Hamady Ould Lehbouss, chargé de communication de IRA : «Ma première fête sans Papa ! »
La maison de Hamady Ould Lebhous, sise au Poteau 17 d’Arafat à Nouakchott, est triste en ce jour d’avant-fête d’El Id. La petite Mama, 4 ans, dernière née de la famille, est encore inconsciente du drame dans lequel est plongée la famille. En l’absence du père, la mère de famille, Mâame Mint Saleck, épouse de Hamady, tente d’égailler sa petite maisonnée. Malgré une joie feinte qu’elle tente de plaquer sur son visage, la tristesse se lit dans ses yeux. Son homme du moment, son aîné Lehbouss, 25 ans, «Papis » pour les intimes, lui sert en attendant de rempart contre l’angoisse qui l’étreigne. Pour Mama, la toute dernière, «c’est la première fête sans Papa ! ». Sa grande soeur, Oumoulkheïry dite Mamy, 22 ans, et son autre grand-frère, Birame, 18 ans, sont parfaitement au courant du sort qui a été réservé à leur père. Ils pensent qu’il est en prison pour une noble cause, «défendre les droits de l’homme en Mauritanie et libérer les esclaves encore sous le joug des maitres ».
Paradoxalement, c’est à la sortie d’une conférence de presse organisée par IRA pour demander la libération de leurs amis emprisonnés dans ce qu’il est convenu d’appeler «Affaire Gazra Ould Bouamatou » que Hamady Ould Lehbouss a été arrêté dans la rue par des policiers en civil. C’était le 3 juillet 2016. Soit six jours après les évènements qui avaient opposé des populations d’un squat à une force de police venue les déguerpir par la force.
La première arrestation
Hamady Ould Lehbouss a été arrêté en même temps que Mohamed Ould Ahamdy, Trésorier de l’organisation, ainsi que Mohamed Jar. Le trio fut conduit au Commissariat de la Police Judiciaire (CSPJ) de Nouakchott. Jusqu’au 12 juillet, Hamady déclare avoir vécu le pire moment de sa vie. «Je ne pensais jamais qu’on pouvait nous traiter comme des criminels et nous faire dormir pendant des jours et des nuits dans des cellules nauséabondes, à même le sol, avec un trou comme toilettes à côté ! » témoigne-t-il. Il croît que ce traitement s’inscrit dans la même logique que celle que l’Etat mauritanien a toujours adopté vis-à-vis des militants et cadres de l’IRA. «Nous rappeler constamment qu’en luttant contre l’esclavage, nous devenons pire que le commun des criminels, assassins, violeurs et autres malfrats, qui sont souvent mieux traités que nous » renchérit-il.
Comme Diop Amadou Tijane dans son témoignage, Hamady a dit toute son émotion, lorsqu’aux environs de 4 heures du matin du 12 juillet 2016, ils furent conduits au tribunal pour leur première audition. Ils y découvrirent leurs avocats, qu’ils rencontraient pour la première fois. «Pourtant, la législation mauritanienne, notamment la loi sur la torture, exige la présence de l’avocat et d’un membre de la famille dès les premiers instants de l’arrestation » indique-t-il. Une présence qui les a fortement réconfortés, dira-t-il en substance. Celle d’un groupe de défenseurs en robe noire, bénévolement engagés à défendre leur cause et celle du droit, et qui n’ont pas hésité à interrompre leur sommeil à l’appel du devoir.
C’est surtout le comportement des policiers, lors de leur arrestation et tout au long de leur séjour en garde-à-vue, d’ailleurs prolongé bien au-delà du délai légal, qui a frappé Hamady, selon sa déclaration. «Ils nous insultaient, nous traitaient de toutes les insanités, comme si nous avions commis un crime abominable alors qu’au début de notre arrestation, nous ne savions même pas ce qui nous était reproché » témoigne-t-il.
Les souvenirs de l’interrogatoire lui semblent encore plus surréalistes. «Ils m’ont posé des questions sur les évènements de la gazra Bouamatou que je n’ai appris d’ailleurs que le soir en rentrant chez moi après le travail » a-t-il souligné. «Je suis écoeuré par tout ce faux et cette manipulation des faits pour nous faire porter le chapeau comme si enfin, l’heure de nous liquider en tant qu’organisation avait sonné » soupire-t-il.
Selon lui, malgré la perquisition opérée chez lui et dans son bureau, la saisie de ses trois ordinateurs, et de son téléphone portable, la fouille dans sa page facebook, son watsap et dans ses mails, la police n’a trouvé le moindre élément de compromission. «Alors, ils ont déclaré que je m’étais réuni la veille avec Balla Touré pour planifier les évènements du 29 juin 2016 ayant conduit aux terribles évènements, alors que je n’avais pas vu Balla depuis au moins une semaine » martèle-t-il. «Et quand je leur ai demandé de me donner la moindre preuve de leurs allégations, ils m’ont dit, que c’était comme ça et c’est tout ».
Il étai devenu clair pour Hamady et ses compagnons, que la police voulait coûte que coûte fabriquer un scénario pour les impliquer et leur faire porter la responsabilité de ce qui s’était passé dans ce squat du quartier Leksar à Nouakchott ;
«Au CSPJ, j’ai vu beaucoup de jeunes de la Gazra. Ceux qui acceptaient de coopérer avec la police et qui déclarent que c’est IRA qui a fomenté le coup était relâché et ceux qui refusaient de cautionner le faux était emprisonné, torturé et bastonné » a-t-il ajouté.
Pourtant, fait remarquer Hamady, les jeunes de la Gazra qui avaient assisté aux évènements, qui avaient lancé des pierres, participé au lynchage des policiers et brûlé le bus de la police, ont été acquittés. Une plainte a été même déposée contre la plupart d’entre eux par les propriétaires de la Gazra. Mais un arrangement a eu lieu entre leurs familles et les plaignants et ils ont été relâchés. «Par contre nous, contre qui aucune plainte d’un tiers n’a été déposée et qui n’étions même pas présents sur les lieux, on nous colle des condamnations de 3 ans, 5 ans et 15 ans de prison ! »
Très amer, Hamady soutient que ses camarades et lui continueront à maintenir le moral au beau fixe, persuadés qu’ils sont qu’ils ont été emprisonnés pour la simple raison que leur mouvement dérange le pouvoir esclavagiste et raciste en place. «Ce qui nous réconforte davantage, c’est que nous ne nous sentons pas seuls, beaucoup de personnes de bonne volonté, des amis, des proches, tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, des organisations nationales et internationales, des institutions, nous soutiennent dans notre combat».
Hamady Lehbouss s’est dit encore plus révolté quant au septième jour de sa détention, il a vue certains de ses amis, comme Moussa Birame et Abou Sow, portant encore les stigmates des tortures qui leur ont été infligées. «J’ai vu leurs corps zébrés, leur visage ravagé, et j’ai eu du mal à concevoir que malgré la ratification de la Convention contre la torture, cette pratique est encore récurrente en Mauritanie ».
L’enfant de Jidrel Mohguen
C’est à Rosso, capitale du Trarza, que Hamady Ould Lehbouss a vu le jour, en 1964. Mais c’est à Jidrel Mohguen, là où se trouvent ses véritables racines et le jardin de sa première enfance, qu’il grandira. Son père, Lehbouss, était commerçant dans la ville sénégalaise de Dagana, là où deux de ses filles fonderont plus tard leur foyer. Dernier né d’une fratrie de six enfants, quatre filles et deux garçons, Hamady perdra son unique frangin, mort à bas âge. Depuis, il était le seul garçon de la famille.
C’est dans ce fief reculé du Trarza, que Hamady et Birame Dah Abeid, celui qui deviendra plus tard son compagnon de lutte, grandiront ensemble. Ils avaient le même âge et partageaient déjà une profonde amitié et une indescriptible complicité. Même parcours scolaire, école primaire et collège de Jidrel Mohguen, puis Lycée de Rosso.
En 1984, Hamady opte pour l’enseignement. Après une formation à l’Ecole des Instituteurs de Nouakchott, en 1987, il sert comme instituteur à Ouadane, puis dans plusieurs établissements scolaires à Nouakchott. En 1999, il est affecté à l’Institut Pédagogique National (IPN) où il sert jusqu’aujourd’hui.
Un farouche opposant
Hamady Ould Lehbouss a adhéré très jeune aux mouvements politiques, mais toujours du côté de l’opposition avec laquelle il a partagé la plupart des combats, depuis la liste beige de Messaoud lors des municipales de 1986, en passant par le FDUC, l’ancêtre de l’UFD qui sera la première force de l’opposition réunie qui se battra contre Ould Taya lors de la première présidentielle de l’ère démocratique en 1992. Plus tard, Hamady, militera au sein du parti AC (Action pour le Changement) que Messaoud Ould Boulkheir fondera après la dissolution de l’UFD, longtemps tiraillé entre UFD/A et UFD/B. Et enfin le mouvement IRA en 2008.
IRA, un rêve de changer le monde
Membre fondateur de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et chargé de sa communication, Hamady Ould Lehbouss raconte que l’idée de créer un mouvement pour la lutte contre l’esclavage est née de longues discussions entre plusieurs cadres haratines. «A l’époque, moi je servais à l’IPN et Birame était à la Commission nationale des droits de l’homme » se rappelle-t-il. «Entre Birame et moi, c’était vraiment une convergence absolue de point de vue, quant à l’urgence de créer une organisation dont l’objectif principal est de déconstruire le système inique qui gouverne le pays » ajoute-t-il.
«J’ai vu naître, puis grandir IRA et j’ai vu beaucoup de personnalités le rejoindre, à l’image de Brahim Bilal Ramadan, Mohamed Jar, puis plus tard, Mohamed Amou Moustapha et bien d’autres » énumère-t-il. Par la suite, poursuit-il en substance, IRA est devenue cette grande tentacule populaire qui attire de plus en plus de masses, mais aussi une des forces qui fait l’actualité nationale et internationale depuis plusieurs années, par ses coups d’éclats, ses dénonciations, ses sit-in et marches, l’emprisonnement courant et permanent de ses militants et de ses leaders. Bref, selon Hamady «IRA est aujourd’hui la seule force qui inquiète les tenants de l’ordre établi et qui sait faire bouger la rue et les lignes ».
Hamady Ould Lehbouss est décrit comme un homme affable, très peu porté vers l’ostentatoire, un homme qui n’aime pas s’afficher, dont la discrétion n’a d’égale que son efficacité dans la communication médiatique des activités du mouvement. Très effacé et peu bavard, il fait l’unanimité au sein de l’IRA. «Il s’entend avec tout le monde, surtout les jeunes, même les ennemis d’IRA, les dissidents en particulier continuent à lui vouer un grand respect. S’il y a des faucons à IRA, Hamady est la Colombe du mouvement » témoigne Alioune Sow, son compagnon de lutte.
«Le toutou de Birame »
Beaucoup reproche à Hamady Lehbouss son alignement quasi légendaire sur tous les faits et gestes de Birame. C’est la critique que lui adressent souvent ses détracteurs. Ces derniers n’hésitent pas d’ailleurs à le désigner comme le «toutou de Birame ». Hamady se défend énergiquement de cette accusation. Il reconnaît avoir une convergence totale de point de vue avec Birame sur la lutte que mène IRA. «Je discute beaucoup avec Birame et je n’y peux rien, si nos idées se recoupent » se rebiffe-t-il.
Mais le plus virulent adversaire de l’IRA, Dr.Saad Ould Louleid est allé plus loin dans son attaque personnelle contre Birame et son entourage. N’a-t-il pas qualifié Hamady Ould Lehbouss de «coursier fidèle de Birame », l’accusant de trafics illicites de migrants ?
Une accusation que beaucoup de personnes très proches de Hamady Ould Lehbouss ont repoussé d’un revers de main, soutenant qu’IRA n’a jamais trempé dans un quelconque trafic de quelque genre qu’il soit. « Saad est-il plus intelligent ou plus renseigné que la Sûreté d’Etat mauritanienne ou les chancelleries occidentales ? Si ce trafic existait, l’Etat mauritanien qui n’a cessé de fouiller et de farfouiller dans les affaires des militants d’IRA et de ses cadres n’auraient eu la moindre peine de le dévoiler puis de le brandir comme un trophée, ce qui lui aurait permis de décapiter en toute légalité le mouvement qui lui cause le plus de problèmes au monde » confie-t-on.
Hamady Ould Lehbouss est père de six enfants, quatre filles et deux garçons. Lui-même est issu d’une famille de six enfants, quatre filles et deux garçons. Quelle coïncidence attend encore Hamady dans sa longue quête d’une Mauritanie juste, où tous les enfants naîtront dans l’égalité ?
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