Débat sur les « 50 ans du hip-hop » en marge de la 16ème édition du Festival Assalamalekum

Article : Débat sur les « 50 ans du hip-hop » en marge de la 16ème édition du Festival Assalamalekum
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2 juillet 2023

Débat sur les « 50 ans du hip-hop » en marge de la 16ème édition du Festival Assalamalekum

Alors que le Festival Assalamalekum se poursuit dans la capitale économique, Nouadhibou, et à Nouakchott par des concerts, des expositions, des ateliers et des rencontres, les artistes ont célébré les « 50 ans du mouvement hip-hop ». Ce fut autour d’un débat animé par des icônes du mouvement, Didier Awadi et Kane Limam dit Monza, en compagnie du manager et producteur, Fadel Camara dit DaddyDelf et sous la modération de Abdil Bocoum, journaliste culturel mauritanien.

A l’occasion du cinquantenaire du mouvement « hip-hop », le siège de l’association Assalamalekum a abrité jeudi 29 juin 2023 un débat sur l’évolution de ce mouvement et ce qu’il a apporté au secteur des arts et de la culture, ainsi que sa contribution dans la conscientisation de la jeunesse, mais aussi son influence dans le monde.

« Il faut souligner que le hip-hop, ce n’est pas juste qu’un style musical, c’est tout une culture urbaine qui regroupe beaucoup de choses : rap, danse, DJing, graffiti, tenue vestimentaire… Crée dans les années 1970 dans les rues du Bronx à New York, le mouvement hip-hop s’est développé et répandu dans le monde entier ».

Didier Awadi, Monza et Fadel Camara, trois acteurs qui accompagnent l’évolution du hip-hop depuis quelques décennies en Mauritanie, au Sénégal, au Sahel et dans le monde, ont livré leurs expériences personnelles et campé l’état des lieux. Les échanges ont été modérés par le journaliste culturel malien, Abdil Bocoum, en présence d’un parterre d’artistes venus du Sénégal, du Bénin, du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’ivoire.

Didi Awadi, du breakdance au plafond du hip-hop africain

Didier Awadi – Crédit Aidara

Né un certain 11 août 1969, le même jour et le même mois où le Rapp a vu le jour à New York quatre ans plus tard, en 1973, le rappeur sénégalais Didier Awadi avoue cependant n’avoir pas commencé par le Rapp, mais le breakdance et le smurf, début des années 80, avant de se lancer plus tard dans le hip-hop, dont il est aujourd’hui l’une des icônes en Afrique.

Il explique comment collégien, il avait commencé à organiser des concours de dance dans les collèges à Dakar en commençant par son établissement, « Sacré Cœur ». Il copiait sur ce qui se faisait en France et aux Etats-Unis, en s’inspirant des aînés de l’époque comme Afrika Bambaataa, et le Zulu Nation qui fédérait les cultures urbaines, les Sydney, mais aussi il regardait les City Breakers de France, de Dakar et d’Abidjan.

C’est en copiant surtout les Américains et les Français, selon Awadi, qu’il est entré réellement dans le Rapp, tout en se réjouissant que les Ivoiriens étaient déjà dedans, citant Yves Zogbo Junior, le groupe Abidjan City Breakers qui était, selon lui, très fort et dont l’un des membres, Frank Pacôme, était d’ailleurs à Dakar. Et cela l’a beaucoup inspiré, reconnaît-il. Seulement, Awadi déclare qu’il n’avait pas l’ambition de faire du Rapp une carrière.

Naissance du « Positive Black Soul »

Ainsi, de son petit groupe de collégiens breakedancers, qui s’appelait « Syndicate » début des années 80, il allait connaître, vers les années 88-89, évènements sénégalo-mauritaniens, un déporté mauritanien, Aly Waiga dit Dazy O, qui fut le premier à rapper 100% en wolof.

Les quatre panélistes, Monza, Awadi et DaddyDef en compagnie de Bocoum – Crédit Aidara

« Au Sénégal, le Rapp se faisait en Français et en Anglais, avec un peu de wolof », confie Awadi qui avait, à l’instar des rappeurs, emprunté un surnom américain, « Grand Master », puis ce fut « Grand Master Dji », faisant sourire le public emporté par son propre rire. Donc, selon lui, le groupe de Aly Waiga et Aménophis, « King MC » leur faisait une grande concurrence à l’école, avant que les deux groupes ne fusionnent pour créer « Positive Black Soul ». Ce groupe fera en 1992 le premier MC Solar, puis invitation à Paris, rencontre avec « IAM », « Sens Unik » le premier groupe suisse.

Premiers pas vers le succès

Selon Awadi, les Français furent surpris du niveau du Rapp sénégalais, et il explique qu’à l’époque ils suivaient ce qui se passait aux Etats-Unis et recevaient les cassettes des premières nouveautés, copiaient les danses et les sons. Ils rencontrèrent plus tard un grand frère, manager de Steve Wonder, un certain Soumaré, et c’est le premier qui va les conseiller de faire du Rapp 100% wolof puisque leurs messages étaient d’abord destinés à leurs compatriotes, leur expliqua-t-il.

Ils lui avaient présenté des productions avec de l’Anglais approximatif et du Français, qu’il mit de côté. Il voulait du Rapp en wolof. Cela ne les a pas emballés au début, rapporte-t-il. Il avoue qu’ils ont fait un texte en wolof pour lui montrer qu’ils savaient bien le faire, mais cela ne les emballait pas. Seulement, il reconnait que l’impact de ce premier morceau les a pétrifiés.

C’est le début d’une carrière qui les mènera en 1994 à se faire détecter par un label anglais renommé. Invitation à Londres, signature du premier contrat et début d’une carrière internationale, puis la préparation d’une relève jeune, car sans « un mouvement derrière, pas d’avancement » souligne-t-il. « Seul, on s’essouffle » détaille-t-il. Donc compilation Senerapp 1, puis Senerapp 2, etc.

Sur les traces des aînés

DaddyDef – Crédit Aidara

Producteur et manager, DaddyDef, alias Fadel Camara, déclare être arrivé dans l’univers de la musique à travers sa famille, notamment ses grands frères, Ismael, Tourad et Moctar, ainsi que son cousin Ismael Kane. Selon lui, ils possédaient des cassettes américaines et sénégalaises, et tout petit il écoutait la musique hip-hop, apprenant l’anglais à travers le Rapp, répétant les chansons américaines. Puis avec des amis, ils ont commencé à créer des groupes, nommant au passage Adviser, aujourd’hui l’un des plus grands artistes mauritaniens aux dimensions internationales, Le Baron, installé à Nouadhibou et nominé au dernier festival de Rapp à Ouagadougou, ainsi que des jeunes comme Authentique, Mosby.

Au niveau du hip-hop mauritanien, il précise qu’il était plutôt dans le Off, soulignant que lui-même, il ne fait pas du Rapp, mais accompagne les artistes au niveau de l’écriture, de l’arrangement, des relations, de la constitution de dossiers pour les sponsors, ou l’élaboration de business plan pour les albums.

Le Rapp débute à New York

DaddyDef s’est lancé par la suite dans un bref historique du mouvement hip-hop, à ses débuts le 11 août 1973 et un DJ nommé Kool Herc, « père » du mouvement hip-hop, et qui a eu l’idée de réunir des jeunes du Bronx pour une soirée. Il n’y avait pas de Rappeurs à l’époque, explique-t-il, mais des DJ et des B-boys, puis ceux qui font le graffiti. Les rappeurs viendront plus tard, selon lui, avec les « MC », les Beastie Boys, The Sugarhill Gangs, Grandmaster Flash et de nouveaux mouvements les Native Tongues… Lors de cette soirée, poursuit-il, il y eut des prestations en B-boys, en DJ et en Graffiti.

vue partielle du public – Crédit Aidara

Revenant sur le festival Assalamalekum, il a tenu à rendre hommage aux artistes du graffiti, notamment les Sénégalais du RBS Crew, auteurs d’impressionnantes fresques qui tapissent le siège de l’association, précisant que ces artistes font partie du mouvement hip-hop.

Poursuivant son survol historique, il a cité certains pionniers du Rapp comme le « Sugar hill records », un label qui produisait des artistes, « African Bambaataa », « Grandmaster Flash », précisant que c’est à partir de ce dernier groupe que le Rapp a pris son aspect conscient, avec un premier texte structuré, rompant avec la tendance première qui se contentait de faire du show. Il continue en citant les Kurtis Blow » et d’autres pionniers.

Tâche d’huile sur le monde

Ce mouvement a connu selon DaddyDef différents courants, le Rapp conscient, avec les N.W.A, et le Rapp show qui fait beaucoup de bruit, avec des artistes de l’une ou l’autre tendance, comme Tupak, les MC Newyorkais, tels Nas, Jay-Z, jusqu’aux « Fifty’s » actuellement.

« Dans les années 2000, puis 2010, avec l’essor de nouveaux médias et du web 2.0, les auditeurs découvrent et téléchargent ou diffusent de la musique hip-hop par le biais de réseaux sociaux comme Myspace, et de sites web de diffusion comme YouTube, Worldstar hiphop, SoundCloud et Spotify« 

DaddyDef a également distingué les artistes qui évoluent en groupes et ceux qui font du solo. Il poursuit en disant que le mouvement hip-hop et le Rapp faisant leur chemin aux Etats-Unis, cela a fait tache d’huile à travers le monde. Ainsi, selon lui, une hiérarchie s’est établie, avec comme première capitale du Rapp, New York, suivie de Paris, puis de Dakar, soulignant qu’actuellement d’autres pays africains sont en train de bousculer cette hiérarchie.

Il rappelle que Awadi et son groupe, le « Positive Black Soul » ont fait quelque chose d’inédit, en produisant le premier album de Rapp qui a connecté plusieurs continents, l’Amérique, l’Europe et l’Afrique, à travers l’axe New York-Paris-Dakar.

Monza, président de la « Rue-Publik » de Mauritanie

Monza – Crédit Aidara

Kane Limam dit Monza, Directeur du Festival Assalamalekum qui fête ses 16 ans cette année, producteur du label « Zaza Production », initiateur de Assalamalekum Découvertes et Assalamalekum Culture, président de l’association continentale Arterial Network, déclare être entré dans le mouvement hip-hop grâce à la télévision et la chaîne MCM où il découvre le groupe « Fush Nickens ».

« Quand j’ai vu ça, je me suis dit que c’est ça que je vais faire, sauf que je ne l’ai pas fait » glisse-t-il avec humour. A l’époque, dit-il, il traînait avec des jeunes qui faisaient du « khoumbeul » (ambiance) dans les mariages et les baptêmes, notamment dans le quartier populaire d’El Mina où se tenait le marché « Tieb-tieb » et qui s’appelait « Taz », rappelle-t-il. A l’époque, précise-t-il, c’est dans ce quartier populaire où se tenaient tous les soirs, des concours de danse, des free-styles et des beatbox, soulignant qu’il s’est connecté avec les jeunes d’El Mina, à travers le basket, quittant chaque soir la demeure familiale à Tevragh-Zeina pour aller les rejoindre.

Un début de galère

Abdil Bocoum – Crédit Aidara

L’idée était à l’époque, à la fin des années 90, selon lui, d’improviser des textes, lui et ses camarades qui se faisaient appeler, les « mifaozo », jeu de mot voulant dire « mafioso ». Monza se rappelle de la première fois qu’il a décidé de faire un texte écrit, soulignant que le Rapp était pour lui une façon de matérialiser à travers des mots et une musique ce pour quoi il se lève chaque jour. Il dit se sentir à l’époque en déphasage par rapport à ce qu’il faisait et son milieu d’origine, se décrivant comme un brillant élève assidu de la bibliothèque du Centre culturel français (CCF), aujourd’hui Institut Français de Mauritanie (IFM) où il lisait des ouvrages et écrivait des textes.

Sa véritable entrée dans le Rapp, dit-t-il, c’est avec le duo « Doremifa » avec JFEX, son ami et alter ego, dont le nom d’artiste est « J’ai la Fièvre de l’EXpression » alors que lui Monza se faisait appeler « Azrael » l’ange de la mort, rapport à ses adversaires du « Free Style ». Puis, suite à ces moments de galère entre différentes piaules au milieu des divers ilots de Nouakchott (Ilot L, Ilot M…), il se fit appeler « Galiarano ».

Vers un projet professionnel

A partir du début des années 2000, il dit avoir décidé de travailler dans un vrai projet, suite à ses études à Dakar où il a enregistré sa première maquette, en 2001.

Il se retourne pour montrer dans l’assistance, un nommé Bruno, qui fut le premier à l’avoir enregistré. Applaudissements de l’assistance pour Bruno qui lève le poing.

« C’est la première maquette que j’ai enregistrée au nom de MONZA (Musique Originale Nature de la Zone Afrique) et le premier projet sur lequel j’ai travaillé » explique-t-il.

Puis, il sort en 2004, son premier album, qui sera suivi d’une tournée partout en Mauritanie. Il se fait alors appeler « Président de la Rue Publik », le titre de ce premier Opus.

Chez lui comme à Kaédi, il lui est reproché de chanter en français, reconnait-il. Il décide de faire une chanson en Peulh, mais à condition que cela serve sa communauté. Son père (Paix à son âme), dit-il, va l’aider à écrire la chanson en traduisant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en Pulaar, pour répondre aux aspirations de la communauté halpulaar de Mauritanie dont les préoccupations étaient essentiellement tournées autour des droits fondamentaux.

« J’ai adopté le texte en chanson et quelques années après, je me faisais inviter par le Haut-commissariat aux Réfugiés (HCR), sur la question du retour des réfugiés parce qu’il voulait cette chanson pour sensibiliser mais aussi parce qu’elle correspondait au contexte d’alors » précise-t-il.

Naissance de Assalamalekum

Siège de Assalamalekum – Crédit Aidara

Monza se fera inviter ainsi à Genève, puis il commence à tisser des connexions. A son retour au pays, son ambition première fut de mettre en place un cadre tout en continuant à faire de la musique. Il profitera d’une opportunité, celle d’une résidence en France. Au lieu d’y aller, il utilise l’argent de la bourse pour créer le premier festival Assalamalekum en 2008.

Sa devise « le Rapp est ma maladie, la Rue est mon Paradis et la Mauritanie, mon pays, ma patrie et mon amour ». Il reconnaît avoir tout donné à son pays et que depuis 2009, il n’a pas produit d’album, mais des « One shoot » qui répondent à une situation, l’ancienne décennie par exemple, avec le morceau « Ça suffit ! ». Il trouve que l’artiste doit prendre position face à des questions nationales, surtout pour dénoncer les injustices.

Selon lui, le hip-hop est indissociable des changements qui s’opèrent dans le monde, d’où le devoir de responsabilité des acteurs, soulignant que le Rapp représente une large part des industries créatives. Selon lui, on parle beaucoup de l’immigration africaine vers le Nord, mais on ne voie pas la migration opposée, celle d’industriels de la culture d’autres horizons qui viennent s’installer sur le continent.

Cheikh Aïdara

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