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Brèches sur le littoral, l’Association des Journalistes Amis du Littoral constate l’ampleur de la menace sur Nouakchott

Un groupe de journalistes membres de l’Association des Journalistes Amis du Littoral (AJAL) a effectué vendredi 16 juin 2023, une visite de terrain sur le littoral de Nouakchott. Vingt et une brèches, recensées par les experts du Ministère de l’Environnement et du Programme de Gestion du Littoral Ouest-Africain (WACA) Mauritanie, livrent Nouakchott et son million d’habitants aux furies de l’Océan Atlantique en cas de remontée de la mer. Des solutions sont cependant envisagées.

Daffa Adama (chemise bleue à gauche) explique la question des brèche aux journalistes – Crédit Aidara

L’ambiance était détendue à bord du bus qui transportait ce vendredi 16 juin 2023, une vingtaine de journalistes de la presse privée et publique. Direction, les deux brèches les plus dangereuses du littoral au niveau de Nouakchott, celle située près de l’hôtel Ahmedi et l’autre près de « Tergit Vacances ». Face au cordon dunaire qui a disparu aujourd’hui, alors qu’il mesurait plus de trois mètres de hauteur jusque dans les années 90, la ville de Nouakchott est désormais exposée à la montée des eaux de mer.

Quelques pas vers la mer pour évaluer sa distance à la ville – Crédit Aidara

Organisée par AJAL, une association créée en mars 2021 en marge d’un atelier sur la gestion du littoral, avec le soutien du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable et du Programme WACA Mauritanie, cette excursion a permis aux journalistes de constater avec quelle inconscience, le million d’habitants de Nouakchott vaque tranquillement à ses occupations, alors que le « monstre Atlantique » risque de les engloutir à tout moment.

Première brèche, près de l’hôtel Ahmedi

Terrain plat, de la mer on voit la ville et les voitures sur la route. Rien ne nous sépare du danger – Crédit Aidara

A quelques mètres de l’antique hôtel Ahmedi, abandonné et presqu’en ruine aujourd’hui, alors qu’il a connu ses heures de gloire dans les années 60, se trouve la brèche n°9 d’une longueur d’environ 600 mètres sur 300 mètres de large. L’une des plus dangereuses parmi les trois répertoriées, selon l’expert Daffa Adama, spécialiste en suivi-écosystème auprès de WACA Mauritanie.

Le plastique, un danger méconnu

Une rangée de détritus jonche le sol, là où des vagues en léchant la côte, emportent dans leurs retraits, plusieurs dizaines de bouteilles en plastique. Malaxés par les violents tourbillons marins, ces bouteilles sont écrasées en milliers de micro-organisme que les poissons avalent, les prenant pour du plancton. Et ces micro-organismes en caoutchouc finissent dans les plats, puis au fond des estomacs, créant toutes sortes de maladies.

Retour du plastique et de la saleté à la plage trois jours après le grand nettoyage – Crédit Aidara

Pourtant, cette plage a été nettoyée et récurée par des dizaines de volontaires lors de cette quinzaine de l’environnement qui bat son plein depuis le 5 juin dernier. Trois jours après, la plage est de nouveau livrée à l’insouciance des promeneurs.

Une affaire sous-régionale

Selon Daffa Adama, la dégradation du littoral marin ne touche pas seulement la Mauritanie. Elle touche également, d’après lui, d’autres pays, notamment les six pays membres du projet WACA financé par la Banque Mondiale, le Sénégal, la Côte d’ivoire, la Sierra-Léone, le Togo et le Bénin, en plus de la Mauritanie.

L’action néfaste de l’homme

Daffa (chemise bleue) en pleines explications…avec passion – Crédit Aidara

Daffa Adama considère que là où l’action de l’homme n’a pas exercé son empreinte destructrice, comme à Tiguint (commune relevant de Boutilimit au Trarza, située à 90 kilomètres de Nouakchott, sur l’axe Nouakchott-Rosso) le cordon dunaire a conservé toute sa majestueuse stature de paravent contre les effets des remontées de mer. Ce qui n’est plus le cas à Nouakchott où vingt et une brèche ont été répertoriées, regrette-t-il en substance.

« La construction de Nouakchott postindépendance, avec ses infrastructures, ses bâtiments et ses habitations, à coup de sable marin par camionnées, a détruit la protection naturelle qui défendait la ville et sa population », a-t-il ajouté avec amertume.

Des partenaires à la rescousse

Face à ce danger, plusieurs partenaires sont intervenus comme la GIZ, rappelle Daffa Adama, notamment lors d’une incursion marine dans les années 90. « Aujourd’hui, WACA a pris le relais pour restaurer le littoral dans les six pays ouest-africains cités plus haut, dont la Mauritanie » affirme-t-il.

Quelques options

Séances d’échanges, de questions-réponses et de photos – Crédit Aidara

« Là, au niveau de cette brèche, plusieurs options sont sur la table, le bétonnage, le dallage ou le tout-venant, pour renforcer la protection contre la remontée des eaux » a expliqué Daffa Adama qui précise que Nouakchott est située à moins d’un mètre au-dessous de la mer.

Selon l’expert, WACA va colmater les trois brèches les plus dangereuses, les n° 9, 13 et 16, qui sont programmées, avec six autres brèches, pour les trois années à venir et durant l’année 2023 en cours. En 2021, précise-t-il, la Banque Mondiale avait demandé un certain nombre de compléments d’études, ce qui a un peu retardé l’entame des travaux. C’était pour éviter d’effectuer des travaux dans l’urgence et de tomber dans la même erreur qu’au Togo avec les brise-lames qui ont créé après des problèmes, selon lui. Il déclare qu’au niveau de la Mauritanie, l’entreprise qui va procéder aux colmatages est connue et que ce n’est plus qu’une question de temps pour lancer les opérations.

Près de « Tergit Vacances », la méthode biologique pour fixer les dunes

A gauche, les hectares de sessivium, et devant, la mer – Crédit Aidara

En dépassant le marché aux poissons sis à la plage de Nouakchott, un peu vers l’hôtel Sabah et « Tergit Vacances, là où s’achève le bitume, une grande bifurcation à gauche, direction la mer et la grande plaque de WACA, située sur la partie béante d’une des plus grandes brèches du littoral.

Une énorme clôture en barbelés, 2000 mètres de long sur 150 mètres de large, soit 30 hectares, délimite un vaste champ où pousse des plantes. Ce sont les sessivium, plantes halophiles adaptées à l’environnement et efficaces pour la fixation biologique du sable. Une des méthodes qui a été utilisée au niveau de cette brèche, explique Daffa Adama, pour faire régénérer le cordon dunaire.

Plus loin vers le Nord, ajoute Daffa Adama, le ministère de l’Environnement et WACA ont aménagé plusieurs hectares au bord du littoral et envisagent d’y planter des filaos, des prosopis ou pourquoi pas la Typha, pour fixer le sable et aider à reconstruire le cordon.

En attendant, des mesures s’imposent selon plusieurs observateurs, notamment Daffa Adama. Il faudrait réglementer, selon eux, l’accès des populations à la plage, en interdisant le jet du moindre objet plastique et le passage des véhicules, mais aussi interdire toute extraction du sable marin et des coquillages. Cela passe nécessairement, ajoutent-ils en substance, par des campagnes permanentes de sensibilisation pour les usagers des plages et des hôtels environnants, en plus de l’application stricte des textes et des sanctions pour donner l’exemple.

Cheikh Aïdara


Journée mondiale des Océans, l’ONG BiodiverCité et ses partenaires balaient la plage de Nouakchott et organisent un dîner-débat

A quelques encablures du marché aux poissons de la plage de Nouakchott, juste après  « Tergit Vacances », des dizaines de jeunes écoliers, accompagnés par plusieurs acteurs de la société civile actifs dans le domaine de l’environnement, ont passé la journée du 11 juin 2023 à nettoyer les bordures polluées de la mer. C’était à l’occasion du « Marathon de la Plage » initiée par l’ONG BiodiverCité et ses partenaires pour célébrer la Journée Mondiale des Océans.

Les volontaires sur le point de départ – Crédit AIdara

Versée depuis plusieurs années dans les questions environnementales, ce qui lui a valu une expertise avérée et reconnue par les partenaires nationaux et internationaux dans le domaine, Maïmouna Mint Saleck dite « Mimi » et son ONG BiodiverCité ont donné un cachet particulier à cette journée du 11 juin 2023 marquant la Journée Mondiale des Océans.

Se requinquer avant le boulot

Il est 8 heures 30, quand la tente dressée à quelques jetées du célèbre hôtel « Tergit Vacances », commença à se remplir. Des écoliers venus de différents établissements scolaires de Nouakchott, Toujounine, Sebkha, El Mina et les écoles turques Maariv, mais aussi les étudiants de l’Institut Supérieur d’Anglais et de l’Université de Nouakchott, prirent d’assaut la table où les attendait un somptueux petit déjeuner, café et lait chaud, croissant et boissons diverses.

Un petit-déjeuner copieux avant d’affronter la plage – Crédit Aidara

A côté du staff de l’ONG BiodiverCité sous la férule de Maîmouna et de son éternel adjoint, Mohamed Ali, plusieurs volontaires, mais aussi des partenaires tels que RIMYouth, Nature Mauritanie, AdresRim, Takadoum, Coop Etihad, Al Mamy, ASPOM, certains en provenance de Mouamghar et des villages voisins du Parc National du Banc d’Arguin. Une belle ambiance de colonie sauf que tous savaient qu’au plaisir procuré par le ressac des vagues, un travail de titan les attendait. Nettoyer la plage et la débarrasser de tous les détritus qui jonchent son immaculée robe et qui représentent un véritable danger pour l’environnement marin, notamment les espèces qui vivent au fond de la mer.

A l’assaut de la plage

Distribution de sac-à-dos contenant du viatique, une bouteille d’eau non plastifiée, une casquette pour se protéger des rayons du soleil et une paire de gants.

Dernier réglage avant l’assaut vers la plage – Crédit Aidara

Après les explications d’Al Mamy sur la répartition des tâches, circonscrites en cinq espaces délimités pour chaque établissement, les équipes se mirent au travail.  Des sacs furent remis à chaque binôme, l’un tenant le sac et l’autre y mettant les ordures ramassées.

Jusqu’à 15 heures, les équipes se livrèrent une véritable compétition, dans la joie, l’allégresse et la désinvolture, marques de la jeunesse.

Le ramassage achevé, il fallait procéder au tri des ordures pour séparer celles pouvant être recyclées par les équipes de startup présentes, en l’occurrence celle de Cheikh Guèye et de Moussa Bâ.

Un jury devait évaluer chaque équipe de collecteur pour des prix à distribuer et des récompenses à attribuer.

Détente, art et sport

Elèves en animation dessins avec l’artiste Amy Sow – Crédit Aidara

Après le déjeuner, les jeunes eurent droit à des animations récréatives, avec des ateliers de dessin pour une « Seconde vie » aux déchets animés par l’artiste peintre-plasticienne Amy Sow. S’en suivirent des jeux autour du ballon et des jeux autour des cordes.

Satisfecit général

Pour Maïmouna Mint Saleck « l’expérience a été une grande réussite, puisque l’objectif recherché a été atteint, sensibiliser sur la préservation des côtes ; plusieurs promeneurs ont même apporté des déchets qu’ils ont ramassés eux-mêmes ». C’est surtout, selon elle, les leçons tirées par les enfants et leur prise de conscience par rapport à la pollution marine qui sont importantes.

Maimouna distribue des casquettes – Crédit Aidara

Les directeurs d’établissements scolaires et les partenaires ont remercié l’ONG BiodiverCité et Maïmouna pour cette belle expérience. Les enfants ont surtout apprécié cette sortie qui leur a permis de joindre l’utile à l’agréable.

Une délégation du Ministère de l’Environnement a fait le déplacement pour saluer le travail accompli, remercier les organisateurs et féliciter les participants.

Dîner-débat

Vendredi 9 juin 2023, l’ONG BiodiverCité avait offert un somptueux dîner-débat à ses partenaires au restaurant « Océanides », 15 kilomètres sur la route de Nouadhibou.

Soirée marquée par la présentation des partenaires du « Marathon de la Plage », en l’occurrence BACoMaB Trust Fund, le Fonds fiduciaire du Banc d’Arguin et de la Biodiversité Côtière et Marine dirigé par Mohamed Efghih, l’Institut Goeth, Smart H et le jeune Chouaib Diagana qui a mis en place depuis 2018 un système de revalorisation des déchets, l’ONG Takadoum de Seydina Ali qui travaille depuis 2016 à Mouamghar, Nature Mauritanie pour le renforcement des capacités techniques des jeunes sur la conservation aviaire, la Coopérative itihad du Banc d’Arguin dirigé par Oubeid et spécialisé dans la construction et la réparation des lanchs et qui a créé un premier prototype de balai métallique pour le nettoyage des plages, RimYouth Planet, de Moussa Mamadou Bâ pour la sensibilisation, la formation, le plaidoyer le mapping des problèmes rencontrés par les jeunes, le StartUp de Moussa Guèye pour le recyclage des déchets en objets utiles pour le quotidien des ménages,

Cette floraison de partenaires à laquelle s’ajoutent des directeurs d’établissements scolaires ainsi que des étudiants de l’Université de Nouakchott, a été rehaussée par la présence de Babana, Inspecteur au Ministère des Pêches qui cumule plusieurs décennies d’expériences dans le domaine maritime, marin et côtier, invétéré combattant de l’environnement.

Au cours de la soirée, où l’artiste-plasticienne Amy Sow avait participé ainsi qu’un groupe de journalistes, des films sur la mer, la pêche, le banc d’Arguin, ont été projetés.

Cheikh Aïdara


Conférence internationale Population et Développement (CIPD) : où en sont la Mauritanie et ses engagements ?

Nouakchott a abrité jeudi 8 juin 2023 un atelier sur le rapport national d’examen de la mise en œuvre de la Conférence internationale sur la Population et le Développement (CIPD) + 25. La question centrale en filigrane est de savoir : où en est la Mauritanie par rapport à ses engagements depuis la dernière conférence de Nairobi en 2019.

Les cadres du MAEPSP et de l’UNFPA à l’ouverture – Crédit Aidara

Organisé par le Ministère des Affaires Economiques et de la Promotion des Secteurs Productifs (MAEPSP), avec l’appui du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), un atelier d’une journée s’est tenue à Nouakchott le 8 juin 2023 pour examiner le rapport préliminaire de la mise en œuvre des recommandations de la CIPD+25 tenue à Nairobi (Ethiopie) et de la Déclaration d’Addis-Abeba sur la population et le développement (DAAPD) +5.

Un rapport pour l’Union africaine

A l’entame de son intervention, le consultant recruté pour l’élaboration du rapport, Monsieur Isselmou Mohamed a précisé qu’à l’instar de tous les membres, la Mauritanie doit envoyer son rapport de mise en œuvre à l’Union Africaine, précisant que le pays est en avance par rapport au délai imparti, car ayant finalisé son premier draft déjà en avril 2023.

Il a ensuite procédé à la présentation de son exposé sur le rapport qui commence par un aperçu sur le contexte national, avec un rappel sur la géographie et des éléments de démographie, puis un bref mot sur la stratégie nationale de croissance accélérée (SCAPP) 2016-2030 et le Programme Prioritaire Elargi du Président de la République (ProPEP) 2020-2022.

Le rapport se décline en six grands piliers.

Participants en groupes de travail – Crédit Aidara

Pilier 1, « En matière de dignité et égalité » qui parle du respect des droits de l’homme, la pauvreté qui a accusé un faible recul (31% en 2014 et 28,2% en 2029), la parité genre, avec la persistance des inégalités homme-femme.

Pilier 2, « la Santé », qui aborde la situation laissée par la pandémie Covid-2019 qui a mis à nu la faiblesse du système de santé, avec baisse ou tassement des incidences des autres grandes pandémies et la malnutrition, baisse du taux de mortalité maternelle néonatale infantile et juvénile.

Pilier 3, « en matière de lieu et de mobilité », sur les questions de l’urbanisme et les flux migratoires.

Pilier 4, « en matière de gouvernance », qui évoque notamment le « Levier 3 » de la SCAPP sur la capture du dividende démographique, avec un focus sur le taux élevé de la fécondité, le chômage, la migration des jeunes, l’urbanisation et l’environnement qui constituent des défis majeurs à relever.

Pilier 5, « en matière de données et de statistiques », avec la restructuration de l’Office national de la statistique (ONS) qui devient Agence nationale de la statistique, de l’analyse démographique et économique (ANSADE). La réalisation des grandes opérations de collecte avec respect des calendriers, comme l’EPCV 2019-2020, l’EDS 2019-2021 et le RGPH en cours pour 2023, est considérée comme un acquis à saluer.

Pilier 6, « en matière de partenariat et de coopération », avec le bon fonctionnement du partenariat mondial et régional qui a donné des résultats malgré les contraintes internationales (problèmes sécuritaires et sanitaires).

Participants en groupe de travail – Crédit Aidara

Des engagements de la Mauritanie

Dans ces principaux constats, le rapport note que « l’évaluation des progrès et défis en matière de respect des engagements pris par la Mauritanie a montré que plusieurs d’entre eux n’ont pas été réalisés ». Et de donner quelques raisons telles que, des capacités limitées et des ressources insuffisantes. Deux facteurs peuvent cependant, d’après le rapport, permettre d’améliorer la situation, une forte croissance inclusive et des politiques favorables au dividende démographique.

Travaux de groupes

Pendant plusieurs heures, les participants se sont scindés en trois groupes de travail, à raison de deux piliers par groupe. Il leur a été demandé de s’assurer de l’exactitude des données, des sources et de les actualiser, de donner en cas de besoin, des avis sur les appréciations formulées par le consultant, de proposer, si nécessaire, des reformulations de phrases et corrections de coquilles, enfin, de suggérer des recommandations complémentaires. Les participants ont travaillé sur les annexes du rapport en remplissant les cases non renseignées.

Un atelier de validation pour le rapport final sera bientôt tenu, selon les organisateurs.

Cheikh Aïdara


Mort de Oumar Diop, radioscopie d’une explosion de colère en Mauritanie

La mort à Nouakchott de Oumar Diop, jeune père de famille de 38 ans originaire de MBagne, continue de susciter des remous dans plusieurs villes de Mauritanie. Conséquences, un jeune manifestant est tué par la police à Boghé, plusieurs blessés et des fourguées d’arrestations à Kaédi, Nouakchott, Nouadhibou et MBagne, sans compter plusieurs casses et troubles sociaux. A la version avancée par la famille du défunt, et reprise par l’opinion publique nationale, s’oppose celle des autorités.

Manifestation Kaédi

Les explosions de violence continuent de secouer la capitale mauritanienne et plusieurs villes de l’intérieur du pays. En effet, depuis l’annonce, la nuit du lundi 29 mai 2023, de la mort de Oumar Diop, jeune ressortissant de MBagne, la colère s’est emparée de la rue mauritanienne.

A partir de la version avancée par la famille du défunt, plusieurs leaders politiques et défenseurs des droits de l’homme ont condamné un « crime odieux commis dans un commissariat de police ». C’était lors d’un rassemblement monstre à l’hôpital national de Nouakchott où une foule immense et colérique s’est massée lundi 29 mai dans l’attente des résultats de l’autopsie. Là, des échauffourées ont éclaté avec les forces de l’ordre.

Une foule de jeune transportant le corps sans vie de Mohamed Lemine tué à Boghé par un policier

Mardi 30 mai, le procureur de la République et le ministre de l’Intérieur font des déclarations à la presse pour avancer leur propre version.

Mort sous la torture

Selon la version de la famille de Oumar Diop, jeune homme d’affaires, père de trois enfants avec une épouse en état de grossesse avancée, le défunt qui se préparait à migrer vers les Etats-Unis avait vendu deux voitures pour un montant de deux millions cinq cents mille anciennes (2.500.000) ouguiyas. Deux policiers en patrouille voulurent le délester de son argent, ce qu’il refusa. Il était accompagné par son frère, selon qui, le défunt aurait remis finalement vingt-cinq milles (25.000) anciennes ouguiyas aux deux policiers pour se débarrasser d’eux.

Oumar Diop
Le corps du défunt

Le lendemain, dimanche 28 mai 2023, alors qu’il est en crevaison près de l’hôpital psychiatrique dit « Hôpital Dia », aux environs de 22 heures, un ami qui est accompagné de son épouse vint lui donner un coup de main. Selon lui, deux policiers à bord d’une voiture de police demandent à Oumar Diop de les suivre au commissariat. « Le commissaire a besoin de vous » lui aurait-il dit, selon le témoignage de son ami. Face à son refus de les suivre sans motif, ils l’embarquent par la force après l’avoir roué de coups et menotté.

Vers 7 heures du matin du lundi 29 mai, sa famille reçoit un coup de fil. La police leur annonce la mort de Oumar Diop, précisant que son corps repose à la morgue de l’hôpital national.

Une foule monstre à l’hôpital

Lundi 29 mai 2023, la morgue de l’hôpital national de Nouakchott est prise d’assaut dès la première lueur de la journée, par des centaines de personnes en colère, au milieu d’une forte présence de leaders politiques, de journalistes et d’activistes de la société civile.

Famille et amis du défunt devant la chambre mortuaire de l’hôpital national

Une autopsie est en cours, sous la supervision de deux médecins légistes, un médecin désigné par la famille du défunt, dont l’un des membres est présent, en plus d’un avocat de l’organisation mauritanienne des droits de l’homme.

Foule en colère devant l’hôpital national

Des véhicules de la police anti-émeute se présentent en milieu de journée pour disperser la foule. S’en suivent des escarmouches entre policiers et manifestants. Pendant plusieurs heures, les deux camps s’échangent lancées de pierres et jets de lacrymogènes. La devanture de l’hôpital est transformée en un véritable champ de bataille, pendant que des volutes de fumées noirâtres s’élèvent en l’air, obscurcissant le ciel. Des tas de pneu finissent de se consumer au milieu de la chaussée.

Les leaders réclament justice

Dans la vaste cour de l’hôpital où se bouscule une foule immense, plusieurs hommes politiques et membres de la société civile livrent leur point de vue, au milieu d’une atmosphère électrique dominée par un brouhaha assourdissant.

Balla Touré

Des photos du corps de Oumar Diop, parsemé d’ecchymoses bleus, font le tour de la toile, alimentant une colère déjà nourrie par des réseaux sociaux en feu. La tension monte crescendo au fil des heures.

L’opposant Mohamed Ould Maouloud, président de l’Union des forces du progrès (UFP), déclare être venu s’informer sur le drame et apporter sa solidarité à la famille du défunt. Selon lui, cette situation ne fait que détériorer la confiance entre les populations et les autorités, regrettant qu’un tel scénario puisse se reproduire à chaque fois qu’un citoyen entre dans un commissariat de police.

Aminatou Mokhtar

Pour Balla Touré, député nouvellement élu, « Omar Diop est victime de la police mauritanienne », revenant sur les circonstances de sa mort. Selon lui, la police mauritanienne a une nouvelle fois récidivé après l’assassinat au commissariat de Dar Naïm 2 de l’activiste Souvi il y a quelques mois. Il a demandé à ce que justice soit rendue, soulignant que l’opinion n’acceptera pas un résultat biaisé de l’autopsie et la délivrance d’un certificat médical qui ne corresponde pas aux causes réelles du décès de la victime.

Arrivée de Birame Dah Abeid

Birame Dah Abeid, député et président du mouvement antiesclavagiste IRA, dit condamner l’acte ayant conduit à la mort de Omar Diop au commissariat de Sebkha. Selon lui, les autorités doivent faire toute la lumière sur cette affaire et condamner fermement les auteurs du crime.

Aminetou Mint Mokhtar, présidente de l’association des femmes chefs de famille (AFCF) déclare à son tour que ces assassinats de citoyens dans les commissariats de police menacent la paix civile et ébranlent les fondements encore fragiles de l’unité nationale.

Me El Id

Pour sa part, l’avocat et député Me Id Ould Mbareck, qui vient d’assister à l’autopsie, affirme que Oumar Diop est mort sous la torture. Selon lui, une enquête sérieuse et diligente doit être menée pour déterminer les circonstances de sa mort et rendre justice à la victime et à sa famille.

Plusieurs autres personnes qui étaient avec la victime lors de ses altercations avec les policiers et sa conduite au commissariat ont livré leurs témoignages.

Sur la toile, une vidéo prise par des voisins, montre les ultimes moments de Omar Diop avec deux policiers à côté d’une Pickup de la police et une petite voiture garée.

Version des autorités

Le procureur de Nouakchott Ouest

Quarante-huit heures après le drame, la Direction de la Sûreté Nationale sort un communiqué dans lequel elle déclare qu’une patrouille de police a arrêté Omar Diop après une bagarre avec un groupe de jeunes durant laquelle il aurait été blessé. Selon le communiqué, il « était dans un état presque totalement inconscient à cause de psychotropes. ». Amené au commissariat de Sebkha, « la victime s’est plaint de difficultés respiratoires et a été immédiatement transporté à l’hôpital national, où le médecin l’a examiné et lui a prescrit un traitement » selon le communiqué. Et de poursuivre, « malheureusement, malgré les efforts continus du personnel médical, sa santé a commencé à se détériorer et il est resté à l’hôpital. Malgré les tentatives des ambulanciers pour le sauver, il est décédé ».

Le Ministre de l’Intérieur

Mardi 30 mai, le Procureur de la République de Nouakchott-Ouest déclare à son tour que « les policiers qui ont interpellé Oumar Diop ont été entendus », affirmant que « les personnes qui étaient sur place sont en train d’être interrogées ». Selon lui, les résultats définitifs seront publiés. « Le médecin-légiste a demandé un complément d’analyses de l’autopsie. Les éléments seront envoyés à l’étranger pour le besoin d’examens supplémentaires » a-t-il conclu.

L’après-midi, lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur a évoqué la mort de Oumar Diop et celle du jeune Mohamed Lemine, tué à balle réelle à Boghé lors d’une manifestation réprimée par la police. Selon lui, des enquêtes ont été ouvertes dans ces deux disparitions, ajoutant que « certains prêcheurs en eaux troubles exploitent la situation actuelle pour créer l’instabilité et le désordre dans le pays ». Il a affirmé que la « situation est sous contrôle » tout en appelant les leaders d’opinion, les journalistes, les hommes politiques et les oulémas, à contribuer pour le retour à la paix et à la stabilité.

Il faut rappeler que ces troubles qui se poursuivent depuis deux jours sont attisés par ce que d’aucuns appellent « la propension des policiers à faire des commissariats des lieux de crimes et de rapines », non sans rappeler le crime odieux dont a été victime l’activiste Souvi Ould Cheine en février 2023. S’ajoute à cela, ce que l’avocat et opposant Me Lô Gourmo nomme, la frustration des jeunes des zones périphériques de Nouakchott, notamment à El Mina et à Sebkha, soumis depuis plusieurs années à un couvre-feu permanent.

Hier nuit, le service Internet a été coupé, comme ce fut le cas aux lendemains des scrutins controversés du 13 mai 2023. Une arme que les autorités semblent utiliser d’une manière récurrente chaque fois que la situation sociale et sécuritaire commence à dégénérer.

Cheikh Aïdara