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Le Représentant Résident de l’UNFPA interrogé par Horizon : «L’UNFPA reste mobilisé dans la continuité de ses efforts d’appui et son soutien aux autorités dans le contexte de la COVID-19, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive et de lutte contre les violences basées sur le genre »

Dans cette entrevue accordée à Horizon, organe public d’information, le Représentant Résident du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) en Mauritanie, SEM. Saidou Kaboré livre la contribution que son institution et le Système des Nations Unies en Mauritanie apportent à la Mauritanie dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19. Il répond aussi à d’autres questions connexes.

SEM. Saidou Kaboré (Crédit Aidara)

1/ La maladie liée Coronavirus/COVID-19 a fait déjà des milliers de morts à travers le monde et elle continue ses ravages. Quelle appréciation faites-vous, aujourd’hui, des efforts consentis par la Mauritanie en matière de lutte contre cette pandémie ?

Saidou Kaboré  : le bureau pays du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) félicite le Gouvernement de la République Islamique de Mauritanie pour les mesures courageuses prises afin de faire face à la pandémie de la COVID-19, entre autres, la mise en application des recommandations et orientations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour limiter la chaine de transmission du virus. Les mesures d’anticipation du Gouvernement ont ainsi permis d’atténuer la propagation du virus à l’échelle communautaire grâce à la mobilisation de tous les acteurs. A cet effet nous avons pris le soin de le souligner dans un communiqué partagé avec la presse en Avril.

2/Pouvez-vous nous parler de la nature de l’appui que vous avez apporté à la Mauritanie en matière de lutte contre la maladie ?

Dons de produits et de matériels contre la Covid-19 (Crédit Aidara)

Saidou Kaboré  : dans le cadre de l’appui du Système des Nations Unies sous le leadership du Coordonnateur Résident, à la réponse nationale contre la COVID-19, l’UNFPA a apporté tôt sa contribution à la lutte. Nous avons entre autres, soutenu le Gouvernement, les leaders religieux, les organisations de la société civile et les personnes vulnérables et à haut risque, par la mise à disposition d’un lot de matériels et de produits destinés à la prévention et à la sensibilisation. Cela au profit de la Coalition de la Société Civile/GFF (204 associations membres), la Fédération Nationale des personnes vivant avec un handicap (53 associations membres), l’Association Mauritanienne pour la Promotion de la Famille/IPPF, l’ONG SOS Esclaves, l’Association des Sages-femmes de Mauritanie, le Forum de la Pensée Islamique pour le Dialogue des Cultures et les personnes bloquées au niveau des points d’entrée frontalier. Cette contribution a permis de sensibiliser les leaders communautaires et les familles les plus vulnérables à Nouakchott et à l’intérieur du Pays.
Cet appui va se poursuivre avec le renforcement du plateau technique au niveau de certaines structures de santé et la fourniture de produits vitaux afin que les femmes puissent, malgré la pandémie, bénéficier de services en santé reproductive de qualité pendant la grossesse et l’accouchement et avoir accès aux services d’espacement de naissances dont elles ont besoin.Nous allons appuyer le renforcement des capacités du Ministère de la Santé à travailler dans le cadre de la coordination des interventions, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire à travers des équipements de visioconférences grâce à un appui conjoint UNFPA et UNDP.

3/On assiste depuis quelque temps à un assouplissement des mesures de confinements dans plusieurs pays africains dont la Mauritanie. Qu’en pensez-vous ?

Saidou Kaboré : l’UNFPA salue l’engagement des plus hautes autorités nationales et l’élan de solidarité suscité et renouvelle sa disponibilité à accompagner le Gouvernement dans le renforcement de la réponse nationale. Les décideurs au plus haut niveau de l’Etat sont entourés d’experts qui leurs fournissent les éléments nécessaires pour apprécier l’évolution de la pandémie afin de prendre les décisions appropriées. Je ne doute en aucun moment que toutes les décisions prises vont dans le sens de préserver la santé et la sécurité des populations afin d’améliorer leur condition de vie et assurer la bonne marche de l’économie nationale.

4/ Il n’ya à ce jour, aucun remède pour éradiquer cette pandémie. Quelles sont vos prévisions les plus optimistes pour la mise au point d’un vaccin ?

Saidou Kaboré : selon l’OMS, des protocoles de recherche qui sont utilisés dans plus de 40 pays ont été élaborés, de manière coordonnée pour mieux comprendre comment évolue le virus et le combattre en conséquence. Des scientifiques, bailleurs de fonds et fabricants de l’industrie pharmaceutique du monde entier ont signé une déclaration dans laquelle ils s’engagent à travailler avec l’OMS pour accélérer la mise au point d’un vaccin contre la Covid-19.

5/ L’UNFPA est-il favorable au recyclage de médicaments, de produits issus de la pharmacopée traditionnelle en Afrique dans le cadre de la recherche de traitements potentiels de la COVID-19 ?

Saidou Kaboré  : à mon avis, aucune piste de recherche ne doit être écartée. La pharmacopée traditionnelle africaine, combinée à la recherche scientifique comporte un très grand potentiel. Cependant, comme édicté par les directives de l’OMS, tout médicament doit faire l’objet d’essais cliniques afin de vérifier son efficacité et sa sécurité sur les populations. La Mauritanie vient de renforcer son dispositif par la création d’un conseil scientifique en appui au suivi des normes de l’OMS dans ce domaine.

Don UNFPA au Forum de la Pensée Islamique pour le Dialogue des Cultures (Crédit Aidara)


6/ En attentant la mise en place de remèdes efficaces de lutte contre cette maladie, quelles mesures essentielles préconisez-vous pour y faire face ?

Saidou Kaboré  : je préconise le respect des mesures recommandées par l’OMS. L’application des mesures barrières, la distanciation physique et sociale pour se protéger et protéger les autres.La répétition étant pédagogique, permettez-moi de rappeler qu’il est nécessaire de se laver les mains régulièrement avec de l’eau et du savon,de tousser ou d’éternuer dansle creux de son coude ou dans un mouchoir, de rester toujours à plus d’un mètre les uns des autres,de porter un masque quand cette distance ne peut pas être respectée, d’utiliser un mouchoir à usage unique et le jeter dans une poubelle fermée, de se saluer sans serrer la main, et d’éviter tout déplacement inutile. Nous devons tous faire de cette lutte, un combat commun contre un seul ennemi, où tout le monde doit se sentir concerné, avec un engagement mutuel et une confiance au système mis en place, en évitant de véhiculer de fausses informations afin de ne pas semer la panique.

7/La lutte contre le coronavirus ne risque-t-elle pas de mettre en sourdine celle des autres maladies non moins graves en Afrique tels que le VIH-SDA, la tuberculose, le paludisme qui font des milliers voire des millions de victimes sur le continent ?

Saidou Kaboré  : outre les maladies que vous avez citées, il y a de multiples préoccupations,notamment les besoins non satisfaits en santé de la reproduction et la lutte contre les violences basées sur le genre dont les femmes et les filles paient le plus lourd tribut. Cela va peser négativement sur la qualité de vie des populations en général et plus particulièrement sur celles des plus vulnérables.
En dépit des efforts gouvernementaux dans le domaine du développement, le taux de mortalité maternelle reste très élevé. Selon le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) réalisé en 2013, le ratio de mortalité maternelle s’élève à 582 pour 100.000 naissances vivantes, soit 13 femmes qui meurent par semaine en donnant la vie, l’un des plus élevés de la région africaine.Le taux de mortalité néonatale est de 29 pour 1000 naissances vivantes d’après les résultats de MICS 2015. Ceci s’explique en partie par une faible couverture en accouchements assistés, qui est de 69%, avec une faible proportion de structures de santé offrant des soins obstétricaux et néonatals d’Urgences complets ainsi qu’une prévalence contraceptive estimée à 17%. Cette situation déjà défavorable est exacerbée par l’apparition, contre toute attente, du COVID-19. C’est en cela que l’accompagnement de l’UNFPA au Gouvernement afin d’assurer un continuum des soins de santé reproductive est important.
L’UNFPA va également appuyer les initiatives communes pour la réalisation d’études sur l’impact socioéconomique de la pandémie en Afrique de l’ouest et du centre y compris la Mauritanie pour mieux soutenir et éclairer les décideurs dans la riposte et l’après COVID 19. L’UNFPA appuiera également toute initiative du gouvernement en vue de mesurer les effets de cette pandémie sur les violences faites aux femmes et aux filles afin d’adresser efficacement ce phénomène complexe.

8/Pouvez-vous nous parler maintenant des points saillants de la coopération entre la Mauritanie et votre institution et qu’en pensez-vous ?

Saidou Kaboré : en Mauritanie, l’UNFPA assure le leadership pour les questions de santé sexuelle et reproductive, les questions de population et l’autonomisation des femmes.
Présente en Mauritanie depuis 1979, l’UNFPA apporte un appui au pays pour faire de sorte que chaque grossesse soit désirée, chaque accouchement soit sans danger et pour que toutes les filles et toutes les femmes soient traitées avec dignité afin de leur permettre de jouer pleinement leur rôle au même titre que les hommes.
L’UNFPA par son leadership mondial en matière de données démographiques a appuyé le gouvernement dans la réalisation de grandes opérations de collecte de données (4 quatre recensements et plusieurs enquêtes démographiques). Les fondements des chantiers du gouvernement, tels que décrits dans la SCAPP sur les approches pour tirer profit du dividende démographique, s’inscrivent dans cette volonté d’assurer le leadership du gouvernement dans toutes les initiatives de développement fondées sur les évidences.

9/Beaucoup d’acteurs de la société civile ont constaté une baisse du partenariat entre eux et votre institution. Qu’en pensez-vous ?

Saidou Kaboré : l’UNFPA s’appuie toujours sur les organisations de la société civile pour mettre en œuvre ses programmes sous le leadership du Gouvernement. Cependant nous avons davantage des activités plus ciblées et inscrites dès le début de l’année dans le plan de travail annuel. Nous travaillons de manière générale avec des réseaux d’associations sur la base des objectifs et des résultats clairs, et restons ouverts à tout type de partenariat dans le cadre de notre mandat.

10/ Comment jugez-vous les rapports de l’UNFPA avec les médias mauritaniens, notamment les réseaux et associations des journalistes ? Comment comptez-vous développer davantage votre partenariat avec eux ?

Saidou Kaboré  : je reste convaincu que les médias sont aujourd’hui une plateforme incontournable pour apporter les changements sociaux en faveur du mandat de l’UNFPA et surtout pour la mise en œuvre des engagements de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (CIPD) dont le Sommet a été tenu en novembre dernier à Nairobi. D’ailleurs la première activité qui a été faite après ce Sommet a été d’échanger avec les journalistes mauritaniens sur la CIPD, le Dividende Démographique et les Objectifs de Développement Durable. A l’issue de cette rencontre les journalistes ont créé un réseau multimédia pour le plaidoyer sur les questions de populations avec des engagements. D’ailleurs, il est prévu dans le plan annuel de travail de cette année avec le ministère en charge de la communication, l’élaboration d’un plan d’action avec ce Réseau sur les 3 trois zéros (Zéro décès maternel évitable, zéro besoin non satisfait en planification familiale et zéro violence basée sur le genre) et sur le Dividende Démographique.

11/ Quel message avez-vous à l’endroit de la population ?

Saidou Kaboré : l’UNFPA reste mobilisé dans la continuité de ses efforts d’appui déjà entamés et poursuivra son soutien aux autorités dans leur volonté de garantir, dans le contexte de la COVID-19, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive et de lutte contre les violences basées sur le genre. Par ailleurs, chaque année au mois de mai, tous les pays du monde célèbrent la lutte contre la fistule obstétricale. J’ai une pensée particulière pour les femmes victimes de fistules au moment où nous célébrons la journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale dont le thème porte,cette année, sur la nécessité de mettre « fin à la Fistule maintenant afin de contribuer la fin aux inégalités entre les sexes et aux inégalités en matière de santé ».
La situation actuelle de COVID-19, va affecter l’accès des femmes aux services de santé maternelle, dont l’accouchement et je lance un appel solennel pour la mobilisation de tous les partenaires pour maintenir le continuum de soins, afin de réduire les décès de femmes liées à l’accouchement et à la grossesse.
En Mauritanie, l’OMS estime les nouveaux cas entre 150 et 300 chaque année.Les femmes victimes de fistule obstétricale souffrent d’incontinence permanente d’urines et ou de selles, engendrant la honte, la stigmatisation sociale et d’autres problèmes de santé constants. Ce sont généralement des femmes jeunes, pauvres, souvent analphabètes, mariées précocement (avant 18ans) et vivant en milieu rural.
La fistule obstétricale peut être évitée pourvu que la première grossesse ne survienne pas avant 18 ans,en arrêtant les pratiques traditionnelles néfastes tel que le mariage d’enfant, en assurant l’accès rapide aux soins obstétricaux de qualité et l’autonomisation des femmes et des filles. J’ai également une pensée pour tout le personnel de santé en particulier les sages-femmes qui se battent tous les jours avec tous les autres acteurs afin de sauver des vies. Je voudrais à l’endroit des sages-femmes, leur exprimer mes vives félicitations. L’année 2020 leur est dédiée. Ces héros méconnus en première ligne de la crise de la Covid-19 pour sauver des femmes et des bébés.

Horizon n°7791 du lundi 1er juin 2020


Mort de Abass Rouki à MBagne, bévue ou intervention justifiée de l’armée

La mort par balle de Abass Rouki, survenue le 28 mai 2020 dans le département de MBagne et attribuée à un soldat de l’armée mauritanienne continue d’enflammer les réseaux sociaux, suscitant la réaction de plusieurs partis politiques et des organisations des droits de l’homme. Pendant que ces derniers parlent de bévue, de meurtre ou d’assassinat d’un citoyen désarmé, l’Etat-major général des Armées avance la légitime défense pour justifier l’acte perpétré par l’un de ses éléments. Aux dernières nouvelles, les autorités nationales ont présenté les condoléances de l’Etat mauritanien et versé le prix du sang (DIYA) aux ayants droits de la victime.

Les abords du fleuve Sénégal aujourd’hui fermés pour cause de Covid-19

Depuis plusieurs jours, la mort du jeune charretier, Abass Rouki, continue de nourrir les dissensions dans les réseaux sociaux et animer les discussions de salon. L’indignation a gagné aujourd’hui la rue mauritanienne. Plusieurs partis politiques ainsi que des organisations de la société civile ont vivement réagi à ce que beaucoup considèrent comme une bavure militaire. L’Etat-major des Forces Armées a également publié un communiqué dans lequel, il donne sa propre version.

Les faits

Selon le maire de MBagne, Assane Amadou Seck, qui s’est rendu sur les lieux de l’incident, le drame a eu lieu le jeudi 28 mai 2020, aux environs de 22 heures. Le jeune Abass Rouki, jeune charretier de 35 ans accompagné de son neveu, a été abattu d’une balle près du cœur. Il était en train de charger de la marchandise qu’un commerçant venait de débarquer sur la berge, après avoir traversé le fleuve. Surpris par une patrouille de l’armée mauritanienne chargée de surveiller la frontière pour empêcher les infiltrations, en cette période de Covid-19. Abass et le commerçant tentent de s’enfuir, mais le charretier reçoit une balle tirée à bout portant dans la poitrine.

Le Procureur de la République, deux colonels, l’un de la gendarmerie et l’autre de l’armée se sont rendus sur les lieux du drame et ont constaté les faits, avant de livrer le corps de la victime à ses proches venus de Dabane, localité dont est originaire le jeune charretier, située dans la localité de MBagne.

Selon plusieurs propos rapportés par voie de presse, le maire Assane Seck ne semble pas être trop surpris par ce drame qu’il trouve prévisible «depuis que des jeunes de la localité de Wending dans le département de MBagne ont été arrêtés pendant 72 heures pour avoir dénoncé une contrebande organisée par des commerçants avec la complicité des militaires». Selon le maire, les autorités bien qu’informées, n’ont pas réagi à cette information qui concernait pourtant la fermeture des frontières, les infiltrations et la Covid-19.

Point de vue de l’Armée

Dans un communiqué publié suite au drame de MBagne, l’Etat-major général des Armée indique que «dans le cadre de l’exécution de ses missions sécuritaires liées à la fermeture des frontières, une patrouille militaire a intercepté le jeudi 28 mai 2020 à 21 heures un groupe de passeurs d’infiltrés près du village de Wending relevant de la Moughataa de MBagne ». Le communiqué de souligner que «la patrouille a pu arrêter l’un des passeurs, alors que les autres ont pris la fuite». C’est au cours de la poursuite, qu’un «élément du groupe a tenté d’agresser un soldat, ce dernier a tiré une balle de sommation en direction de l’agresseur, mais cette balle a malheureusement touché mortellement ce dernier» poursuit le communiqué qui précise que «les investigations menées à la suite de l’incident ont montré que la victime est un citoyen mauritanien répondant au nom de Abass Rouki, qu’il est recherché par la justice et qu’il a des antécédents judiciaires».

En conclusion, l’Etat-major dans son communiqué, «en adressant ses sincères condoléances à la famille du disparu et à ses proches, rappelle à tous qu’il est déterminé à exécuter la décision de fermeture des frontières et à empêcher les opérations d’infiltration. Il appelle les citoyens à respecter ces décisions et à s’en tenir aux instructions des patrouilles militaires qui veillent sur leur sécurité et celle de leurs biens».

Réaction de partis et de personnalités politiques

Des institutions nationales, des partis politiques et quelques personnalités se sont prononcés sur le cas du jeune Abass Rouki tué à bout portant le jeudi dernier dans le département de MBagne.

La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a publié un communiqué dans lequel elle déclare avoir «appris avec tristesse la mort d’un citoyen mauritanien dans la Moughataa de MBagne mortellement atteint par un tir à balle réelle provenant d’une patrouille militaire». La CNDH de rappeler «aux autorités que toutes les actions doivent être légales, nécessaires et proportionnelles et qu’à ce titre, il convient de mener une enquête indépendante et crédible pour faire la lumière sur les circonstances de cet acte et en tirer les conséquences qui garantissent le respect des droits et la lutte contre l’impunité».

Le Rassemblement National pour la Réforme et le Développement (RNRD), plus connu sous le nom de parti Tawassoul d’obédience islamiste, a publié un communiqué  en date du 29 mai 2020 dans lequel il «condamne fermement cet acte barbare et odieux, qui montre un usage excessif de la force » et «exige l’ouverture immédiate d’une enquête transparente, pour faire toute la lumière sur l’incident». Le parti «exige que la justice fasse son travail en toute indépendance dans cette affaire» et «appelle tous les Mauritaniens à resserrer les rangs et parler d’une seule voix et mettre ensemble l’esprit de la fraternité islamique contre les messages de discorde».

Egalement, le parti Union des Forces du Progrès (UFP) «réclame une enquête indépendante sur les circonstances dans lesquelles ce compatriote a été tué». Le parti «attire l’attention des autorités que le confinement ou le couvre-feu ne peut en aucune manière justifier la violation des lois ou de la dignité des citoyens, à fortiori d’attenter à leur vie». L’UFP met en garde «tous les Mauritaniens contre des rumeurs et discours suspects qui se diffusent ces derniers temps avec pour volonté de troubler la quiétude des populations et de porter préjudice à l’unité et à la cohésion nationale au moment où notre peuple a plus que jamais besoin de resserrer ses rangs, pour faire face à la pandémie de la Covid-19 et à ses incidences économiques et sociales désastreuses».

Le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) et l’Union Nationale Alliance Démocratique (UNAD) dans une déclaration commune affirment avoir «appris avec un immense regret et une profonde tristesse la nouvelle du meurtre du citoyen Abass Rouki» et déclarent être «conscients des circonstances exceptionnelles que traverse le pays, en raison de la propagation de l’épidémie du coronavirus, et du rôle important et apprécié joué par les forces armées à cet égard, loin de tout abus ou excès».  Ces deux formations de l’opposition exigent cependant «des autorités, l’ouverture, en toute urgence, d’une enquête indépendante et transparente, pour que la vérité sur les circonstances de ce tragique accident soit connue», appelant les Mauritaniens «à faire barrage, de manière ferme, à tout ce qui pourrait provoquer la discorde ou alimenter les tensions entre les composantes de notre peuple».

L’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme (AMDH) s’indigne aussi d’un acte qui n’est ni isolé ni le fuit d’une erreur, car «à une distance très réduite, la victime a reçu une balle en pleine poitrine, alors qu’elle était accompagnée de son neveu et du commerçant propriétaire de la marchandise débarquée d’une pirogue».  L’AMDH est ainsi la première organisation des droits de l’homme à réagir à ce drame qui a coûté la vie à un «père de cinq enfants, qui laisse une famille orpheline». L’organisation déplore aussi cette «succession d’évènements tragiques qui secouent les citoyens depuis la mise en place des mesures restrictives de liberté».
Et de poursuivre, «les forces de l’ordre continuent sur une dynamique répressive sans précédent en faisant usage des armes. La fermeture des frontières et le manque d’assistance et de soutien pour les populations dans les zones rurales en particulier réactivent les gestes de survie qui bravent les interdits».
L’AMDH réclame ainsi «l’ouverture d’une enquête indépendante pour faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles les armes sont utilisées contre des citoyens qui ne cherchent qu’à survivre dans cette période d’exception et de restriction de circulation», avant de noter que «le déploiement de l’armée rappelle les périodes d’exception du régime militaire répressif».

L’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF) condamne aussi «fermement cet acte, qui montre l’usage de la force qui a occasionné la mort d’Abass et dont ont été victimes de paisibles citoyens ces derniers jours à Nouakchott». L’association exige également «l’ouverture immédiate d’une enquête transparente pour faire toute la lumière sur cet incident » et que «la justice fasse son travail en toute indépendance, dans cette affaire». L’organisation «appelle tous les Mauritaniens à resserrer les rangs et à éviter tout ce qui peut nuire à la paix sociale, tout en demandant de mettre en avant l’esprit de fraternité islamique, contre les discours et paroles de la discorde qui circulent. Cependant, nous devons tous veiller à l’unité et à la cohésion nationale au moment où notre peuple a plus que jamais besoin de resserrer ses rangs pour faire face à la pandémie de la Covid 19 et à ses incidences économiques et sociales désastreuses ». L’AFCF «attire l’attention des autorités que le confinement ou le couvre-feu ne peuvent en aucune manière justifier la violation des lois ou de la dignité des citoyens à fortiori d’attenter à leur vie ».

La Coalition Vivre Ensemble (CVE) qualifie l’incident de MBagne de «bavure grotesque commise par un élément de l’armée mauritanienne en patrouille dans la zone de MBagne, ayant tué à bout portant un charretier du nom de Abass Diallo, originaire de Dabane dans la nuit du 28 mai 2020 ». La CVE qui a «condamné fermement cet acte odieux», affirme que «le soldat a tiré à bout portant sur le contrevenant, qui ne détenait aucune arme sur lui et qui ne manifestait aucune forme d’agressivité vis-à-vis de la patrouille militaire», corroborant ses propos par le «laborieux communiqué de l’Etat-major de l’armée, qui respire la contradiction, la mauvaise foi et la falsification des faits».

L’autre aile de la CVE, la CVE/Vérité et Réconciliation, a aussi publié un communiqué dans lequel elle qualifie l’incident «d’assassinat», parlant de «provocations incessantes des populations de la Vallée» et «l’empressement avec lequel l’armée a publié un communiqué qualifiant la victime d’être recherché par la justice, comme si cela suffisait à justifier le crime, ce qui trahit la volonté de l’institution d’étouffer l’affaire». La CVE/VR de rappeler que «l’armée est censée protéger les populations et non se comporter en armée d’occupation et exige qu’une enquête indépendante soit immédiatement diligentée pour mettre toute la lumière sur cette tragédie qui a coûté la vie à un citoyen mauritanien».

L’organisation antiesclavagiste, SOS Esclaves, a aussi réagi par rapport à la triste mort de Abass Diallo qu’elle qualifie «d’assassinat» perpétré par «les forces de l’armée » et qui rappelle «la psychose et les grosses atteintes aux droits de l’homme des années de braise (1989/1991)».
SOS Esclaves «exige que les autorités mauritaniennes diligentent une enquête rapide et transparente pour déterminer les conditions réelles du décès de feu Abass Diallo».

L’ancien député et homme fort de l’UFP, Mohamed Moustapha Beddredine, considère pour sa part que le justificatif avancé par l’Etat-major général des Armées ne tient nullement la route. Dans un communiqué qu’il a publié en la circonstance, Beddredine réclame la condamnation de l’auteur du drame pour qu’il serve de leçon à ceux qui sont chargés de la protection du citoyen et pour qu’un tel acte ne reste impuni. «De la même manière que des agents de la sécurité routière ont été sévèrement sanctionnés pour avoir maltraité des citoyens, ce militaire auteur de ce drame doit aussi être sanctionné» a réclamé l’homme politique.

 Le ton monte dans les réseaux sociaux

Le délire monte dans les réseaux sociaux. Sur Watsap, Facebook, Instagram, ou encore dans les blogs et dans les sites Internet, les commentaires vont de l’indignation à l’opprobre contre une armée accusée de tous les maux. Voici quelques commentaires choisis au hasard.

«Un coup de semonce ou tir de sommation est un tir d’artillerie ou d’arme à feu réalisé en vue d’intimider un adversaire sans lui porter de dégâts physiques»

«Bavure militaire ou pas, on ne doit pas se prononcer sans avoir connu les tenants et aboutissants de l’Affaire ! Une enquête s’impose car si rien ne justifie le désordre, l’anarchie et mort d’homme, rien ne doit aussi nous amener à incriminer et à condamner, démobiliser et ternir nos forces de l’ordre en ces temps qui courent ! Je ne suis pas un militaire ou ex militaire et je ne défends pas l’arbitraire et je suis, par principe et par essence contre l’impunité et le déni mais c’est juste un avis personnel».

«Une enquête est nécessaire pour mettre au claire cette affaire certes, malheureusement le communiqué de l’armée montre que cette dernière ne montre aucun remord mais essaye plutôt de divertir l’opinion en parlant de casier judiciaire du défunt»

«Le communiqué de l’armée contient beaucoup de contradictions, cela suffit amplement pour prouver que c’est une bavure».

«Malheureusement cette Armée n’est pas à sa première bavure. Elle est comptable et coupable de crimes odieux commis à son sein et sous ses ordres».

«Tué d’une balle alors qu’il n’était pas armé. Tué d’une balle juste pour avoir débarqué de la marchandise sur la berge du fleuve. En vérité le jeune Abass n’est mort que parce qu’il était en face d’une armée qui a acquis le réflexe facile de tirer sur les populations noires du sud depuis les années 90 ».

«Le militaire qui a tiré sur Abass l’a fait aussi facilement parce qu’il sait que celui qui avait tiré sur Lamine Mangane n’a jamais été inquiété pour son crime. Pas plus que ne l’ont été ceux qui sont responsables des fosses communes de Sori Malé et de Wothi. En Mauritanie du sud, tirer sur un citoyen noir ne prête à aucune conséquence. Nos hommes armés le savent!»

La Mauritanie, fin de l’impunité des militaires et agents des forces de l’ordre

Avec les derniers incidents survenus en Mauritanie, notamment l’emprisonnement d’un commandant de brigade de la gendarmerie suite au viol suivi de grossesse sur une mineure de 12 ans à l’Est du pays, la radiation de quatre agents de la sécurité routière pour avoir fait subir des traitements inhumains et dégradants à des citoyens ayant violé le couvre-feu, les autorités mauritaniennes affichent leur ferme intention de mettre fin à l’impunité des agents des forces armées et de sécurité.

Constat d’ailleurs largement partagé par le site marocain en ligne «Le 360 Afrique» qui parle d’un espoir sur le plan de la justice en Mauritanie, où «l’impunité était la règle pour certains gradés et les militaires en général». Voir lien : http://cridem.org/C_Info.php?article=736495

Le dernier drame survenu le 28 mai 2020 avec la mort du jeune Abass Diallo à MBagne prouve également cette dynamique de l’Etat mauritanien à promouvoir l’image d’un pays déterminé à faire des progrès dans le domaine des droits humains. Le Président de la République a en effet envoyé une forte délégation pour présenter les condoléances de l’Etat aux ayants-droits de la victime après cette erreur mortelle commise par un élément de la patrouille militaire chargée de surveiller la fermeture des frontières avec le Sénégal. Seulement, l’Etat-major des Armées ouvrira-t-elle une enquête pour déterminer les circonstances de la mort du jeune charretier comme le réclame les acteurs politiques et ceux de la société civile ? Certains trouvent que ce serait preuve de transparence et signe d’une vision nouvelle dans le traitement des sujets jugés sensibles.

Cheikh Aïdara


Viol d’une fillette de 5 ans : entre exigence de justice et forces féodales

Le cas de la fillette de 5 ans violée à Adel Bagrou, au Hodh Echarghi à la mi-mai 2020, est passé inaperçu. Cette affaire a été quasiment couverte par le viol qui a eu lieu deux jours auparavant dans la localité de Twil, relevant du Hodh Gharbi, et celui survenu à Bassiknou dans la même semaine.

L’auteur présumé de cet acte commis à Twil contre une fille de 12 ans, le commandant de brigade de gendarmerie, avait ainsi accaparé l’attention de l’opinion, tant et si bien que le crime d’Adel Bagrou fut presque occulté par les médias, malgré son caractère odieux mais aussi le statut non moins important de l’auteur présumé.

Il s’agirait du fils d’une féodalité maraboutique de la région, dont la famille jouit d’une certaine aura. Ainsi, les informations parvenues de la part des proches de la victime, affirment que le présumé coupable aurait avoué son crime et qu’il serait entre les mains de la justice. Seulement, le poids des traditions, dans une région où les pesanteurs socioculturelles sont encore vivaces, expliquerait les craintes formulées par les proches de la petite victime et certaines organisations des droits de l’homme engagés dans ce dossier, comme le mouvement IRA, AFCF, SOS Esclaves, qui parlent déjà de «manœuvres souterraines pour étouffer l’affaire et déjouer les cours des procédures afin de faire éviter la prison au présumé coupable».

Certains évoquent en effet des pourparlers qui seraient en cours entre les notabilités dont est issu le présumé coupable et les proches de la victime en vue d’un règlement à l’amiable du dossier. 

Ces viols touchent les filles des classes sociales les moins privilégiées

Mais les observateurs estiment que même si, sous couvert de relations pluriséculaires entres les parents de la victime et les proches du présumé auteur, un arrangement pourrait en découler en vue du retrait de la plainte et à l’extinction de l’aspect civile du dossier, il restera l’aspect pénal sur lequel les ONG des droits de l’homme pourraient peser pour que le présumé coupable de l’acte de viol ne puisse échapper à la condamnation.

Il faut noter que tous ces viols et crimes perpétrés contre de petites filles issues pour la plupart de classes serviles, celle des Harratines, sont intervenus dans un contexte marqué par un grand débat sur la Loi sur les violences faites aux femmes et aux filles. Alors que les ONG de défense des droits de l’homme plaident pour l’adoption de ce texte protecteur du droit de la femme en Mauritanie, une bonne partie de la classe conservatrice, dont certains religieux radicaux, a déjà entamé une campagne de dénigrement pour faire capoter l’adoption d’une telle loi.

Le Covid-19 n’a pas non plus facilité la vulgarisation de toutes ces affaires de viol, notamment celui d’Adel Bagrou. L’interdiction des rassemblements, des sit-in et des marches de protestations, les restrictions de voyages, ont empêché la mobilité des défenseurs des droits de l’homme et partant, les mouvements de protestation populaire qui auraient pu donner une plus grande envergure à ces différents crimes.

Cheikh Aïdara


Moi et le Covid-19

Je n’ai jamais eu des pulsions suicidaires ni l’âme d’un héros débonnaire qui tente le diable pour une renommée posthume. Les consignes du ministère de la Santé, je les respecte, mais je n’en fais pas une relique religieuse ni un Totem devant lequel les réalités de ma vie quotidienne doivent s’absoudre.

J’ai appris à vivre ave le Covid-19 dès les premiers soubresauts d’une panique nationale qui a ébranlé les plus solides convictions médicales. D’ailleurs, le monde vient de me donner raison. Il faut apprendre à vivre avec ce virus couronné, ce petit minus qui est appelé à nous côtoyer pendant encore longtemps. Il a appris à se jouer du monde, et dans son infime invisibilité, sait bien danser le «bondje», cette danse des descendants d’esclaves qui, dans la plénitude de leur souffrance et sous la clarté du soir, descendent vers le «Rag» (espace rocailleux) pour s’exorciser d’une journée de dur labeur. Plus on desserre l’étau des mesures de confinement, plus ce petit monstre bleu redouble sa danse.

Je vais, je viens, je m’abonne à mes activités routinières, celles d’un mauvais Samaritain qui a toujours su où prendre ses pêches sans offenser la Nature, ni les règles de bienséance d’un univers où les fouineurs des actualités ne font pas bonne recettes.

Je me joue de cette panique ambiante qui a transformé les rues de Nouakchott en salle de spectacles en pleine air. Partout, des visages à demi-bouffés par des masques ridicules. Ces mêmes visages qui défilent en conseil des ministres, dans les administrations, dans les marchés, jusqu’aux studios fermés où des speakerines solitaires semblent trouver le besoin de se soustraire derrière ces emmitoufflages décatis.

Même les partisans de la divine fatalité, Imams de mosquée, érudits du vendredi, psalmodieurs du soir, tous semblent avoir cédé à cette mode masquée, dont l’exagération dans les espaces publics comme dans les lieux fermés fait penser à «l’Armée des Ombres», ce classique de Jean-Pierre Melville avec pour héros Lino Ventura, Simone Signoret et Paul Crauchet.

Comment quelqu’un qui a échappé à la grippe de Hong-Kong qui a fait de 1968 à 1970 entre 1 et 2 millions de morts à travers le monde, peut-il avoir peur d’un minus comme le Covid-19 ? Comment quelqu’un qui a bravé la fièvre de Lassa, qui a sévi en 1969 dans certaines régions d’Afrique, peut-il craindre ce va-nu-pieds de Covid-19 ? Et le SRAS de 2002 et2003, et l’épidémie H1N1 ! Et l’épidémie de méningite bactérienne de 2009-2010, et l’épidémie Ebola de 2014, et la maladie de Crimée-Congo, et les différentes crises de choléra, et la maladie de la vache folle, et les successives crises paludéennes, et les petits bobos de la petite enfance ?

Au milieu de la panique généralisée, ponctuée par ses macabres dénombrements quotidiens de cas positifs, de cas confinés, de cas covidés, de trucs communautaires et de machins par contact, je reste stoïque, slalomant avec prudence, au milieu de ces milliers de consciences mortifiées par la peur bleue. Celle provoquée par ce minus à deux sous et qui fait trembler le monde, ses grandes puissances comme ses sous-développés. Entre Covid-19 et moi, c’est le regard en porcelaine et la distanciation marquée par un virus sournois et une âme trempée au fer de la résignation, celle d’une foi confiante en la loi divine. Le destin, c’est le fil tendu entre moi et ce crétin de Covid-19 qui pense pouvoir faire peur à tout le monde. Va, répand ta terreur ailleurs !

Cheikh Aïdara