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Rupture avec le Qatar : la rue mauritanienne divisée

A la suite des pays du Golfe sous la férule de l’Arabie Saoudite, la Mauritanie a annoncé le 6 juin dernier par le biais d’un communiqué du Ministère des Affaires Etrangères, la rupture de ses relations diplomatiques avec le Qatar. Une annonce qui a provoqué une manifestation spontanée, plusieurs citoyens s’étant massés devant l’ambassade qatarie à Nouakchott pour exprimer leur solidarité. Depuis, la rue mauritanienne est profondément divisée.

 

Mohamed Abdel Azoz et le Roi Salman d’Arabie Saoudite à Djeddah.

La crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe, intervenue le 5 juin 2017, isole de jour en jour le petit émirat. La vague des ruptures diplomatiques avec le Qatar s’est en effet amplifiée, sous la pression de Riadh, à des dizaines d’autres pays, dont la Mauritanie. La raison évoquée pour expliquer cette décision diplomatique reprend dans ses termes, les mêmes accusations portées par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Il est reproché au Qatar de soutenir le terrorisme et de jeter le trouble dans le monde.

Ce qu’on reproche au Qatar
La crise entre le Qatar et ses voisins du Golfe, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unies, Bahreïn et qui s’est par la suite étendue à tous les pays arrosés par les pétrodollars saoudiens a été disséqué par la quasi-totalité des analystes du monde.

L’accusation de soutien au terrorisme, répétée à l’envie ici en Mauritanie, par une pléiade de cadres  contraints à investir les plateaux des télévisions pour soutenir le point de vue officiel est battue en brèche.

Parmi les causes supposées de la crise, certains analystes en Occident citent le reproche fait au Qatar d’empiéter sur les plates-bandes de son puissant voisin saoudien, tout récemment rétabli dans la plénitude de son leadership du monde arabo-musulman par la nouvelle administration américaine. En effet, un lien de cause à effet a été établi entre la visite de Donald Trump à Riadh le 21 mai 2017 et l’offensive contre Doha enclenchée le 5 juin dernier. Le Qatar aurait eu l’ambitieux crime de jouer dans la cour des grands en oubliant sa petite taille, pour prendre trop de place dans les économies développées, comme ses énormes investissement en Europe.

L’autre cause évoquée, celle du refus du Qatar à se joindre à la coalition anti-Iran que Trump veut former avec les pays du Golfe, dont l’Arabie Saoudite. Le Qatar est lié à l’Iran par une frontière maritime mais surtout par un important champ gazier que les deux pays exploitent en commun.

Mais si des présomptions pèsent sur le Qatar à travers certains privés qataris soupçonnés de financer des organisations déclarées terroristes comme le Jebhat Nosra proche d’Al Qaïda en Syrie, l’Arabie Saoudite et les Emirats seraient également fortement impliqués dans ce financement occulte du terrorisme. Ainsi, pour beaucoup d’observateurs, l’accusation de terrorisme adressée au Qatar ne serait qu’une façade et qu’en réalité il lui serait reproché de ne pas être dans le délire anti-Iran de Riadh et d’Abu Dhabi.

L’autre point de discorde serait d’ordre idéologique avec un Qatar qui abrite les Frères Musulmans chassés d’Egypte et que le Royaume saoudien combat comme la peste parce qu’ils font ombrage au courant salafo-wahabiste qu’il finance et propage à travers le monde.

Les Emirats n’ont jamais quant à eux pardonné au Qatar son indépendance et son refus d’intégrer l’union, préférant se détacher pour former un «petit pays indépendant ». Le comble, cette coupe du monde que le Qatar accueillera en 2020.

Mais la plus grande contradiction serait le rôle central joué par les Etats-Unis dans l’isolement du Qatar tout en y maintenant sa puissante base militaire, la plus importante au Golfe. C’est surtout le parti pris de l’administration américaine en faveur de pays autocratiques comme l’Arabie Saoudite, où la démocratie est absente et les droits de l’homme bafoués qui jette le discrédit sur la politique étrangère des Etats-Unis dans le monde arabe.

Tous les analystes sont cependant d’avis que le Qatar ne pourra pas résister longtemps à l’embargo qui le frappe et qu’il sera obligé de faire des concessions ou de courir le risque d’une énième révolution de palais. En 2014, une crise similaire avait frappé le Qatar et a duré 8 mois. A l’époque, c’était la tête du prédicateur Al Qardawi qui a été réclamé et depuis, il a disparu des plateaux de télévision qataris. Cette fois, la facture risque d’être plus salée, car il s’agit pour l’Arabie Saoudite et ses alliés d’amener le Qatar à chasser les frères musulmans qu’il abrite ainsi que la direction du mouvement Hamas, sans compter la livraison de cinq bonnes dizaines de personnes recherchées pour terrorisme.

La crise du Qatar vue de l’Occident

Si Donald Trump a déclaré que la crise du Qatar doit être réglée le plus rapidement possible, nul ne sait encore le sens de ces propos, si la solution doit être militaire ou politique. La Turquie et le Pakistan auraient annoncé un mouvement de troupes vers le Qatar pour le protéger en cas d’attaques, tandis que l’Iran vient de dépêcher plusieurs avions pour ravitailler le pays.

En France, les réactions tardent encore, même si la plupart des analystes trouvent que le nouveau président français Emmanuel Macron avait déjà annoncé durant sa campagne qu’il mettra fin aux avantages fiscaux accordés aux investissements qataris par l’administration Sarkozy. Ainsi, il a fait poireauter l’Emir du Qatar pendant six jours avant de le prendre au téléphone après la crise.

Pourtant, les investissements qataris en France, estimés à plus d’un milliard d’euros, pèseront lourd dans toute décision que la nouvelle équipe de Macron aura à prendre.

L’Allemagne mais aussi l’Union européenne ont demandé la fin de l’embargo sur le Qatar.

In fine, le Qatar serait coupable d’exhibitionnisme au point d’avoir agacé son voisinage immédiat qui cherche aujourd’hui à le remettre à sa place.  Et puis, sa chaîne Al Jezira, 5.000 employés et 180 bureaux à travers le monde a eu l’outrecuidance de heurter la culture antidémocratique des pays du Golfe nullement habitués à un tel degré d’indépendance dans le traitement de l’information. Cette chaîne donne en effet la parole à tous les opposants du monde arabe et cloue au pilori les chefs d’Etat arabes non coutumiers de telles critiques. Il lui est aussi reprochée d’avoir soutenu et même provoqué des crises dans le monde arabe.

L’analyse de la crise en Mauritanie

En Mauritanie, la décision de rompre avec le Qatar a été trop rapide et brusque pour l’opinion publique nationale. Le communiqué du Ministère des Affaires Etrangères accuse le Qatar de propager des idées extrémistes et d’avoir sciemment semé l’anarchie dans de nombreux pays arabes. «Le Qatar a pris l’habitude de mettre en cause les principes sur lesquels est fondée l’action arabe commune» déplore le communiqué officiel.

Cette décision du gouvernement mauritanien a été d’autant inattendue que le Qatar a beaucoup investi en Mauritanie, en construisant un centre pour l’éducation des enfants sourdes, une mosquée, un grand complexe touristique, un hôpital à Boutilimit. Mieux, les deux pays ont multiplié ces derniers mois leurs échanges et signé un jumelage entre la Cour suprême mauritanienne et la Cour Qatarie de cassation. Plusieurs centaines de fonctionnaires mauritaniens, magistrats, imams et enseignants travaillaient aussi au Qatar.

Cette embellie a été cependant émaillée de plusieurs mini crises, comme l’accusation lancée par Nouakchott il y a quelques années contre le Qatar, l’accusant de soutenir des mouvements terroristes dans le Nord Mali, et de soutenir le parti islamiste Tawassoul proche des frères musulmans.

Mais le pouvoir mauritanien est obligé de prouver la justesse de sa décision face à une opinion mauritanienne foncièrement hostile, en envoyant chaque jour et chaque nuit des pléthores de cadres et hauts fonctionnaires défendre sa position sur les plateaux de télévision et les studios des radios qu’ils soient publics ou privés. Une offensive médiatique qui vient prouver, selon les opposants, que les arguments avancés par le gouvernement mauritanien ne tiennent pas la route.

La rue estime que la décision de l’Etat résulte d’un suivisme aveugle et irréfléchi pour plaire à l’Arabie Saoudite, si ce n’est pour des raisons pécuniaires, certains parlant de plusieurs millions de dollars promis par les Saoudiens au gouvernement mauritanien.

C’est le point de vue du parti Union des Forces du Progrès (UFP) de l’opposition radicale qui estime que la rupture diplomatique avec le Qatar répond à une logique de suivisme et d’opportunisme diplomatique qui met en berne la souveraineté du peuple mauritanien.

Pour Mohamed Jemil Mansour, président du parti Tawassoul, qui s’exprimait au cours d’une invitation à la rupture du jeûne,  à laquelle avait assisté la classe politique, majorité et opposition confondue, mais aussi des membres des deux chambres du Parlement, «la défense de la cause palestinienne à travers le mouvement de résistance Hamas est un bienfait et le contraire une perdition ».

Cheikh Aidara


Journée mondiale contre le travail des enfants : situation alarmante en Mauritanie

Quelques 37,6% des enfants âgés de 5 à 17 ans en Mauritanie travaillent comme bergers, paysans, aides garagistes, domestiques, charretiers… Une situation alarmante qui a conduit les autorités à ratifier les principales conventions de l’OIT contre le travail des enfants  tout en mettant en œuvre un arsenal juridique et institutionnel conséquent. La journée mondiale contre le travail des enfants célébrée hier,  lundi 12 juin 2017, a permis de procéder au bilan des actions accomplies.


Message des enfants (Crédit photo : Aidara)

Le Centre culturel de la Communauté Urbaine de Nouakchott, sis au Musée National, a abrité lundi 12 juin 2017 les activités commémoratives de la Journée mondiale de lutte contre le travail des enfants. La journée, dont l’ouverture officielle a été présidée par le Secrétaire général du Ministère de la Fonction Publique, du Travail et de la Modernisation de l’Administration, a été marquée par la forte présence de la société civile et du personnel du Bureau internationale du Travail (BIT) en Mauritanie.

La cérémonie d’ouverture a connu un bref échange de discours entre le Secrétaire général du Ministère du Travail et le représentant du Projet Bridge relevant du BIT, M.Marc Ninerola qui a mis l’accent sur l’ampleur du travail des enfants en Mauritanie et l’appui du BIT dans deux axes du Plan d’action national pour l’élimination du travail des enfants  (PANET RIM).

L’assistance, dominée par les jeunes, a suivi par la suite, une intervention des enfants, une chanson puis un message de secours adressé aux adultes. «Je veux juste rester un enfant » fut le message central et émouvant qui a été lu en français et en arabe.

Trois communications ont par la suite été présentées. La première, par le Coordinateur du  Projet de lutte contre le travail des enfants au sein du bureau du BIT, M.Cheikh Thiam.

Dans son exposé il a brossé les principaux domaines d’intervention de son projet, notamment la formation et le renforcement de capacité des acteurs du travail (inspecteurs et contrôleurs du travail), mais aussi l’appui à l’institutionnalisation et à la mise en place du  Conseil national du dialogue social, entre autres.

Lui succédant, Mohamed Baba Deih, consultant, a campé le contexte du travail des enfants en Mauritanie, un pays où les moins de 18 ans représentent la moitié de la population. Il a évoqué les textes internationaux ratifiés par la Mauritanie dans le domaine du travail des enfants, notamment la Convention n°138 de l’OIT relative à l’âge minimum de travail et la Convention n°182 relative aux pires formes des travaux des enfants, mais aussi la Charte africaine pour le bien-être de l’enfant. Selon lui, le nombre d’enfants travailleurs a beaucoup baissé dans le monde, encore plus pour les filles que pour les garçons, une baisse de 40% chez les filles contre 25% chez les garçons.

Il estime qu’en Mauritanie, près de 80% des enfants sont victime de discipline violente, que 10,6% des enfants âgés de moins de 17 ans ne vivent pas avec leurs parents biologiques, que 41,7% des enfants de moins de 5 ans ne disposent pas d’acte d’état-civil.

Il a par la suite énuméré l’arsenal juridique mis en place pour lutter contre le travail des enfants et rendre obligatoire leur scolarité

Enfin, la troisième et dernière communication a été présentée par Frederico de l’ONG internationale «Save The  Children » qui a axé son intervention sur le Profil des enfants en mobilité et leur vulnérabilité face à l’exploitation et à la traite aussi bien dans les pays de transit que dans les pays de destination. Il déplore, surtout en Mauritanie, le manque de données statistiques et anthropologiques sur les raisons qui poussent les enfants à se déplacer, sur leur âge, leur couloir migratoire, mais aussi leur manque de visibilité dans les politiques du pays.

Ces enfants viennent pour la plupart, selon lui, du Mali, du  Sénégal et de la Gambie et se répartissent en quatre catégories : les filles mineures domestique souvent exposées aux violences sexuelles, les filles et les garçons victimes du système du  «Confiage » citant les enfants talibés, les mineurs vivant dans un environnement stable mais attirés par les mirages de l’Europe et enfin, les mineurs vivant dans un environnement familial instable et qui développent un lien avec la rue.

Plusieurs ONG engagées dans la protection des droits des enfants avaient pris part à la manifestation, notamment  l’Association Génération Motivée (AGM), l’Association des femmes chefs de famille (AFCF), le Léons Club.

Selon Aminetou Mint Mokhtar, présidente AFCF, «nous avons recueilli plusieurs filles anciennes domestiques victimes de violences, que nous avons réinjectées dans le circuit de l’enseignement. Nous avons suivi certaines d’entre elles jusqu’au baccalauréat ». Selon elle, son organisation a identifié à Rosso et à Nouakchott 9.484 enfants victimes de domesticité dont 78,8% de filles, ainsi que 7.662 enfants en conflit avec la loi, dont 32% âgés de moins de 14 ans et 68% âgés entre 14 et 18 ans.

Cheikh Aidara


Mohamed Ould Abdel Aziz : Un bilan mitigé à mi-mandat

Arrivé au pouvoir en 2008 par une révolution de palais, puis élu Président de la République lors de l’élection présidentielle de juillet 2009 et lors du renouvellement de son second mandat en juin 2014, le président Mohamed Ould Abdel Aziz s’achemine dans moins de deux ans à céder le fauteuil, conformément aux dispositions de la Constitution mauritanienne.

Durant ces huit années de règne, Mohamed Abdel Aziz laisse l’image d’un homme controversé, adulé par ses partisans qui le trouvent irremplaçable jusqu’à vouloir l’imposer ad æternam et vilipendé par ses adversaires qui l’accusent d’avoir fait de la Mauritanie un pays en lambeaux.

Entre les avis favorables des uns et les critiques acerbes des autres, nous allons tenter le plus objectivement possible de dresser un bilan présidentiel qui, le moins que l’on puisse dire, est qu’il ne laisse personne indifférent, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur du pays. Ce bilan sera le plus synthétique possible, au format d’un article de presse qui ne peut prétendre à l’exhaustivité d’une étude académique.

A la tête de toutes les performances et de toutes les tares qui seront développées dans ces lignes, il ressort que les différents mini-gouvernements successifs, retouchés selon les humeurs du moment, endossent l’essentiel des responsabilités dans les échecs et les succèsenregistrés au cours des huit années de règne de Mohamed Ould Abdel Aziz. Que cela soit sur le plan politique, économique ou social.

Sur l’action gouvernementale

A la décharge partielle des différents ministres qui se sont succédé en Mauritanie de 2008 à nos jours, on peut trouver des circonstances atténuantes. Ils ont servi sous un régime où toutes les décisions sont concentrées entre les mains du président de la République. Même pour acheter une rame de papier, même pour la moindre décision, il faut l’avis du Chef.

Résultat, l’allégeance politique a servi de critère de nomination dans les différents gouvernements plus que la compétence technique. D’où l’émergence des tares les pus répulsives de la philosophie politique la plus platonicienne. Parmi ces tares, on peut citer les dérives apologiques pour plaire au maître.

L’hypocrisie politique et les guerres de tranchées entre différentes factions au sein de la majorité battent leur plein, guerre entre anciens et nouveaux, entre clan Hademine et clan Moulaye, du nom de l’actuel Premier ministre et de son prédécesseur.

Parmi ses tares aussi, le clientélisme, le népotisme, les passe-droits, la manipulation de la vérité, l’ostracisme, l’exclusion de tous ceux qui ne sont pas dans le système, la médiocrité à la tête de l’Etat, avec des nominations de complaisance basées sur de fragiles équilibres régionalistes, ethnicistes, tribaux ou corporatistes.

Parmi ces ministres, les plus inamovibles sont paradoxalement ceux qui sont les plus décriés par l’opinion publique nationale. Ceux qui devaient, selon elle, céder leur fauteuil depuis longtemps pour incompétence.

Si on ajoute à tout cela un parti-état, UPR, empêtré dans ses problèmes internes, ses guerres de tranchées et de positionnement. Résultat, Aziz navigue tout seul, en cavalier solitaire, mal soutenu par un gouvernement fort ou un parti mobilisateur.

Dernier soubresaut venu mettre le feu à la poudrière UPR, la fronde des sénateurs, obligeant le président de la République à s’engouffrer dans une controversées pirouette constitutionnelle pour un référendum constitutionnel fortement entachée.

En filigrane de sa politique équilibriste où il est parvenu jusque-là à jouer sur plusieurs tableaux, il ressort en définitive que Mohamed Abdel Aziz s’est trompé en croyant dans une opposition dialoguiste (APP, El Wiam, Sawab) qui n’a finalement pas fait l’affaire et qui a montré ses limites. Cette opposition n’a pas permis d’instaurer une certaine détente ni à décrisper la situation politique très tendue entre le pouvoir et l’opposition dite radicale.

En fait, en termes de gouvernement, la Mauritanie n’en a pas eu un seul de valable. Toutes les équipes qui se sont succédé depuis 2008 à la tête de l’Etat, à coups de rafistolages, ont été marqués par l’inertie, le manque d’homogénéité, sans tête de pont valable, avec des hommes de cour dont l’extravagance amuse au moins la galerie, à l’image du bavard ministre des Finances, du bouffon ministre porte-parole du gouvernement ou du ministre constipé en charge de l’Enseignement Supérieur, dont le sadisme anti-étudiant dispense de tout commentaire.

Sur le plan politique

Sur le plan politique, les huit années de présidence de Mohamed Ould Abdel Aziz sont marquées par un émiettement de la classe politique, savamment orchestré et entretenu pour mettre à l’écart les plus radicaux des opposants.

Par cette tactique, le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz pensait pouvoir gouverner tranquillement en mettant en orbite une partie de la classe politique qu’il poussera d’année en année dans l’exclusion et la marginalisation.

Résultat, une crise politique qui perdure depuis les Accords de Dakar de 2009 et qui, malgré des dialogues menés avec ses partisans et une opposition dite modérée, entièrement acquise à ses causes, n’est jamais parvenue ni à décrisper les tensions internes ni à satisfaire les partenaires internationaux et les bailleurs de fonds soucieux du climat délétère et non consensuel qui prévaut.

Le régime que Mohamed Abdel Aziz a mis en place, en guerre ouverte à ces débuts contre les « Moufcidines », c’est-à-dire tous ceux qui avaient servi sous l’ère Ould Taya et accusés de gabegie, finira par devenir le creuset de tous les anciens ténors de cette époque Taayenne.

Cette troisième colonne qui constitue aujourd’hui l’ossature de l’équipe dirigeante actuelle, s’est reconstituée par une mue magique, rétablissantdans toute sa plénitude le Système féodalo-militaro-affairiste qui règne sur la Mauritanie depuis 1978.

Et cette force occulte est contre tout changement de la donne, celle qui permet de saigner les finances publiques, de faire le lit de toutes les magouilles, véritable paradis de la corruption et de la gabegie. Résultat, si du temps de Ould Taya, les malversations se chiffraient en million d’ouguiyas, sous le règne de Mohamed Ould Abdel Aziz, on ne parlera plus que de scandales portant sur des milliards d’ouguiyas.

Les énormes ressources de la Mauritanie n’auront servi durant ces huit années qu’à engraisser une nouvelle classe d’hommes d’affaires fabriqués sur pièces et qui remporterait, si un prix était décerné pour cela, le Guinness des plus rapides enrichissements au monde.

Pour participer à cette manne, plus d’une centaine de partis politiques, dont l’écrasante majorité sans audience ni Aura, essaimeront autour du pouvoir. Ils meubleront tous les forums et tous les dialogues, faisant chorus.

L’opposition quant à elle a été émiettée et divisée, éclatée en plusieurs fronts antinomiques. Du Front national pour le développement démocratique (Fndu), le plus grand regroupement des opposants au pouvoir, il ne restera que des lambeaux.

Le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz parviendra à l’émietter à coups de défections, promettant aux dissidents postes juteux et avantages matériels. Des offres alléchantes qui laissent indifférents peu d’opposants, tannés par des années de traversées du désert et d’exclusion.

Aujourd’hui, il existe plus de trois pôles de l’opposition dont les plus malléables servent de faire-valoir à un régime qui s’en sert pour vendre l’image d’une démocratie qui fonctionne normalement.

Ce qui ne trompe pas les partenaires internationaux qui ont compris le jeu et ne cessent d’exiger du pouvoir de Mohamed Abdel Aziz une plus grande ouverture du champ politique. S’il y a un bilan sombre du règne de Mohamed Ould Abdel, la gouvernance politique figure comme l’un des aspects les plus désastreux.

Exclusion des opposants à toute participation à la vie active, avec mise à l’écart de ses cadres, chasse aux sorcières dans les administrations publiques contre les fonctionnaires militants de l’opposition, pression fiscale sur ses hommes d’affaires, exclusion de tout activiste, journaliste ou membre de la société civile soupçonné de sympathie pour l’opposition. Un climat politique exclusiviste qui met à l’écart une bonne partie des compétences nationales.

Sur le plan économique

La bonne étoile du régime, qui lui a fait bénéficier des années d’opulence suite à la montée en flèche des prix du fer, du cuivre et de l’or sur les marchés mondiaux entre 2009 et 2012, « la manne minière », n’a pas été judicieusement exploité.

Résultat, les recettes colossales et imprévisibles de cette manne, qui a drainé entre 2009 et 2012, plusieurs milliards de dollars, n’aura pas servi à booster l’économie nationale.

Cela ne s’est pas reflété ni dans la résorption du chômage, ni dans la construction d’infrastructures de base conséquentes. Nouakchott ne compte aucun échangeur. Les salaires des fonctionnaires n’a connu la moindre hausse, alors que les prix de denrées de première nécessité ont enregistré des hausses considérables.

Peu de rentrée en termes d’investissements étrangers directs. Mais par contre, plusieurs sociétés privées ont fait faillite, des hommes d’affaires nationaux ont émigré vers d’autres pays de la sous-région, sous le coup de boutoir d’une pression fiscale insoutenable. L’impôt, après l’euphorie de la manne minière, est devenu la principale source de recettes du budget de l’Etat.

Certes, des satisfactions existent, notamment sur le plan routier. Nouakchott et Nouadhibou ont été dotés d’importants réseaux routiers urbains. Plusieurs routes ont également permis de désenclaver des régions entières, voire des départements, sur l’ensemble du territoire national, dont les plus importants restent l’axe Atar-Zouerate ou encore Atar-Tijikja.

Mais les deux axes les plus vitaux du pays continuent de souffrir de négligence, notamment la route de l’Espoir qui relie Nouakchott à Néma, sur 1200 kilomètres et qui traverse cinq grandes régions du pays, et l’axe Nouakchott-Rosso, point névralgique entre le Maghreb et l’Afrique Noire.

Satisfecit aussi sur le plan de l’hydraulique, de l’électrification, de la sécurité, de l’armée et sur le plan diplomatique où des avancées notoires ont été avancées, même si les marchés de passation des marchés liés à l’exécution des projets sont fortement décriés, avec des accusations de corruption et de gabegie à grande échelle.

Le tourisme, principale industrie des régions du Nord n’a pas repris, malgré les avancées sur le plan sécuritaire. Une bonne partie du pays reste encore dans la ligne rouge du Quai d’Orsay.

L’artisanat se meurt doucement, en l’absence de tout soutien du gouvernement. Les artisans sont obligés de se prendre en charge pour participer aux foires internationales et leur production ne bénéficie d’aucune politique promotionnelle de la part de l’Etat.

La pêche est également en crise et la Smcpp a perdu tout monopole sur les prix des produits. Victime d’un excès de protectionnisme, les eaux mauritaniennes ont été interdites aux pêcheurs sénégalais alors que les nationaux ne maîtrisent pas encore la mer.

Les accords avec l’Union européenne, très restrictifs selon certains avis, ont poussé les Européens à récupérer d’une main ce qu’ils ont laissé de l’autre. Ils se sont rabattus sur l’aide publique au développement qu’ils gèrent désormais en exclusivité, à travers l’assistance technique internationale.

Cheikh Aidara


Genève : la Mauritanie épinglée par le Rapport de Philip Aston

Le gouvernement mauritanien a été épinglé à Genève par Philip Aston,  Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. C’était au cours de son intervention, le 7 juin 2017 devant la 35ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Samory Beye lors de son intervention à Genève (Crédit photo : AHME)

Accablant pour la Mauritanie fut le Rapport de Philip Aston, Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, suite à la visite qu’il a effectuée en Mauritanie du 2 au 11 mai 2016. Le rapport, présenté le 7 juin dernier devant la 35ème session du Conseil des droits de l’homme à Genève, souligne que les trois quart de la population mauritanienne vivent au-dessous du seuil de pauvreté, tout en mettant en relief l’exclusion des Haratines et des négro-mauritaniens des centres de décision politique et économique du pays. «Les Haratines et les négro-africains sont pratiquement exclus de toutes les fonctions réelles de pouvoir, ainsi que de nombreux pans de la vie économique et sociale, ce qui les condamne de fait à la pauvreté » souligne le rapport. Le document soulève d’autres difficultés qui entravent la lutte contre la pauvreté. Il souligne que «les droits économiques et sociaux ne sont pas suffisamment reconnus », mettant en exergue l’absence de données fiables correctement ventilées et le rétrécissement de l’espace dont jouit la société civile.

Ce rapport, largement commenté par plusieurs orateurs, a remporté l’adhésion de la majorité des membres du Conseil. La séance a été très houleuse, notamment de la part de la délégation mauritanienne, dont certains éléments s’en seraient donnés à des violences verbales pour fustiger le rapport de Philip Aston mais aussi à des actes physiques contre les représentants d’organisations mauritaniennes qui ont approuvé son travail.

Le commissaire mauritanien aux droits de l’Homme et à l’Action Humanitaire, Cheikh Tourade Ould Abdel Maleck ira jusqu’à qualifier de mensonger le document produit par le Rapporteur spécial. C’était au cours d’un panel qu’il a animé le 8 juin 2017, en présence du Directeur général de l’Agence Tadamoun, des conseillers du Premier ministre et des organisations de la société civile acquises à la cause du gouvernement.

En face d’elle, la délégation officielle avait dans son collimateur l’antiesclavagiste Boubacar Messaoud de SOS Esclaves, Salimata Lam du Forum national des droits de l’homme (Fonadh), le syndicaliste Samory Beye, Secrétaire général de la Confédération Libre des Travailleurs de Mauritanie (CLTM), mais aussi les activistes de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) à l’image de Abidine Merzough ou ceux de l’Association des Haratines de Mauritanie à l’Extérieur (AHME) comme Dicko Hanoune.

Dans une interview qu’il a accordée à Dicko Hanoune, Samory Beye a soutenu que son groupe a réussi à remporter deux victoires à Genève. D’abord, il est parvenu à trainer la Mauritanie devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour interpellation, ce que la délégation dépêchée à Genève avait cherché à éviter à tout prix. La deuxième victoire selon lui, c’est l’acceptation de son intervention devant les membres du Conseil, alors qu’il n’était pas sur la liste des intervenants.

Cheikh Aïdara