Travailleurs agricoles, bergers, domestiques et talibés, acteurs de la Journée nationale contre l’esclavage du 6 mars 2020

Article : Travailleurs agricoles, bergers, domestiques et talibés, acteurs de la Journée nationale contre l’esclavage du 6 mars 2020
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8 mars 2020

Travailleurs agricoles, bergers, domestiques et talibés, acteurs de la Journée nationale contre l’esclavage du 6 mars 2020

Comment améliorer les conditions de vie des travailleurs agricoles, des bergers, des domestiques et des talibés ? Question centrale qui a mobilisé quatre groupes de travail des jours durant, avant la journée préparatoire du 5 mars 2020 qui a précédé la Journée nationale de lutte contre les pratiques esclavagistes célébrée cette année sous le thème «Ensemble pour lutter contre la traite des êtres humains».

La journée nationale de lutte contre les pratiques esclavagistes a été célébrée le 6 mars 2020 à Rosso, Capitale du Trarza, par le Ministère de la Fonction Publique, du Travail et de la Modernisation de l’Administration et le Commissariat aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile, en collaboration avec le Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme en Mauritanie et le Bureau International du Travail. Cette journée instituée par la Loi 2015-031 criminalisant les pratiques esclavagistes a été marquée par des échanges de discours.

Si à l’ouverture officielle, le commissaire aux droits de l’homme, M. Mohamed El Hassan Ould Boukhreiss,  a mis en exergue les efforts consentis par la Mauritanie sur le plan juridique et institutionnel pour lutter contre les séquelles de l’esclavage et la traite des êtres humains, citant le plan d’action en quatre axes institués à cet effet, la Représentante adjointe du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme en Mauritanie, Mme Rania Al-Ragly, a magnifié les bons rapports entre son institution et les autorités mauritanienne dans le domaine des droits humains, alors que le maire de Rosso, M. Bamba Dramane, s’est contenté de souhaiter la bienvenue aux délégations, mettant en exergue les actions entreprises par le gouvernement pour combattre toutes les violations des droits de l’homme en Mauritanie.

La traite, les instruments internationaux et le plan d’action mauritanien

La journée a été marquée par deux communications. Une «Introduction du cadre juridique à la traite des personnes en Mauritanie avec une approche des êtres humains» par M.Déthié Sall, expert au Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en Mauritanie, qui a fait le tour des définitions de certains concepts comme le travail forcé, la traite des êtres humains, avant de citer les textes internationaux s’y rapportant.

 La deuxième communication présentée par M.Cheikh Ould Jiddou, expert au Commissariat aux Droits de l’Homme, a porté sur le «Plan National de lutte contre la traite des personnes 2020-2022 ».

Par delà les chiffres de la traite des personnes qui touche 2, 5 millions de personnes dans le monde par an, dont plus de 70% de femmes et d’enfants, ainsi que les 160, 2 milliards de dollars engrangés en 2012 par les réseaux de trafiquants contre 32 milliards de dollars en 2011, Cheikh Ould Jiddou a expliqué que le Plan national de lutte contre la traite des personnes en Mauritanie (PANTP) vise à combattre un phénomène criminel face à des réseaux prospères et puissants, alors que le pays manque encore cruellement au niveau national de données et de documents sur ce plan. La traite se manifeste ainsi par la mendicité des enfants issus de familles souvent pauvres et démunis, de la part de marabouts sans sources de revenus, bien que selon lui le code pénal mauritanien punit  l’exploitation des enfants par la mendicité. Selon Cheikh Jiddou, le Ministère des Affaires Sociales prend déjà en charge 110 enfants talibés sur  500 identifiés et assure un revenu à leurs familles à raison de 2.000 MRU mensuel sous forme de cash transfert. Il a cité deux conventions qui protègent et garantissent les droits des enfants, la Convention 138 et la Convention 187 de l’OIT. Il a cité plusieurs autres formes de traite, comme le mariage précoce des filles, le travail des Mauritaniens à l’étranger (domestiques dans les pays du Golfe), la traite des filles domestiques étrangères, les réseaux de prostitution qui touchent les migrantes, entre autres.

Les travailleurs formulent des recommandations

Au cours de la journée préparatoire du 5 mars 2020 ouverte par M.Mohamed Touré, Conseiller du Wali du Trarza chargé des affaires administratives et juridiques, les participants constitués de fonctionnaires de plusieurs départements décentralisés (Ministère du Travail, Justice, Affaires Sociales, Développement Rural…) et des membres de la société civile, avaient organisé des séances de travail par thème, à l’issue desquels ils ont publié une déclaration commune qui a été lue en plénière lors de la clôture de la journée. Ainsi, chaque catégorie de travailleurs a formulé ses recommandations

Le Groupe de travail sur l’élevage demande au Ministère du Développement Rural (MDR) de conduire le dialogue sectoriel pour l’élaboration d’une convention collective de travail pour le secteur de l’élevage et d’instaurer des mécanismes de contrôle pour l’élimination des pires formes de travail des enfants dans la transhumance.  Ils ont aussi demandé d’accompagner les acteurs pour l’organisation des travailleurs bergers pour garantir la paix sociale et assurer la cohésion sociale au sein  du secteur.

Le Groupe des travailleurs du secteur agricole a également demandé au MDR de conduire le dialogue social sectoriel pour que les travailleurs agricoles puissent disposer d’une Convention collective spécifique à leur secteur et que l’administration du travail mette en place un cadre réglementaire pour le recrutement équitable des ouvriers agricoles. Ils demandent aux syndicats et aux organisations de la société civile de les accompagner dans la sensibilisation pour la formation des acteurs dans le domaine de la santé et de la sécurité. Ils ont également demandé aux employeurs de s’engager à assurer aux travailleurs le respect de leur suivi médical et de leurs droits à la sécurité au travail ;

Le groupe des travailleurs domestiques recommande au Ministère de l’Enseignement à assurer l’accès de tous les enfants à l’éducation, au Ministère de la Fonction Publique à mettre à niveau l’Arrêté 1797 portant emploi domestique pour une meilleure réglementation aussi bien en milieu urbain que rural. Il demande au Ministère de l’Emploi, de la Jeunesse et des Sports, de mettre en place des modules de formation qualifiante des travailleurs domestiques, et aux syndicats de s’impliquer davantage dans la protection de leurs droits et d’y sensibiliser tous les acteurs, les employés comme les employeurs à travers le dialogue social.

Le groupe de la mendicité des enfants recommande l’accès effectif des enfants talibés à l’école, l’amélioration et la consolidation du Système de Protection Communale de l’Enfance (SPCE), mais aussi la création de structures de formation et d’insertion des enfants en mendicité ainsi que l’amélioration de l’accès des talibés aux soins médicaux de base.

Témoignages

Bowba Mint Habib, employeuse

«J’ai l’habitude de prendre des bonnes, mais je rencontre souvent des problèmes. Certaines sont sérieuses parfois au début, puis au fil des jours, elles arrivent en retard, repartent tôt, n’obéissent pas aux instructions et ne font pas correctement le travail demandé et cela se termine souvent par le renvoi et la recherche perpétuelle de bonnes et on parvient rarement à trouver l’oiseau rare, celles qui veulent réellement travailler sans chercher à tricher. Les salaires vont entre 2.000 et 2.500 MRU et elles habitent avec moi à la maison, avec un repos hebdomadaire sur deux».

Ahmed Ould Mah, domestique

«Très souvent, des familles m’amènent travailler chez eux à Nouakchott pour un salaire de 5.000 MRU. Tu es engagé pour un mois, mais souvent, le temps de balayer la maison et de rendre toute la maison nickel, tu es renvoyé au moindre prétexte, comme si l’objectif premier était juste d’avoir quelqu’un pour leur nettoyer la maison et c’est souvent des familles qui viennent d’aménager qui procèdent ainsi. Très souvent, le boy ou la bonne, c’est l’employé à tout faire, le serviteur, mal payé, que personne ne respecte, et les femmes domestiques sont souvent violées, ou accusées de vol».

Marième Mint Zayed, association de défense des droits des domestiques

«Nous avons mené une enquête pendant 3 jours dans le monde des gens de maison. Nous avons remarqué que la plupart des familles ne veulent embaucher que des filles mineurs et nous avons découvert que c’est parce qu’elles sont plus malléables, plus faciles à maîtriser et à amadouer à cause de leur jeune âge et de leur immaturité. Elles sont embauchées au départ juste pour la garde des enfants avec un salaire dérisoire, puis au fil des jours, on leur demande de faire le travail d’une véritable bonne, avec un salaire quatre ou cinq fois moindre. Elles sont en fait exploitées et préfèrent souvent garder cette situation pour soutenir leurs familles».

Abdoul Sy, ancien enfant talibé

«J’ai vécu, sous les ordres d’un marabout venu du Fouta, la vie d’enfant talibé dans l’école coranique de la maison familiale. Il y a des heures d’apprentissage et des heures où les enfants doivent aller chercher leur pitance, car les familles des enfants n’amenaient plus la ration alimentaire et le marabout ne pouvait pas nourrir toutes ces bouches. Cela a évolué. Le marabout ne se contentait plus de demander aux talibés d’aller mendier la nourriture, mais de lui verser un montant d’argent par jour, montant fixé selon l’âge. Celui qui venait sans ce versement était battu et torturé, ce qui poussait les talibés à voler ou à fuir, pour devenir enfant de la rue. La pression exercée par le marabout de plus en plus exigeant s’est par la suite doublée de la pression exercée par les familles qui demandent aussi à leurs enfants de leur envoyer de leur argent. Une vie difficile à supporter pour un enfant».

Codou Oumar Diagne, présidente coopérative de femmes paysannes

«Nous exploitons depuis plusieurs années 20 hectares de terres où nous avions planté 4.000 pieds d’arbres fruitiers avec un jardin où nous avions mis des légumes. Notre calvaire a commencé lorsque les services d’eau nous ont coupé la conduite d’eau qui nous reliait au fleuve. Et cela a duré deux années, ce qui a détruit complètement notre projet car nous avons perdu près de 3.000 pieds d’arbres, donc une bonne partie de notre investissement et personne, l’Etat en premier, ne veut nous aider. Même pas un prêt agricole pour nous permettre de reprendre de la main. La survie de plusieurs dizaines de femmes est ainsi compromise. Les travailleurs de la terre souffrent souvent de ce problème d’accès à l’eau, bien que le fleuve est à portée de mains, et les services agricoles ne nous offre aucune aide. Les employés souffrent ainsi de ce retard».

Hamadou Bâ, ancien berger devenu patron

«Cela fait plus de 60 ans que je travaille dans l’élevage de bovins, dont plus de trois quart de cette vie comme berger, ce qui me rend encore plus indulgent vis-à-vis des bergers que j’embauche aujourd’hui. Je sais que la vie de berger est dure. Il n’a pas de salaire quand il travaille dans le troupeau familial. Ce fut mon cas et j’ai travaillé sur les deux côtés du fleuve, ici en Mauritanie comme de l’autre côté au Sénégal. Le berger touchait un salaire de 10.000 MRO et c’est le propriétaire qui assure sa nourriture. Certains bergers sont souvent obligés de rembourser en cas de perte, de mort ou de blessure d’une vache et faute de pouvoir le faire, finissent souvent en prison. Moi, j’ai un berger que je paye aujourd’hui 4.000 MRU et il habite avec moi. Je le prends totalement en charge et je ne lui ai jamais demandé de me rembourser une vache perdue, morte ou blessée. Mieux, je l’ai sorti plusieurs fois d’affaires chaque fois qu’il a été arrêté sur plainte de certains agriculteurs dont les champs ont été envahis par les vaches. Mais tous les bergers n’ont pas cette chance. Certains sont maltraités, travaillent pendant une saison, sans toucher de salaire, parce qu’ils tombent sur un patron véreux, ou qui leur fait payer la prise en charge, ou rembourser une vache perdue, morte ou blessée».

A noter que cette journée a été aussi marquée par la présence des autorités administratives conduites par le Wali Mouçaid du Trarza, M.Mohamed Vall Ould Mohamed Mahmoud, ainsi que les représentants du Bureau International du Travail (BIT) sous la conduite du Coordinateur du Projet Bridge, M.Marc Ninerola, le Maire de Rosso, M.Bamba Dramane, ainsi que les élus de la région.  

 Cheikh Aïdara

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