Troisième mandat pour Aziz : provocation ou intox

Article : Troisième mandat pour Aziz : provocation ou intox
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11 juillet 2017

Troisième mandat pour Aziz : provocation ou intox

Le Premier ministre Yahya Ould Hademine persiste et signe : «le président Mohamed Abdel Aziz briguera un troisième mandat ». Le référendum constitutionnel pour lequel le gouvernement est en campagne ne viserait en définitive que ça : assurer au système en place une pérennité, profitant du fait que les gendarmes du monde, les Etats-Unis et l’Europe, trop pointilleux il y a quelques années sur le respect des normes démocratiques, ont aujourd’hui d’autres priorités. Un 3ème mandat pour Aziz : intox ou provocation ?

Le PM Yahya Ould Hademine en campagne

A Vejar, puis à Mbout, deux misérables patelins du «Triangle de la Pauvreté », le Premier Ministre Yahya Ould Hademine a repris sa trompette pour assurer devant des populations tannées par plus d’une décennie d’oubli, d’exclusion et de faim, que ce système qui leur maintien le couteau sous la gorge va encore rester ad aeternam. «Aziz briguera un 3ème mandat ! »Le pouvoir ne quittera pas en 2019 ! » Des affirmations que le chef du gouvernement a désormais l’habitude d’asséner dans toutes ses tournées.

Des propos banalisés par une grande partie de sa majorité qui estime que ce n’est là qu’une manière pour maintenir les populations sous le giron de l’Union Pour la République (UPR), le parti au pouvoir, que le départ de Mohamed Abdel Aziz pourrait effriter. En effet, il a été prouvé qu’à chaque fois que le Chef de l’Etat quitte le pouvoir, le parti sur lequel il s’adossait, part en miettes. Ce fut le cas du PRDS, parti omnipotent qui régna pendant 23 ans sur la Mauritanie sous le règne de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya et qui fondit comme beurre au soleil à sa chute en 2005. Ce fut également le cas pour le parti ADIL, qui ne vécut que le temps d’une rose, s’évaporant en 2008, après seulement deux ans d’existence après l’éviction du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’UPR, formé par les mêmes têtes qui ont migré du PPM (parti unique des premières années d’indépendance) au PRDS et du PRDS à ADIL puis à l’UPR, craint ainsi un départ en ordre dispersé de ses ouailles au cas où le pouvoir serait remis en chandelle.

Pour d’autres, les paroles du Premier Ministre ne devront pas être prises à la légère. Elles seraient dictées par l’intéressé lui-même, qui pourrait revenir sur ses engagements solennels. En effet, à plusieurs reprises, sur les plateaux de télévision locale ou internationale, ou dernièrement, lors de la clôture des dernières «Journées de dialogue et de concertation », Mohamed Abdel Aziz a toujours affirmé haut et fort qu’il ne briguera pas un 3ème mandat.

Les changements intervenus dans la géopolitique mondiale seraient-ils à l’origine du revirement à 190 degré du président mauritanien ? Possible. Si au temps de Sarkozy ou de Hollande, ou encore sous Bush ou Barak Obama, et même dans le registre des institutions de Bretton Woods, le respect des principes démocratiques, celui des droits de l’homme ou de la gouvernance politique, était au cœur de la coopération internationale, la donne a bien changé sous Donald Trump, artisan d’un repli identitaire américain, avec son slogan «l’Amérique d’abord » ou encore sous Macron partisan d’une politique étrangère moins intempestive de la France dans les affaires intérieures des États africains.

L’exemple fleurissant des Chefs d’État africains, amateurs de tripatouillage constitutionnel et de présidence à vie , serait également assez inspirateur pour un Mohamed Abdel Aziz qui était à la recherche d’une entourloupette pour conserver le pouvoir . Face à une opinion vaincue par une décennie de disette forcée et une opposition défaitiste qui a depuis longtemps déserté le champ de la bataille politique, un large boulevard s’ouvre ainsi devant les militaires et devant Aziz pour faire sauter les verrous de la limitation des mandats présidentiels. En l’absence d’une morale mondiale, sorte d’épée de Damoclès qui était jusque-là suspendue sur la tête des dictateurs en herbe, plus question de fignoler.

L’actuel référendum qui porte sur des points puériles, ne serait en fait qu’un test avant-coureur d’ un autre référendum, le vrai cette fois-ci, pour faire de Mohamed Abdel Aziz un président à vie à la tête de la Mauritanie.

Mais de quels arguments le pouvoir actuel pourrait-il se prévaloir pour réclamer une prolongation ? La question est d’autant plus pertinente qu’en dix ans de règne, Mohamed Abdel Aziz a mené le pays vers la faillite économique, sociale, culturelle et morale.

Sur le plan économique, l’État ne vit plus que des raquettes imposées aux populations, à travers impôts et taxes excessifs, augmentation exponentielle des prix des produits essentiels, au point qu’aujourd’hui la faim a gagné les centres urbains. Sur le plan social, l’exacerbation des tensions intercommunautaires et l’ancrage du racisme d’État ont été les deux leviers sur lesquels l’actuel pouvoir s’est appuyé pour diviser les Mauritaniens et les empêcher de s’intéresser aux affaires publiques. La corruption gangrène aujourd’hui tous les rouages de l’État, avec une dilapidation sans précédent des ressources publiques, et une politique oligarchique qui ne profite qu’à une poignée de proches du pouvoir. L’État de droit n’est plus qu’un mirage. L’incarcération ces jours-ci du Sénateur Ould Ghadde, protégé par l’immunité parlementaire, et sur un simple ordre venu de la Présidence, serait le signe précurseur d’une dictature implacable qui ne cache plus son diktat sur la vie publique.  Les projets et programmes d’aide publique au développement sont livrés au sac des organisations internationales, alors qu’à la tête de l’État officient des départements ministériels vidés de toutes leurs compétences.

Voilà cette Mauritanie de la médiocrité, du vol, du sac et de la désunion sociale sur lequel règnent des fonctionnaires-commerçants véreux, mus par leurs uniques intérêts, que Yahya Ould Hademine cherche à faire imposer.

Et c’est certainement la peur d’un scénario à la Burkinabé, qui a poussé les autorités à censurer un film sur les «Dix jours qui ont précédé la chute de Blaise Compaoré », un film que le Festival «Ciné droit libre» en collaboration avec le Festival Assalamalekum projetait de présenter le 3 juillet dernier dans une des salles de l’Université de Nouakchott.

Cheikh Aïdara

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