper cette vaste contrée aux allures de camp pour réfugiés.
Tôt le matin à l’aube, les hommes sont sur pied. A peine la fente du jour se déchira que les deux équipes s’éparpillèrent dans la demi-obscurité. Les détecteurs entamèrent leur première prise de service.
Seuls le cliquetis des pelles qui raclent la surface et le silence mortel des détecteurs scandèrent cette journée. Tout alentour, aussi loin que porte le regard, des milliers et des milliers de silhouettes, tête enturbannée, échines courbées, bras prolongés par des tiges mécaniques à la recherche du précieux métal. «Personne ne dira ce qu’il a trouvé » souffle Ali. «Mais une main qui farfouille dans l’autre, au milieu d’un gravas de sable placé sur une paume, un rapide geste vers la poche, permet de détecter une trouvaille. Cela se voit au visage qui rayonne un laps de temps avant de se refermer dans une gravité faussement indifférente » poursuit-il.
«Dans ce désert rocailleux, chacun craint pour sa vie et n’ose crier victoire. La peur les empêche de partager une simple petite joie. On ne fait confiance même pas à son père » déclare Mohamed.
A plusieurs reprises, le détecteur émet le son délivreur.  A chaque fois, Mohamed et Ali se précipitent sur la surface, creusent avec frénésie. Là-bas, Sidi Salem et Vallou surveillent de près le geste de leurs ouvriers. Le soir, décompte. Personne n’ose dire réellement ce qu’il a déniché.
«Bof, à peine 18 grammes ! » renseigne Mohamed. «Nous, c’est presque la même quantité, environ 20 grammes ! » lâche Vallou. Mais personne n’était dupe. Chacun savait que l’autre mentait. Mais c’est la loi de l’Omerta que tout le monde semble respecter.
Des dizaines de véhicules continuent à affluer et des centaines de chasseurs d’or viennent chaque jour surpeupler les 1700 kilomètres de surfaces autorisés par l’Etat aux orpailleurs. Durant les trois jours que dura l’aventure, des gendarmes mobiles sont passés plusieurs fois inspecter les lieux et vérifier les autorisations. Quelques irréguliers orpailleurs sont arrêtés et leurs matériels confisqués.
«Ici, on trouve du tout, des fonctionnaires du public, des cadres du privé, des hommes d’affaires, des étudiants, des diplômés-chômeurs et même de plus en plus de femmes » renseigne un gendarme. Une histoire d’amour serait même née ici. «Une dame a épousé son employé,  lorsqu’après s’être accordée avec lui sur la moitié de sa moisson, elle voulut le dribbler » raconte un sexagénaire, accompagné de ses deux fils.
Une ville est en train de naître ici à Hmeyime, comme partout où la recherche de l’or a attiré du monde, à l’image de Kwaténa au Bénin, Kobodan au Mali, ou encore Bountwanou au Burkina Faso. «L’or attire des populations qui finissent par s’installer et cela donne naissance à une ville » raconte un vieux briscard des  mines d’or maliennes, Alioune Samba. Un gars aux épaules énormes, dont les aventures meublent les soirées obscures de l’Inchiri, au moment où les hommes vaincus par les ténèbres ressassent des rêves de lendemains meilleurs.
L’histoire est en train de se répéter en Mauritanie. Mohamed et Ali sont revenus avec 85 grammes d’or, d’après ce qu’ils ont bien voulu avouer. Le temps de vendre leurs produits, ils comptent retourner vers l’Eldorado. Brahim lui, a choisi pour sa part de poursuivre son séjour avec Sidi Salem et Vallou. Leur histoire alimentera certainement le «Chtari » qui fleurit sur cette fièvre aurifère en Mauritanie. Elle suscitera probablement de nouvelles ambitions chez d’autres aventuriers.

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