Atelier de formation des journalistes mauritaniens : désinformation et fact-checking, comment agir ?

Article : Atelier de formation des journalistes mauritaniens : désinformation et fact-checking, comment agir ?
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12 novembre 2022

Atelier de formation des journalistes mauritaniens : désinformation et fact-checking, comment agir ?

Fin, vendredi 11 novembre 2022, de cinq jours de formation des journalistes mauritaniens et certains cadres de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), sur la désinformation et le fact-checking.

L’ambassadeur de France lors de son discours, à ses côtés, le président de la HAPA – Crédit Aidara

Les locaux de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) ont abrité vendredi 11 novembre 2022 la clôture de la session de formation de cinq jours sur la désinformation et le fact-cheking qui avait réuni une vingtaine de journalistes des secteurs publics et privés, ainsi que des cadres de la HAPA. La cérémonie s’est déroulée en présence du Président de la HAPA, M. Houcein Ould Medou, de l’Ambassadeur de France en Mauritanie, SEM. Alexandre Garcia, accompagné entre autres cadres de l’ambassade, du Conseiller Chef du Service de Coopération et d’Action Culturelle (SCAC), M. Bernard Rubi, et le Chargé de communication représentant le Délégué de l’Union Européenne, M. Ly Mamadou.

La cérémonie a été marquée par un échange de discours entre le Président de la HAPA et l’Ambassadeur de France, sur la coopération qui les lie et les perspectives de partenariat dans le futur pour le renforcement des capacités des journalistes mauritaniens et des cadres de la HAPA. Des attestations ont été par la suite distribués aux participants.

Il faut rappeler que cette session de formation a été animée par M. Laurent Bigot, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication, directeur de l’école publique de journalisme de Tours (France), directeur de formation « Média et Démocratie », membre du réseau international de fact-checking, l’IFCN (International Fact-checking Network) et auteur de plusieurs ouvrages sur le fact-checking et les fake news.

A l’ouverture

Lors de l’ouverture de l’atelier, lundi 7 novembre 2022, Monsieur Houcein Ould Meddou avait saisi l’occasion pour souligner l’importance de la thématique sur la désinformation et le fact-checking ainsi que sa pertinence.

« L’objectif de cette formation est double. Il s’agit de se donner un outil pour couvrir d’une manière professionnelle les informations en vérifiant et en recoupant les faits. Ensuite, pour combattre les dérives qui peuvent mettre en cause les personnes, les groupes sociaux, la paix et la cohésion sociale de notre pays » a-t-il souligné. Il a précisé que l’information est au cœur des sociétés, elle est devenue un droit des citoyens, mais doit s’exercer dans le strict respect de l’éthique et de la déontologie. Il a annoncé dans la foulée des perspectives de coopération avec l’ambassade de France et l’agence de régulation française (ARCOM) dans le domaine du numérique, de la régulation, du genre et du monitoring, entre autres. Cela, au regard des attributions élargies de son institution, après la réforme générale de la presse, a-t-il ajouté en substance.

De Dr. à Gauche, Cheikh Aidara, Dieng Cheikh (HAPA), ambassadeur de France, Président HAPA, Laurent Bigot, Directrice TV Dava – Crédit Aidara

De son côté, Monsieur Bernard Rubi, a indiqué qu’à travers le service de coopération de l’ambassade, « la France agit en faveur des journalistes et des médias mauritaniens et s’engage dans la lutte contre la manipulation de l’information, en appuyant en particulier la HAPA dans la mise en œuvre de son plan d’action ». Il a rappelé dans ce sens la rencontre en février 2022 entre le président de la HAPA et l’ancien ambassadeur de France, la formation accordée au niveau local à six journalistes mauritaniens suivis de leur immersion dans des rédactions à Marseille. Il a cité aussi la participation de la HAPA, dans le cadre de sa coopération avec la France, à la conférence des présidents du réseau francophone des régulateurs des médias (REFRAM) qui s’est déroulée cette année sous la présidence de l’Autorité de Régulation de la Communication Audiovisuelle et Numérique (ARCOM) de France.

Il a conclu ses propos en déclarant que « le lancement de la formation qui nous réunit ce matin me permet de réaffirmer le partenariat entre l’ambassade de France et la HAPA autour d’une priorité commune : la lutte contre la désinformation ».

Nous vous livrons ci-après une synthèse des travaux réalisés par Houleye Kane, journaliste Free-lance (les Haut-parleurs de France 24), Cheikh Aidara (L’Authentique), Khalilou Diagana et Sori Mori, (Agence Mauritanienne d’Information).

Définitions et concepts

 A l’entame de la deuxième journée de la formation, le formateur, Laurent Bigot, a rappelé que sur le fond, il n’y rien de nouveau en matière de désinformation. Mais, la pratique, avec la numérisation, a pris une dimension plus importante du fait de l’utilisation à grande échelle d’images, de vidéos… la désinformation profite aussi de nouvelles opportunités de diffusion basées sur les algorithmes, ainsi que les profits économiques que peut générer le nombre de clics.

Le formateur a aussi rappelé la différence entre fake-news et false news (désinformation et mésinformation), en notant que les fake news se caractérisent par l’intention de désinformer.

Après ces rappels, sur demande du formateur, les participants ont donné quelques exemples de mésinformation et de désinformation.

Dans les échanges qui ont suivi ces exemples, le formateur a noté que, pour un professionnel des médias, rien ne justifie la non- vérification d’une information avant sa publication.

Cette vérification est d’ailleurs une obligation inscrite dans les codes et Chartes de déontologies. Le public, a insisté le formateur, doit être informé clairement de la rectification des informations erronées publiées par le journaliste.

Historique du fact-checking

Le formateur a rappelé la définition du fact-checking qui est « une pratique journalistique consacrée à la vérification de l’information par des faits et chiffres… »

Il a noté que cette pratique est née en 1920 dans la presse magazine ou les journalistes prenaient le temps de vérifier à priori les informations pour se prémunir des plaintes et procès couteux.

En 2000, il y a eu une évolution dans la pratique du fact-checking. « Le travail des journalistes spécialistes de la vérification qui s’appliquait aux noms, dates, chiffres… avant publication », laisse la place « à un travail de vérification ponctuel, réalisé après publication et appliqué seulement aux propos publics tenus par les politiques ».

Depuis 2016, le fact-checking s’applique aussi aux rumeurs et à toute la désinformation appelée Debunking. Ainsi les journalistes repèrent les propos ou informations douteux, ils en vérifient le contenu factuel en croisant plusieurs sources. Ils livrent ensuite le fruit de leur travail au public.

Avantages du fact-Checking

La pratique du fact-Checking présente plusieurs avantages.

-La crédibilité des médias et du journalisme :

C’est un moyen pour les journalistes de se démarquer dans un contexte d’offre éditoriale surchargée appelée infobésité

-Cette pratique permet aux journalistes de renouer avec les fondements de leur métier par la vérification, l’enquête…

-C’est aussi une source de revenus direct et indirect

Sur ce point, le formateur a donné l’exemple du programme de vérification des contenus douteux par des médias de fact-checking rémunéré par Facebook.

Le fact-checking génère des ressources pour les rédactions

Les revenus potentiels du fact-checking et les normes internationales du fact-checking et du Debunking ont été l’objet de discussion durant le troisième jour de la formation.

Le formateur s’est tout d’abord attardé sur les sources de revenus directs et indirects que peut occasionner le fact-checking labellisé qui permet, selon lui, de se saisir d’un véritable « marketing éditorial », de valoriser sa marque média auprès des institutions et des plateformes internationales, de multiplier ses abonnés et de faire partie du réseau international des fact-checkers, comme Afrika Check créé en 2012, ou Congo fact-checking. A cela s’ajoute, d’autres avantages, comme la notoriété, la crédibilité, l’accès à des éventuels fonds d’appui à la presse et le développement du cadre de son partenariat.

Dans ce cadre, il a cité l’exemple de certaines initiatives ayant bénéficié du travail dans la vérification de l’information, notamment ceux soutenues par les deux géants numériques, Google et Facebook.

 C’est l’exemple de la coalition Cross Check, ayant réuni trente-trois rédactions françaises durant la campagne présidentielle de 2017 et soutenue financièrement par Google, via l’organisation First Draft ; et the Facebook’s Third-Party Fact-Checking Program, une initiative consistant à démonter et signaler les rumeurs présentes sur sa propre plateforme, en faisant appel à des tierces parties, en l’occurrence, les rédactions de fact-checking assermentées, qui sont rémunérées pour ce travail.

A l’ouverture, Houcein Medou entouré de Laurent Bigo (à gauche) et Bernard Rubi (à droite) – Crédit Aidara

Néanmoins, des risques peuvent également surgir du travail dans le fact-checking. Ces risques sont généralement d’ordres informatiques, personnels, éditoriaux ou autres.

Ensuite, il a été question d’évoquer les normes internationales du fact-checking et du Debunking.

Laurent Bigot a particulièrement précisé, que la lutte contre les fausses informations nécessite des pratiques rigoureuses et codées. Il s’agit en effet selon lui, de corriger des informations données ailleurs et par quelqu’un d’autre, de gagner la confiance des lecteurs, en évitant de faire des erreurs soi-même, et de veiller à tous ses contenus.

Au sujet des règles et bonnes pratiques du fact-checking, il a été question de préciser qu’il existe déjà, en premier lieu, des règles pour le journalisme et la vérification dans les rédactions (les chartes internes) et dans les instances comme les syndicats et les autorités de régulation.

D’autre part, des règles existent pour le réseau international des fact-checkers (IFCN), dont le code de principes comprend 31 critères ; et le code de standards de l’EFCN (Européen Fact-checking Standards Network).

Revenant sur les qualités du réseau international des fact-checkers, Laurent Bigot a indiqué que ce réseau, créé en 2015 et rattaché au Poyter Institute, est doté d’un code de principes considéré aujourd’hui par les plateformes comme un label de qualité pour sélectionner les organisations fiables de fact-checking.

Ce code a principalement trois objectifs qui lui permettent de garantir que les utilisateurs voient et comprennent comment les organisations fonctionnent, et qu’ils puissent leur faire confiance ; de s’assurer que les utilisateurs puissent reproduire les fact-checkings par eux-mêmes ; et d’aider les organisations à gagner la confiance du public.

Ces 31 critères constituant le code sont repartis en 6 principes dont chacun contient un certain nombre de critères. Le premier principe concerne : l’éligibilité des signataires, le second : l’impartialité et l’équité ; le troisième : les normes et la transparence des sources ; le quatrième : la transparence des financements et de l’organisation ; le cinquième correspond aux normes et transparence de la méthodologie ; et le dernier principe concerne la politique de correction claire et honnête.

Les ressources en matière de vérification

En ce quatrième jour de formation, le programme concernait les ressources utiles en matière de vérification, les instances de régulation et le rôle de la HAPA dans la lutte contre la désinformation.

Il a été question pour le formateur en amont, de rappeler les codes et principes de l’IFCN, en quoi ils peuvent être un critère de sélection important pour les organisations. Google et Facebook en sont des exemples concrets. Google met ainsi en évidence des fact-cheking produits par les signataires et Facebook donne accès à ses outils de vérification à ses seuls signataires.

Ressources utiles et exemple d’actions en matière de vérification

Il a été question ici de lister des outils pratiques dans la recherche et la vérification qui peuvent permettre au journaliste de remonter à la source et de vérifier des images 

Cas de la haute autorité indépendante pour la communication et l’audiovisuelle (HAICA) en Tunisie, qui est un organe de l’Etat,définiavec les mêmes principes que la HAPA en Mauritanie, mais qui a un rôle très particulier dans la lutte contre la désinformation. La HAICA s’est dotée de compétences et de chantiers prioritaires avec la mise en place d’un site de fact-checking qui permet de lutter contre la désinformation. Concept que les journalistes mauritaniens jugent un peu trop forcé pour une autorité de régulation qui devrait plutôt accompagner, plutôt que d’être initiatrice d’une action journalistique. Un module qui a permis de croiser les différentes initiatives ou instances existantes qui jouent aussi un rôle de promoteurs de la désinformation, avec l’exemple de ARCOM en France, qui régule Internet et les réseaux sociaux, en insistant sur la transparence des outils de signalement de la désinformation.

Une autre partie du programme de la journée concernait un atelier d’échanges sur le rôle de la HAPA dans la lutte contre la désinformation. Partant d’un diagnostic de ses relations avec les médias en Mauritanie, et des possibilités de son implication dans le processus de lutte contre la désinformation.  Au cours de l’atelier, les journalistes ont pu construire des réflexions autour de quelques propositions que voici :

– La HAPA doit avoir un rôle de régulateur et d’accompagnateur des journalistes dans la lutte contre la désinformation et la promotion d’un journalisme de qualité

–              Initier des formations

–              Accorder un appui technique et financier, avec mise à disposition de logiciels et outils de production (appui technique et financier, logiciel outils traitement et de production

–              Accompagner la réactualisation des textes législatifs

–              Accompagner l’élaboration d’une charte éthique et déontologie spécifique à la lutte contre la désinformation

–              Créer une plateforme d’échanges dans le cadre de la mise en relation des acteurs sur la question de la lutte contre la désinformation 

–              promouvoir la synergie entre les médias (publique, privé, indépendant, RS)

–              Intégrer les plateformes en ligne au système de monitoring de la HAPA

–              Mettre en place un comité de veille pour la lutte contre la désinformation

–              Faciliter la rencontre avec les non professionnels (blogueurs etc.) et les médias professionnels

–              Veiller à identifier les vrais médias

Former des professionnels mauritaniens en fact-checking

Le cours a commencé par le rappel de l’importance pour la HAPA d’identifier les journalistes et les médias professionnels et avec lesquels elle pourra travailler pour revaloriser le métier de journaliste qui tend à se dissoudre dans cette floraison d’acteurs nouveaux comme les blogueurs et les influenceurs. Un tel label pourra s’appuyer sur celui de Reporters Sans Frontières.

Ensuite, il a été question du lieu-ressources pour faciliter le travail journalistique et mettre à la disposition des acteurs de la presse des espaces de travail adéquats, genre Maison des Journalistes, où ils pourront disposer de mobiliers, d’une connexion Internet, etc.

Les participants ont suivi par la suite un cours sur l’éducation aux médias (EMI), car le public, victime du désordre informationnel. Pour éviter ces confusions, il est recommandé de passer à l’éducation, comme c’est le cas déjà au Cameroun où un des médias fait beaucoup dans ce domaine, mais aussi en Centrafrique.

Ainsi, le rôle de la HAPA doit s’élargir par une campagne de sensibilisation des populations, en les informant sur son rôle, son utilité et son importance pour la collectivité. Elle doit aussi mener des actions de prévention contre la désinformation et les rumeurs sur Internet et les réseaux sociaux.

Il s’agit de redonner confiance au grand public et les avertir du danger à s’informer n’importe où et n’importe comment.

Le formateur apprend que des institutions comme l’UNESCO, ainsi que des fondations, soutiennent les initiatives d’éducation aux médias et il a incité les journalistes à s’emparer de cette thématique.

Il s’agira ainsi de former des professionnels (journalistes ou non) sur ce sujet, promouvoir financièrement les actions via des bailleurs. Il a indiqué qu’il faut parler avec les jeunes avec les canaux qui leur sont familiers comme Tiktok, Instagram, et non leur parler de Facebook, car la majeur partie des jeunes ne sont pas sur cette plateforme.

Un débat animé a tourné entre les participants sur l’influence grandissante des blogueurs et influenceurs au détriment des journalistes professionnels.

Comme exemple d’EMI, le formateur a donné l’exemple de l’initiative hachtag Stop ATéné en République Centrafricaine, qui a tourné autour d’une action collective avec la participation de divers acteurs (journalistes, blogueurs, artistes), avec même une chanson sur la désinformation.

Enfin, le formateur a livré quelques pistes sur lesquels la HAPA pourra travailler pour lutter plus efficacement contre la désinformation, à travers le fact-cheking, le monitoring et la tracking.

Cheikh Aïdara


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