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Plan de Réponse Pastoral en Mauritanie, un faux départ dans la Mise en Œuvre

Un Milliard Cent Sept Millions Deux Cent Trente Deux Mille Deux Cent Quarante MRO (1.107.232.240), plus de 11 Milliards de l’ancienne monnaie (plus de 3 millions USD) ! Tel est le montant global du Plan de Riposte que l’Etat mauritanien a mis en place pour répondre aux besoins du monde rural et pastoral. Vingt pour cent (20%) de ce plan, soit 222.000.000 MRU (plus de 2 Milliards MRO) sont destinés à la Mise en Œuvre de ce programme, alors que 75% (834.513.240 MRU) est destiné à l’Aliment de Bétail et le reste, environ 5% est destiné aux deux autres volets, l’Hydraulique pastoral et la Santé Animale. Seulement, les Wilayas n’ont encore reçu la moindre infime partie de l’enveloppe destinée à la Mise en Œuvre, alors qu’ils en ont la charge au niveau local. Où est passé l’argent de la mise en œuvre du Plan de Riposte Pastoral, jalousement gardé jusque-là au niveau central ?

Santé Animale, campagne de vaccination (Crédit Aidara)

Le Président mauritanien, Mohamed Cheikh El GHAZOUANI, a lancé, le13 avril 2020 à Nouakchott, un vaste Programme Pastoral d’Urgence visant à venir en assistance aux pasteurs durant la période de soudure. Ce programme comprend quatre composantes :

A)Aliment de bétail
B)Hydraulique pastorale
C) Santé animale
D) Mise en œuvre.

Cette volonté politique a été matérialisée par un important  financement à hauteur de 1 107 232 240 MRU qui se répartit selon les composantes comme suit :

Composantes Montants Pourcentage %
Aliment de Bétail 834 513 240 MRU 75%
Hydraulique pastorale 30 000 000 MRU 2,70%
Santé animale 20 719 000 MRU 1, 87%
Mise en Œuvre 2.22 000 000 MRU                20%

Malgré la volonté politique et les moyens colossaux, la mise en œuvre du Programme pose de sérieux problèmes jamais rencontrés auparavant.

Gestion de la composante Aliment de Bétail

D’importantes quantités d’Aliment de Bétail ont été disponibilisées au niveau des points pastoraux, des sièges communaux, départementaux et régionaux. Il s’agit en tout de 80.000 tonnes dont 50.000 tonnes de blé tendre et 30.000 tonnes d’aliments composés (Rakele).

Le blé, qui contient une teneur de 11% en protéine, a été acquis par entente directe avec le fournisseur sur le marché international ayant accordé la meilleure cotation, 274 USD dollars la tonne, rendue magasins à Nouakchott en sac de 50 Kg portant une étiquette spéciale.

Pour la composante Rakele, les fournisseurs locaux ont été saisis à l’effet de fournir des offres pour l’acquisition de 30.000 tonnes. La demande de cotation avait fixé un délai de réponse au 12 mars 2020. Mais, le Comité Interministériel chargé du programme avait jugé nécessaire de réduire le délai afin de caler les premières livraisons de ce produit avec celles du blé prévue à partir du 20 mars 2020. Sur ce, des négociations avaient été rapidement prises avec les fabricants en question sur ces modalités.

Deux options ont été retenues pour la mise à disposition de l’Aliment de bétail aux éleveurs.
Une couverture spatiale réduite qui consiste à disponibiliser des produits au niveau des chefs-lieux des Moughataas et trois arrondissements avec un coût de 1.900 MRU la tonne.

Une couverture spatiale élargie, qui consiste à disponibiliser le produit au niveau de toutes les communes en plus de vingt (20) points de concentration de cheptel pour un coût de 2.775 MRU la tonne.

Toutefois, il est amer de constater qu’en dépit des appels répétés des pouvoirs publics et des gouvernants, la gestion publique de ce volet demeure plus  opaque que jamais auparavant. Les organisations représentatives des éleveurs ont été empêchées de participer au ciblage des bénéficiaires. Aucun rôle n’a été défini  pour la société civile dans ce Plan. Pourtant, la Communication en Conseil des Ministres relatives au Programme Pastoral Spécial 2020 dan sa page 2 souligne que «les autorités administratives et communales ainsi que les organisations professionnelles du secteur de l’élevage seront impliqués dans la mise en œuvre du programme». Cette association des professionnelles de l’élevage n’a pas eu lieu.

D’autre part, les éleveurs se plaignent de la spéculation qui entoure la vente des aliments de bétail. Ils affirment que ces aliments sont vendus à des intermédiaires et non aux récipiendaires, contrairement à l’objectif du Plan qui stipule que «l’objectif de ce programme est d’assister les éleveurs pendant la période de soudure et ce, à travers la disponibilisation d’un stock suffisant d’aliments de bétails de qualité cédés à des prix abordables permettant d’exclure toute spéculation».

En effet, selon les éleveurs, les commerçants paient les produits et font changer l’emballage avant de les reverser sur le marché. Pire encore, aucun poste de lavage des mains n’a été installé sur les lieux de vente et les mesures de distanciation n’ont été guère respectées en raison de l’affluence et de l’entassement des populations.  Ce qui constitue une grave violation des consignes sanitaires et des risques potentiels encourus de contagion au COVID-19.

L’Hydraulique pastorale et la Santé animale

En ce qui concerne les composantes Hydraulique Pastorale, Santé Animale et Mise en Œuvre, elles sont toujours confinées à Nouakchott, alors qu’on est à la veille des saisons pluvieuses, avec une forte probabilité de porter atteinte à leur mise en œuvre.

Pour ce qui est de l’hydraulique pastorale, vingt-deux (22) points pastoraux pourvus de pâturage ont été identifiés au niveau des différentes zones pastorales des Wilayas du Hodh Echarghi, Hodh El Gharbi, Assaba, Brakna, Guidimagha, Adrar et Tagant. Exit le Gorgol et le Trarza pour des raisons non éludées.

Même pour le choix des entreprises qui devront se charger de la réalisation de ces points pastoraux, le Comité Interministériel en est encore apparemment au stade des propositions. Pour le moment, l’idée serait de sélectionner ces entreprises par voie d’entente directe sans appel d’offres. Ce qui pose un autre problème d’absence de transparence.

En ce qui concerne la Santé animale, l’intervention vise à assurer un soutien au cheptel à travers la distribution des polyvitaminés, antiparasitaires, sels minéraux et autres médicaments nécessaires pour les animaux durant cette période de soudure.

A noter que la mise en œuvre du volet Hydraulique pastoral et le volet Santé animale est assurée par le Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement et le Ministère du Développement Rural.

La Mise en Œuvre

Avec un budget de plus de 2 milliards MRO dans le présent plan de riposte, le volet Mise en Œuvre, se taille la part du lion. Pour le moment, aucune ouguiya n’a été versée aux Walis pour la mise en œuvre régionale du plan, alors que des instructions ont été données aux autorités administratives de superviser la mise en place des volets du programme, notamment la vente et la distribution de l’Aliment de bétail au niveau de leur région, mais sans aucun budget d’accompagnement. A moins, que ces autorités déconcentrées ne soient en rien concernées par la Mise en Œuvre du programme spécial.

Pourtant, ce plan de Mise en Œuvre comprend le transport, la manutention, la gestion des stocks des produits et les opérations de vente confiés au Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA).

Les Wilayas encore OUT

Les règles de bonne gestion et de transparence exigent que chaque Wilaya puisse savoir le quota qui lui est attribué dans  cet important Programme et dans toutes ses composantes, ce qui malheureusement n’est pas le cas.

Comment responsabiliser les autorités pour qu’elles puissent suivre et accompagner ce Programme si au préalable elles n’ont pas été informées, ni associées au processus de sa mise en œuvre ?

A titre illustratif au niveau de chaque Wilaya, on doit communiquer  officiellement aux autorités qui sont en relation directe avec les bénéficiaires   les montants affectés par composante ce qui aurait permis une gestion fluide, efficace et transparente du Programme. Les autorités ont besoin de moyens pour une bonne exécution du Programme. Ce qui ne semble pas être le cas et risque de peser lourdement sur la fonctionnalité du Programme.

Il y a lieu de rappeler que les quatre départements(Ministères du Développement Rural, de l’Hydraulique, des Finances et le Commissariat à la Sécurité Alimentaire) en charge de ce Programme sont représentés par les Autorités régionales et non des missionnaires, délégués régionaux ou autres consultants….

La répartition des quotas  relève d’abord de la responsabilité de l’État et  pour la remplir, le dispositif du Programme devrait, planifier, réglementer, assurer le financement, la budgétisation et le suivi de ses  différentes composantes et fournir des informations à leur sujet.

Cela suppose de mettre en place un cadre institutionnel et légal adapté au contexte qui définit clairement la mise en œuvre du Programme. Cela permettrait aux bénéficiaires d’exprimer leur opinion et d’exercer ainsi  une influence sur le déroulement des activités des composantes par voie de réclamations ou par participation active à la mise en œuvre du programme. Une telle démarche aurait contribué non seulement à son appropriation, mais également à servir plus dignement les populations.

Tout ce processus mené dans les normes d’une gestion transparente aurait conduit vers la mise en place d’une  coordination qui définit de façon  claire les rôles des différentes parties prenantes du Programme,  avec comme finalité  de promouvoir et de garantir la coopération non seulement entre les services de l’administration, aussi bien au niveau central, régional que local, mais aussi, entre les différents secteurs et  la société civile pour une meilleure redevabilité.

Cheikh Aïdara


DÉCLARATION ALLIANCE SC SUN MAURITANIE : La nutrition est passée sous silence dans le Plan National Multisectoriel de Riposte au COVID-19

La Mauritanie vient d’adopter son Plan National Multisectoriel de Riposte au  COVID-19 et qui repose sur trois piliers : a) la réponse sanitaire et sécuritaire à la pandémie ; b) la réponse économique et sociale immédiate ; c) la relance de l’économie. Le coût de ce plan de riposte au Covid – 19 s’élève à 24 291 439 950 MRU, soit 643 953 USD.

Nous constatons malheureusement que la nutrition est passée sous silence dans ce plan.

Or, le cycle de la malnutrition aiguë est persistant dans notre pays avec des pics en période de soudure. La sécheresse et la pression accrue exercée sur des ressources limitées contribuent à la détérioration de la situation nutritionnelle des enfants. Au cours des deux dernières années, la Mauritanie a dépassé le seuil de malnutrition aiguë sévère (MAS) fixé par l’Organisation mondiale de la Santé (MAS>2%). En 2019, la prévalence de la malnutrition chronique, qui se manifeste par un retard de croissance, est de 19% au niveau national. De plus, le taux de MAS qui menace la survie et le développement de l’enfant est de 1,8%, très proche du seuil critique (MAS>2%) ; 21 des 56 Moughataas sont dans une situation nutritionnelle critique (MAG >15% et/ou MAS > 2%) selon l’enquête SMART d’août 2019.

De plus le COVID 19 est venu aggraver une situation nutritionnelle et alimentaire déjà critique par les mesures énumérées dans le plan de réponse à savoir, le confinement, fermeture de marchés et des frontières, couvre-feu… Entrainant des pertes de revenus, des difficultés d’accès à l’alimentation et affectant l’offre de service sanitaires pour la nutrition. Même non infectieuse,  la malnutrition cause plus de décès que le COVID 19 au sein des couches les plus vulnérables enfants et femmes.

La Mauritanie a ratifié la Convention relative aux Droits de l’Enfant de 1989, reconnaissant ainsi le droit qu’a tout enfant de jouir du meilleur état de santé possible, et donc son droit à une bonne nutrition avec ses trois composantes vitales: aliments, santé et soins.

Notre Pays  a également adhéré très tôt au mouvement mondial SUN pour  créer un environnement social, économique et politique propice, permettant aux enfants de réaliser leur plein épanouissement. De même,  la Mauritanie a désigné un Point Focal qui agit comme une force motrice essentielle pour le mouvement national et coordonne toutes les activités de nutrition au niveau national.

Rappelons que le plaidoyer de haut niveau porté par Mme Gerda VERBURG, Sous-Secrétaire Générale des Nations Unies et Coordinatrice du Mouvement SUN, lors de sa visite en Mauritanie en mars 2020 sur invitation du Gouvernement avait pour objectif principal de « rassembler toutes les parties prenantes autour de la nutrition, sous l’égide du Point Focal du Gouvernement ». Lors de cette visite, son Excellence, le Président de la République Monsieur Mohamed OULD CHEIKH EL GHAZOUANI, Monsieur le Premier Ministre et les membres du Gouvernement qu’elle a rencontrés, ont exprimé leur engagement politique et leur volonté d’accorder la priorité qu’il faut à la Nutrition.

Nous Alliance SC SUN Mauritanie, recommandons :

  • La traduction en actes des engagements de haut niveau pris lors de la visite de la Coordinatrice du mouvement SUN ;
  • La continuité des services de prise en charge de la malnutrition du jeune enfantdoit être assurée et la réponse au COVID 19 ne doit occulter son intérêt vital ;
  • La prise en compte de la nutrition dans le Plan National Multisectorielde Riposteau  COVID-19 ;
  • L’intégration de la plateforme multisectorielle SUN dans toutes les instances de coordination des plans de réponses au COVID 19 pour une meilleure prise en compte de la nutrition ;
  • L’identification et la priorisation de l’information dont nous avons besoin et celle qui fait défaut pour savoir comment adapter les services de prise en charge de la malnutrition aigüe dans le contexte de COVID 19 ;
  • La promotion de normes d’hygiène strictes pour les mères et toutes les personnes prenant soin/étant en contact avec les nourrissons de moins de six mois et/ou étant en contact avec des dispositifs d’alimentation, tout en recommandant activement le contact peau à peau et l’allaitement pour les mères.


Des cas importés aux cas communautaires : la Mauritanie face à la spirale du Covid-19

A la date du 18 avril 2020, la Mauritanie brandissait un poing de victoire. Zéro cas de Covid-19. C’était le bilan triomphaliste du jour, bien que les services de santé continuaient à appeler à la vigilance. Car, l’état de grâce n’allait pas peut-être perdurer. En effet, il n’a pas perduré, car en l’espace de vingt-quatre heures, entre la nuit du 12 mai et celle du 13 mai 2020, le pays enregistrait coup sur coup 7 cas de Covid-19… Un record jamais enregistré. Et la peur commence à s’installer, car maintenant le virus circule dangereusement dans la communauté. Le scénario catastrophe.

Les cas communautaires, le scénario redouté (Crédit Aidara)

Aujourd’hui, la Mauritanie comptabilise 17 cas de Covid-19, dont deux décès, huit guéris et sept positifs. Le premier cas, un expatrié travaillant à Taziast a été détecté le 13 mars 2020, un cas importé. Un deuxième cas sera signalé le 18 mars, une domestique étrangère de retour en Mauritanie. Encore un cas importé. Le 26 mars, le pays enregistre son troisième cas. Un Mauritanien de 74 ans rentré au pays à bord du vol d’Air France du 15 mars et qui allait contaminer son épouse. Toujours, cas importé.

Le 4ème cas est celui d’une femme, franco-mauritanienne de 48 ans, revenue de France à bord de ce même vol, Air France du 15 mars 2020, et dont l’atteinte au Covid-19 ne sera diagnostiquée qu’après son décès alors qu’elle était en confinement. Un cas encore importé. Le 5ème cas, un Mauritanien de Kaédi qui avait traversé les frontières en provenance du Sénégal et diagnostiqué positif le 28 mars.

Le 18 avril 2020, tous les suspects sont déclarés guéris. La Mauritanie ne comptait plus officiellement à cette date aucun cas de Covid-19. Petit à petit, le nombre de personnes en confinement se rétrécissait. A la date du 11 mai 2020, la Mauritanie se réjouissait n’avoir plus qu’une soixantaine de personnes en confinement sur l’ensemble du territoire…

Le monde entier célébrait la performance mauritanienne, le pays faisant la UNE des journaux du monde dans le combat presque remporté contre le Covid-19, alors que dans les pays voisins, la pandémie faisait des ravages. Mais, patatras !

Le 12 mai 2020, la Mauritanie signalait son sixième cas de Covid-19. Un homme d’affaires de 63 ans, gérant d’une épicerie réputée à Nouakchott. Hélas, son cas ne sera diagnostiqué qu’après son décès. Le deuxième enregistré dans le pays. Les autorités procédèrent à la fermeture du centre commercial, placèrent les employés et la famille du défunt en confinement.

Le 13 mai, lors des tests effectués sur les 31 personnes en confinement, quatre membres de la famille sont testés positifs. Durant la même soirée, deux autres cas sont détectés, à Arafat puis à Teyarett, deux départements du District de Nouakchott, portant à 7 le nombre de cas détectés en moins de 24 heures. Seulement cette fois, l’inquiétude semble légitime, car il s’agit de cas par contamination communautaire. Le scénario catastrophe que tout le monde redoutait. Avec un virus qui circule désormais entre les résidents de Nouakchott, la peur d’une spirale incontrôlée de la pandémie devient latente.

Bien que le Président Mohamed Ghazwani, dans un tweet publié dans la soirée cherchait à apaiser l’opinion, en déclarant que «la situation est sous contrôle », il est difficile pour les services de la santé de cerner toutes les personnes avec lesquelles ces 7 nouveaux cas étaient en contact.

Les habitants de Nouakchott qui se réjouissaient depuis quelques jours de l’allègement des mesures de confinement, avec l’ouverture des marchés, le recul de l’heure du couvre-feu, et qui s’attendaient à l’ouverture des écoles, la reprise de la circulation entre les villes, pourraient bien déchanter. Le couperet est imminent. Un retour à des mesures plus draconiennes est attendu, pour circonscrire un mal qui commence à se diffuser silencieusement et sournoisement dans le tissu social.

Cheikh Aïdara


Violences basées sur le genre : les barbus montent de nouveau au créneau

Le Conseil des ministres, au cours d’une réunion extraordinaire, mercredi 6 mai 2020, a approuvé le projet de loi sur les violences basées sur le genre (VBG), loi qu’il compte soumettre aux députés, après deux tentatives infructueuses en 2016 et en 2018. Cette fois-ci, l’éxécutif a pudiquement rebaptisé cette loi, « Loi sur les violences faites aux femmes et aux filles », évitant soigneusement le terme « genre » qui avait fait lever les boucliers des radicaux, et qui explique en partie les différents retraits du texte pour amendement. Même avec ce subterfuge, les infatigables barbus radicaux, hostiles à cette loi montent de nouveau au créneau.

Cela fait des années que les organisations de la société civile, appuyées par un pool de partenaires au développement, font des pieds et des mains, pour l’adoption d’une loi contre les violences basées sur le genre (VBG). Avec cette loi sur les VBG, la Mauritanie est ainsi assise, entre d’une part, l’enclume d’une communauté internationale, notamment le Conseil des droits de l’Home des Nations Unies et la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples, qui à chacune de leur session réitère leur exigence de voir cette loi adoptée,  et d’autre part, le marteau d’un clergé local dont une importante partie est hostile à toute loi qui donnerait des droits supplémentaires à la femme, en particulier en matière de ce qui est connu dans le corpus juridique islamique, comme la « Qawama »,  c’est-à-dire, ce tutorat de l’home, qu’il soit époux ou proche parent (père, frère, oncle, etc.) sur la femme et que le projet de loi cherche à bannir.

Les étapes du nouveau projet de loi

La loi sur les VBG qui a été retirée à deux reprises par le gouvernement, sur la base des observations émises en 2016 puis en 2018 par les commissions spécialisées de l’Assemblée Nationale, se présente dans sa version actuelle sous de nouveaux habits. Le gouvernement a bien pris le soin d’en changer l’intitulé. De « Loi sur les violences basées sur le genre », elle est passée à « Loi contre les violences faites aux femmes et aux filles », car le terme «genre » utilisé dans les deux premières versions est l’une des causes de son rejet par la majorité conservatrice des députés.  Ainsi, le terme « genre » a été banni dans tous les articles du nouveau projet de texte.

Le projet de loi actuel qui doit être soumis incessamment à l’Assemblée Nationale est composé de cinq chapitres, comme les textes précédents, mais au lieu de 74 articles dans la version 2018, le nouveau texte ne comporte que 55 articles. L’article 1er sur l’objectif de la loi stipule qu’elle « a pour objet de prévenir les violences contre les femmes et les filles, d’établir les procédures légales susceptibles de protéger les victimes, de réparer leur préjudice et de réprimer les auteurs ».

Pour assurer l’adoption du nouveau projet de loi par les députés de l’Assemblée Nationale, le gouvernement avait mis sur pied une Commission de contrôle tripartite comprenant les ministres concernés (Affaires Sociales, Justice, Commissariat aux Droits de l’Homme). Cette commission s’est attelée à toiletter le texte initial pour le débarrasser de tous les articles objets de controverses de la part des Ulémas, des Imams et des députés. Cette commission s’est réunie à plusieurs reprises avant d’arriver à une version finale provisoire.

Il a été rajouté au nouveau texte une petite introduction sur les motifs de la loi, avec des arguments tirés de certains versets et hadiths. Une fois le brouillon du texte achevé, il a été transféré au Haut Conseil de la Fatwa, sorte de Haut Conseil Islamique chargé de valider tous les textes de loi avant leur approbation par l’Assemblée Nationale. Ce conseil a aussi ciselé plusieurs articles, ce qui explique que le texte qui était composé de 74 articles, s’est retrouvé avec 55 articles.

Les changements opérés

Dans le nouveau texte, plusieurs articles ont été modifiés et des concepts redéfinis, surtout ceux ayant fait l’objet de controverses et de rejets, en 2016 puis en 2018. L’un des articles qui a été supprimé porte sur les sanctions de 6 mois à 1 an contre le mari qui impose à son épouse un certain comportement ou attitude.

Le nouveau texte donne des définitions dans son article 2. Ainsi, la « victime », c’est « la femme ou la fille agressée », le « viol », « tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, en dehors du mariage,  commis sur une femme ou une fille, par violence, contrainte, menace ou surprise ». Donc le viol conjugal n’est pas interdit par le nouveau projet de loi. Le harcèlement sexuel est lui défini comme « le fait d’imposer à une femme ou à une fille, des propos ou agissements répétés, ou attouchement, à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Ici, le viol sur les garçons semble n’avoir pas été pris en compte par le texte de loi.

Le viol incestueux est défini quant à lui, comme toute relation sexuelle forcée sur une femme ou une fille de la part d’un homme qui ne peut juridiquement la marier (père, frère, oncle, neveu, etc.)

Le texte qui est aujourd’hui disponible considère cependant que les violences contre les femmes et les filles constituent un crime imprescriptible.

Un texte plus clément pour les auteurs

Le nouveau projet de loi sur les VBG est considéré comme plus clément pour les auteurs de violences contre la femme et la fille en termes de condamnations par rapport aux versions de 2016 et de 2018. Pratiquement, la plupart des condamnations ne vont pas au-delà d’un an ou deux.

Parmi les actes punis comme crimes, le viol et le viol incestueux (10 à 20 ans), la privation d’héritage (1 à 2 ans), coups et blessures (peines prévues dans le Code pénal art. 285 à 287 avec possibilité pour la femme de demander le divorce), les mutilations génitales féminines (6 mois à 1 an), la séquestration (2 à 6 mois), le harcèlement sexuel (2 mois à 1 an), le mariage des enfants (6 mois à 1 an), le chantage (3 mois à 1 an), les insultes (11 jours à 1 mois), la non-dénonciation (1 à 3 mois), imposition d’un comportement impudique (6 mois à 1 an), privation d’exercice de droits (1 à 2 ans), le refus d’enregistrement à l’Etat civil de l’acte de mariage ou actes de naissances des enfants (6 mois à 1 an).

Le projet de loi retient comme preuve du viol à l’encontre des femmes et des filles l’analyse ADN.

Les amères expériences de 2016 et 2018

Le premier projet de loi sur les VBG de 2016 avait soulevé à son époque un gigantesque tollé aussi bien dans les deux hémicycles du Parlement mauritanien (Sénat et Assemblée nationale) qu’au sein de l’opinion publique. Ce texte n’avait d’ailleurs pas dépassé le seuil de la Commission parlementaire chargée de son étude et le gouvernement a été sommé de relire son papier.

En 2018, rebelote, le gouvernement ayant révisé sa copie, le nouveau texte allait connaître le même sort de la part des parlementaires et le gouvernement fut obligé pour la deuxième fois de retirer son texte. Il est à rappeler que ce texte de 2018 devait être présenté devant les parlementaires par la Ministre des Affaires Sociales de l’époque, Fatimetou Habib, mais tellement le contexte était effrayant qu’elle n’eut pas le courage de défendre son texte, poussant l’actuel ministre de la Justice, Dr. Haimoud Ramadhan, alors simple conseiller du Ministre de la Justice à l’époque, de monter aux charbons pour présenter le texte devant le Parlement.

Voilà que le 6 mai 2020, le gouvernement mauritanien est revenu à la charge en adoptant un troisième document portant loi contre les violences faites aux femmes et aux filles, après avoir changé son intitulé, réduit le nombre de ses articles et soumis le texte au Haut Conseil de la Fatwa. Ce nouveau document aura-t-il plus de chance de passer à travers la censure des députés de l’Assemblée Nationale, ou est-ce qu’il va connaître la même infortune que les textes qui l’ont précédé ? Les semaines à venir sont pleines d’incertitude.

Cheikh Aïdara