Cas d’esclavage à Aïn Varba, la Chambre d’accusation près de la Cour d’Appel place deux présumés esclavagistes en prison

Article : Cas d’esclavage à Aïn Varba, la Chambre d’accusation près de la Cour d’Appel place deux présumés esclavagistes en prison
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18 novembre 2021

Cas d’esclavage à Aïn Varba, la Chambre d’accusation près de la Cour d’Appel place deux présumés esclavagistes en prison

Le cas d’esclavage signalé par l’Initiative du mouvement abolitionniste (IRA) dans la localité de Aïn Varba, département de Tintane au Hodh El Gharbi, a connu un spectaculaire rebondissement. La Chambre d’Accusation près de la Cour d’Appel de Kiffa a placé en dépôt, lundi 15 novembre 2021, un père et sa fille, accusés de pratiques esclavagistes, conformément à la Loi 2015-031 du 10 septembre 2015 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes.

Marième Mint Cheibani – Crédit Aidara

La Chambre d’Accusation près de la Cour d’Appel du Tribunal de Kiffa (Assaba) a finalement tranché les tergiversations du juge d’instruction du tribunal d’Aïoun (Hodh Gharbi) qui contrairement à la requête du Procureur de la République portant mise sous écrou du principal accusé, avait tenté de le placer sous contrôle judiciaire lui et sa fille. Lundi 15 novembre 2021, la Chambre d’Accusation a requis la mise sous dépôts des deux présumés esclavagistes, Cheikhna Chehlawi et sa fille Salma, en attendant leur jugement devant la Cour spéciale de justice chargée des questions d’esclavage à Néma au Hodh Echarghi.

Au commencement de l’affaire

Vers la première semaine du mois de novembre 2021, éclate l’affaire Marième Mint Cheibani, une femme de 39 ans qui affirme être victime de servitude domestique héréditaire de la part de la famille Cheikhna Chehlawi dans la localité de Aïn Varba, relevant du département de Tintane au Hodh Gharbi. La femme se plaint auprès de l’ONG IRA et déclare que ses deux enfants sont confisqués et exploités par ses maitres, lesquels ont également, selon elle, confisqué sa pièce d’identité quand ils ont appris qu’elle s’est plaint devant des défenseurs des droits de l’homme.

Marième Cheibani en compagnie de son mari (à gauche) et de son bébé – Crédit Aidara

Une mission du mouvement IRA se rend sur place le 8 novembre 2021 pour vérifier les accusations portées par la plaignante. Les membres de la mission accompagnent alors la victime à la brigade de gendarmerie pour porter plainte pour pratiques esclavagistes. Des pratiques fortement réprimées par la loi 2015-031 du 10 septembre 2021 et érigées en crimes contre l’humanité dans la Constitution mauritanienne.

Très vite, le mouvement IRA dans un communiqué publié le même jour exprime ses craintes quant à un éventuel blanchissement de l’affaire, rappelant des faits similaires en 2011 quand ses militants furent arrêtés, torturés et emprisonnés suite à la dénonciation d’un cas d’esclavage dans cette même localité de Aïn Varba.

L’affaire est portée devant le Tribunal d’Aïoun

Devant le tribunal d’Aïoun où l’affaire a été portée, le présumé coupable d’actes esclavagistes, Cheikhna Chehlawi est convoqué pour audition. L’une des filles de la plaignante, Salka, donnée en cadeau de noces, selon elle, à Salma Mint Chehlawi est ramenée de Nouakchott, mais les observateurs s’étonnent que sa maîtresse ne le soit pas. Certains présumés esclaves de Cheikhna Chehlawi, notamment les sœurs, tantes et nièces de la plaignante, auraient même été mobilisées pour défendre leurs maîtres devant le tribunal. Le plus étonnant pour les observateurs est le fait que le Procureur en ait pris acte, surtout que le motif serait à leurs yeux ridicule, plainte pour plainte portée à l’encontre de Cheikhna Chehlawi.

Mais les appréhensions des défenseurs des droits de l’homme seront vite dissipées, car dans la nuit du 13 novembre 2021, le juge d’instruction et le Procureur du Tribunal d’Aïoun, accusent Cheikhna Ould Chehlawi et sa fille Salma de pratiques esclavagistes sur Marième Mint Cheibani et ses deux filles.

A en croire les déclarations de Mohamed Lemine, l’époux de la présumée esclave Marième Mint Cheibani, le Hakem et le Maire de Tintane seraient sous la coupe de l’article 18 de la loi 2015-031 qui stipule que « tout officier ou agent de police judiciaire qui ne donne pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes qui sont portées à sa connaissance est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de cinq cent milles (500.000) à un million (1.000.000) d’ouguiyas. »

Ceci sur la base de la déclaration selon laquelle, ces deux fonctionnaires auraient été saisis sur le cas de Marième Mint Cheibani. Son mari déclare être parti se plaindre auprès du Hakem qui se trouvait en ce moment en compagnie du maire, parce que Cheikhna Chehlawi aurait refusé de lui remettre la pièce d’identité de son épouse pour lui permettre de se soigner. Au lieu de l’aider, le Hakem et le Maire l’auraient éconduit. C’est lorsque les portes de l’administration se sont fermées devant lui, que le mari déclare avoir été contraint de prendre contact avec les représentant d’IRA à Tintane.

Les défenseurs des droits de l’homme décèlent beaucoup de non-dits dans ce dossier, tel que l’impunité du père des deux filles de Marième, le nommé Didi, qui devait selon eux être écroué pour complicité d’esclavage, mais aussi les parents de la plaignante pour avoir fait de faux témoignages devant le tribunal et des calomnies dans les réseaux sociaux à l’encontre de la plaignante et de son mari.


Positon de la Commission national des droits de l’homme

Au cours d’une conférence de presse animée dimanche 14 novembre 2021 par le président de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), Mohamed Salem Ould Bouhoubeini, l’organisation déclare avoir dépêché une mission à Aïn Varba, entre le 10 et le 12 novembre 2021 suite à des allégations d’esclavage dans cette localité. Cette mission était composée de membres de la commission, des représentants du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’Homme et quelques ONG de défense des droits de l’homme.

Le président de la CNDH a expliqué la méthodologie d’enquête suivie par la mission, avant de conclure qu’aux termes des investigations, son organisation estime qu’il y a « de fortes présomptions de cas d’esclavages conformément aux termes de la loi de 2015 ». La CNDH encourage les autorités judiciaires à continuer les investigations afin de vérifier des éléments qui puissent confirmer ou infirmer le cas.

Il a exprimé sa satisfaction face à la diligence avec laquelle les autorités judiciaires ont réagi et les encourage à continuer la lutte contre l’impunité dans le cadre de la mise en œuvre de la loi 2015-031.

Il a aussi remercié le gouvernement pour les efforts fournis dans le cadre de la lutte contre l’esclavage qui ont été salués par le dernier rapport américain sur la traite des êtres humains, salués aussi par la Haute Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies dans son dernier discours, ainsi que le rapporteur spécial contre l’esclavage qui visitera la Mauritanie incessamment à l’invitation du gouvernement.

La Chambre d’Accusation écroue les deux principaux auteurs

Lundi 15 novembre 2021, alors que plusieurs sit-in sont organisés par les militants d’IRA devant les Palais de Justice d’Aïoun, de Nouakchott et de Nouadhibou, la Chambre d’Accusation près de la Cour d’Appel du Tribunal de Kiffa, émet deux mandats de dépôts, à l’encontre de Cheikhna Ould Chehlawi qui a été écroué à la prison d’Aïoun et de sa fille, Salma Mint Chehlawi, qui a été acheminée vers la prison des femmes de Nouakchott.

L’instruction du dossier serait toujours en cours, en attendant sa finalisation et le déferrement de l’affaire devant la Cour spéciale chargées des questions esclavagistes de Néma, au Hodh Charghi.

Aux dernières nouvelles, nous avons appris que la présumée victime d’esclavage, Marième Mint Cheibani, ses trois filles ainsi que son mari ont été contraints de venir à Nouakchott avec l’aide du mouvement IRA, suite à des exactions et à leur expulsion de la localité de Ain Varba et de Tintane. Une conférence de presse est prévue dans ce cadre, en présence de cette famille de présumés esclaves, ce jeudi 18 novembre 2021.

Cheikh Aïdara

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