Mauritanie : persistance et montée de la gouvernance et du discours raciste

Article : Mauritanie : persistance et montée de la gouvernance et du discours raciste
Crédit:
27 décembre 2023

Mauritanie : persistance et montée de la gouvernance et du discours raciste

« Maliens, Marocains et Algériens ont pris conscience de l’identité plurielle de leurs pays respectifs, reconnu la réalité du ‘’mal vivre-ensemble ’’, compris donc enfin la nécessité de faire place à leur composante nationale berbère… La Mauritanie , seule , poursuit sa fuite en avant face au problème d’unité nationale, de cohabitation … » Dixit Samba Thiam, président du parti non encore reconnu les Forces Progressistes pour le Changement (FPC).

Voilà ce qu’est la Mauritanie, un mélange d’ethnies et de communautés pluriséculaires – Crédit Aidara

Le contexte sociopolitique en Mauritanie reste marqué par une difficile cohabitation entre d’une part, la communauté maure beidane qui détient l’essentiel du pouvoir politique et économique du pays et d’autre part, la population noire composée de harratines (descendant d’esclaves) plus proches culturellement des maures, ainsi que les communautés noires de souche africaine, Pulaar, Soninkés, Wolofs et Bambaras.

Une société mauritanienne encore divisée

Plus de soixante ans après la création de l’Etat mauritanien indépendant, et malgré l’évolution sociale et politique marqué par plusieurs décennies de pratiques démocratiques, de mise en place d’institutions et d’arsenaux juridiques qui promeuvent l’égalité des citoyens devant la loi ainsi que des batteries de mesures en faveur du respect des droits humains, le racisme, la discrimination et les violations des droits des populations noires, surtout celles anciennement issues de l’esclavage, persistent. Ainsi, l’émergence d’une élite issue de cette frange continue de faire grincer des dents et de susciter le mépris de la part d’une partie de la communauté maure, encore très nostalgique du temps où la hiérarchie sociale ne donnait pas droit au chapitre aux couches dominées.

Discours raciste contre un magistrat

D’où la polémique créée par la sortie de deux spécimens de cette catégorie de racistes suprématistes

Il s’agit d’un sulfureux charlatan connu pour ses sorties moyenâgeuses, le dénommé Yehdhih Ould Dahi qui avait mis à prix la tête d’une célèbre défenseuse des droits des femmes, Aminetou Mint Mokhtar, présidente de AFCF

L’autre personnage est un avocat du nom de Sid’El Moctar Ould Sidi dont les sorties souvent hasardeuses ne sont pas loin de celles de son prédécesseur. Il est sous le coup d’une radiation de l’Ordre national des avocats mauritaniens

Ces deux personnes ont créé une très forte polémique lorsqu’ils se sont attaqués dans des groupes WhatsApp au magistrat Haroun Oumar Ideighbi, Directeur de la législation au ministère de la justice, issu de la communauté harratine, qui s’exprimait à titre personnel lors d’un débat organisé le 9 décembre 2023, dans un Think Thank dénommé Centre Mouhit, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes (le 25 novembre).

Qui sont les deux tristes personnages ?

Yehdhih Ould Dahi est décrit comme le chef d’un groupuscule salafiste appelé « Ahbab Rassoul » ou « Amoureux du Prophète », dont la fureur misogyne se double d’une prétendue guerre aux Djins, son fonds de commerce juteux.

Quant à l’avocat Me Sid’El Moctar Ould Sidi, son propos recycle le racisme du sociologue arabe Ibn Khaldoun, auteur dès le début du Moyen-âge d’une fameuse théorie des climats qui rétrograde les noirs subsahariens au rang de l’infra-humanité.  

En gros, ces deux personnages ont copieusement insulté les hratines, trouvant que leur endroit n’est pas la magistrature ni la direction des hommes, mais là où ils doivent être, c’est la place des serviteurs.

L’intervention « coupable »

Dans son intervention, le magistrat Haroune, s’appuyant sur les chroniques de Ibn Batuta, voyageur marocain du 12 siècle, s’était livré à un exercice de synthèse historique qui démontre l’enracinement de la mixité du genre, au sein de la société maure, notamment à Oualatta, sujet de ses observations. Ideighbi, précisera, à la faveur de son exposé, que le célèbre écrivain portait, là, un jugement subjectif, par référence à l’obscurantisme de son milieu d’origine.

La contre-réaction

En réaction à la sortie virulente de Yehdhih Ould Dahi et Sid’El Moctar contre le magistrat Haroune Ideighbi qu’ils ont insulté et traité de tous les maux ainsi qu’à sa communauté, un groupe d’intellectuels harratines et négro-mauritaniens, dont d’éminents défenseurs des droits de l’homme, à l’image de Boubacar Messaoud de SOS Esclaves, Birame Dah Abeid, président du mouvement abolitionniste IRA et l’avocate Me Fatimetou Mbaye de l’AMDH, ont publié il y a quelques semaines une tribune, intitulée « Mauritanie : Persistance et montée de la gouvernance et discours raciste : Appel à la Résistance ».

Ils trouvent que dans ses audios, Ould Dahi, imbu de sa lecture réactionnaire de l’Islam comme des milliers de ses congénères, insulte les Hratines, les cadets sociaux et les femmes activistes, avec l’outrance et l’impudeur que seule confère la certitude de l’impunité. Ce faisant, il alimente la zizanie sociale et incite, une majorité de la population, à la révolte.

« Il y a, là, en sus des infractions précitées, un défi à l’ordre public, tous abus desquels le Parquet ne saurait se détourner, sous peine de devoir assumer une complicité manifeste avec les insulteurs, voire de les inciter à la récidive » ont-ils souligné.

S’adressant au Ministre de la Justice, ils lui exigent de diligenter, selon les modalités du flagrant délit, le processus de sanction et de réparation que requiert la gravité des agissements récurrents des deux provocateurs.

Selon les signataires de la plateforme, « toute abstention, esquive ou fuite de l’Etat, face à l’énormité du scandale, risque d’entretenir un surcroît de frustration quant à l’inégalité des citoyens devant la loi. Le laxisme exclusif à l’endroit des colporteurs de haine et des promoteurs de la supériorité ethnique, risque de consolider le statu quo de la domination séculaire au prétexte de la naissance ».

Pourquoi aujourd’hui

L’impunité dont jouissent aujourd’hui des personnages perturbateurs de l’ordre social comme le charlatan Yehdhih Ould Dahi, qui n’a jamais été inquiété malgré la multiplication de ses actes et interventions hors-la-loi, repose encore la question de l’applicabilité de la loi.

Plusieurs personnes ont été incarcérées pour moins que ce que vient de faire Yehdhih Ould Dahi, à l’image du jeune Soudeibou en prison depuis plusieurs mois pour une blague, ou encore celle du jeune Youba Siby El Ghaouth extradé du Sénégal et emprisonné sans procès pour avoir dénoncé des actes de discrimination.

Aussi, est-il important de poser la problématique du racisme soutenue par l’Etat et dont certaines personnes semblent en détenir un privilège particulier. D’où ce rappel contenu dans le message diffusé par les auteurs de la tribune.

Selon eux « aujourd’hui, plus que jamais, la Mauritanie devrait veiller à se préserver des vagues d’instabilité et de déferlement de la discorde qui submergent le Sahel et grondent à nos frontières. La cinquième colonne des fossoyeurs de la République agit, désormais, parmi nous, à visage découvert. Sachons la bouter avant qu’il ne soit trop tard ! »

Cheikh Aïdara

Ci-bas, la liste des organisations, élus et personnalités qui avaient signé la déclaration d’indignation après la sortie de Yehdhih  Ould Dahi et Sid’El Moctar Ould Sidi

Ghamou Achour Salem, députée

Aminatou Elhacen Boughal Dia, députée

Mariem Cheikh Samba Dieng, députée

Biram Dah Abeid, député, réseaux de l’Initiative de résurgence abolitionniste (Ira)

Mohamed Vall Handeya, Manifeste des Haratines

Oumar Yali, parti Radical pour une action globale (Rag)

Mamadou Moustapha Ba, Coalition vivre ensemble (Cve/Diaspora)

Bocar Omar Ba, Activiste politique, Strasbourg, France

Abou Bakry Souleymane Ba, Cve /comité de suivi

Alassane Dia, Touche pas à ma nationalité (Tpmn)

Lemrabatt Haidara, Délégué du président Mamadou Alassane Ba, Cve

Samba Kamara, fonctionnaire international à la retraite

Fatimata Mbaye, avocat

Partagez

Commentaires