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Biramania ou les soubresauts d’une pré-campagne électorale vitale pour le système politique actuel et le retour de Aziz

Birame Dah Abeid. Ce personnage emblématique, Prix des Nations Unies pour les droits de l’Homme, deux fois dauphin aux présidentielles de 2014 et de 2019, élu député à l’Assemblée Nationale en 2018 à partir d’une cellule d’emprisonnement, est sur la sellette des critiques depuis la dernière ligne droite annonciatrice des élections générales de 2023 et la présidentielle de 2024. A en croire ses partisans, il est l’homme à abattre, puisqu’il constituerait, selon son entourage, une véritable menace pour le système politico-tribalo-militaire qui tient les rênes du pays depuis près de cinquante ans. Et s’il y avait un deal pour le retour de Aziz en 2024 ?

Birame Dah Abeid

Sur toutes les plateformes des réseaux sociaux, le débat national semble se concentrer sur un seul homme, celui qui tient depuis des années le haut du pavé de l’actualité politique et sociale. Il s’appelle Birame Dah Abeid et sa percée politique toujours ascendante, selon ses partisans, constituerait une véritable menace à la pérennité du système militaire de 1978, système qui s’est toujours déguisé sous des oripeaux civils depuis la Constitution de 1991, mis à part la courte parenthèse du défunt Sidi Ould Cheikh Abdallahi (2006-2008) dont le bref passage au palais brun serait aussi intimement lié aux militaires.

La virulence des attaques personnelles, presqu’au bout de l’insulte, s’accélère au fur et à mesure que la fièvre pré-électorale enflamme les rangs des partisans du camp présidentiel, l’œil rivé sur les joutes en vue en 2023 et en 2024. Et les coups viennent de partout, même de ceux qui semblent partager avec lui le même combat au sein de l’opposition. S’il était une statue, soutient ses partisans, il serait couvert de vomissure

La guéguerre entre ses partisans et ses détracteurs anime les débats et déchaîne les passions. Birame Dah Abeid, c’est le politique qui fait actuellement le buzz et ses sorties médiatiques via les réseaux sociaux, ainsi que ses déplacements populaires à travers le pays, constituent le nerf névralgique d’une opposition qualifiée de « debout » par ses militants, face à la classique opposition rendue aphone, selon les mêmes sources, depuis l’accession au pouvoir en 2019 de l’actuel président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani. D’ailleurs, ils soutiennent que ce dernier est tout simplement l’héritier d’une succession de palais, ayant profité d’un fauteuil présidentiel qui lui fut offert sur un plateau d’argent par Mohamed Ould Abdel Aziz, l’ami de quarante ans.

L’ami Ghazouani et le démenti d’une promesse

Depuis la dernière présidentielle de 2019 dont le dernier acte a été marqué par le déploiement de l’armée, de ses chars de combat et de ses unités spéciales dans les quartiers de Nouakchott, la jeunesse des banlieues n’a cessé d’en vouloir à Birame Dah Abeid. Le deal que le leader abolitionniste et candidat malheureux de ces élections, aurait noué avec le nouveau président élu et son régime, a été jugé comme une trahison par des milliers de jeunes qui semblaient n’attendre qu’un signal de sa part pour aller au charbon. Par la suite, ses sorties « élogieuses » envers le régime en place, allant jusqu’à déclarer qu’il a trouvé son ami, en la personne de Mohamed Cheikh Ghazouani, selon une certaine opinion, aurait eu pour effet de faire baisser sa côte de popularité auprès d’une jeunesse assoiffée de changement et qui voyait en lui le leader qui allait les conduire vers le sacrifice suprême pour la refondation de la Mauritanie. Cette jeunesse désabusée se trouvait ainsi conforter dans chaque sortie où Birame Dah Abeid « chantait les louanges de l’homme fort du pays et des ministres de son gouvernement », notent en substance ses détracteurs.

Ghazouani-Birame

En effet selon cette opinion, un bon mariage de raison s’était tissé entre le régime de Ghazouani et Birame qui s’accrochait à l’idée qu’il allait enfin recevoir la reconnaissance de son organisation droit de l’hommiste, l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA) et son bras droit politique, le parti pour la Réforme et l’Action Globale (RAG).

Cette connivence, selon les détracteurs de Birame, aurait été marquée par d’incessantes audiences que lui accorda Ould Ghazouani au Palais présidentiel, alors que ses rendez-vous avec son prédécesseur, Mohamed Abdel Aziz, s’est résumé pendant une décennie en une série de confrontations dans les ruelles enfumées de gaz lacrymogènes à Nouakchott, et dans les salles d’audience des palais de justice.

Certes, Mohamed Cheikh Ghazouani respecta l’une de ses promesses, puisque le mouvement IRA sera reconnu et son récépissé délivré au cours d’une cérémonie solennelle présidée par le ministre commissaire aux droits de l’homme en janvier 2022. Une certaine opinion soutient en outre que Birame est parvenu même à faire recruter plusieurs jeunes de son mouvement dans divers organismes publics, comme l’Agence Taaazour, et eu même le plaisir de voir certains fonctionnaires de son directoire, promus à des postes supérieurs. Mais pour la deuxième promesse relative à la reconnaissance du parti RAG, elle restera en suspens.

Les Faucons du régime prennent la main

Mohamed Ahmed Mohamed Lemine

Le rapprochement entre Birame Dah Abeid et le président de la République, Mohamed Cheikh Ghazouani ne plut guère aux faucons du régime, d’après certaines analyses. Il s’agit principalement de Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, cousin, ami d’enfance, confident et surtout disciple de la famille Ghazouani, pointé du doigt par le courant IRA/RAG. Sur la page de l’Agence Mauritanienne d’Information (https://www.interieur.gov.mr/fr/node/26) la biographie du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation reste cependant tristement vide. Cet administrateur civil qui avait occupé ce même poste du temps du Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) sous feu le président Ely Mohamed Vall, avait alors disparu de la circulation en 2007. Dès sa prise de pouvoir, Ghazouani le rappelle et le nomme Directeur de cabinet à la Présidence de la République. D’ailleurs, les mauvaises langues disent que c’est le véritable détenteur du pouvoir et qu’aucun ministre du gouvernement n’ose aller contre sa volonté. En avril 2022, il prend les commandes du Ministère de l’Intérieur pour organiser les futures échéances électorales.

Ses détracteurs le qualifient d’autoritaire, imbu de sa personne et surtout foncièrement suprématiste et unilingue, un arabisant pur et dur qui mépriserait la langue française et ses locuteurs. Ses amis le décrivent comme un administrateur hors pair, un véritable renard politique.

Birame et ses militants considèrent cependant l’actuel ministre de l’Intérieur comme un ennemi juré du mouvement IRA et du parti RAG. Ils lui prêtent l’idée qu’un « descendant d’esclaves » ne doit pas croiser le fer avec un « chef spirituel ». Son objectif, selon eux, écarter Birame Dah Abeid des prochaines consultations électorales. 

Plusieurs faits confirmeraient ces propos, d’après leur analyse. Premier acte, l’incident d’Atar où la police arracha la banderole du parti RAG en plein meeting populaire de Birame. Deuxième acte, l’interruption du dialogue politique inclusif où le parti RAG et le parti des Forces Progressistes du Changement (FPC) étaient conviés. D’ailleurs, des rumeurs ont circulé sur la grogne de quelques leaders de l’opposition qui se seraient mal vu en présence de Oumar Ould Yali et de Samba Thiam, dont les partis ne seraient pas officiellement reconnus. Certains auraient même lié la présence des deux leaders au dialogue politique et le boycott des assises par l’emblématique leader harratine Messaoud Boulkheir. Troisième acte, l’arrestation et la déportation en fin septembre 2022 de cinq militants de IRA/RAG dont deux dames à Kiffa sur une plainte déposée par un homme tabassé au cours d’un meeting animé par Birame et au cours duquel il aurait copieusement insulté le leader au milieu de ses partisans. Devant le tribunal de Kiffa, l’homme retira sa plainte unilatéralement. Il aurait été manipulé par les barons locaux qui voulaient en découdre judiciairement avec Birame, selon la version des soutiens de ce dernier.

Concertations électorales entre le ministre de l’Intérieur et certains partis politiques

S’agissant du dialogue politique initié sous la houlette de l’ancien Secrétaire général à la Présidence de la République et actuel ministre de l’Agriculture, Yahya Waguev, des partis dits de l’opposition auraient décrié la rupture d’un dialogue politique qui se voulait inclusif sous sa conduite. Mais lorsque ce dialogue politique qui voulait remettre sur la table les grandes questions nationales, telles que l’esclavage, l’éducation et le Passif Humanitaire, entre autres, se mua sous la baguette magique de Mohamed Ahmed Mohamed Lemine en un banquet autour de la question électorale, les dissensions se turent, parce qu’entre autres, Birame et son clan ont été mis à l’écart, ainsi que le président Samba Thiam. Seul déserteur dans les rangs des partis politiques conviés, l’Alliance pour la Justice et la Démocratie-Mouvement pour la Rénovation (AJD/MR) d’Ibrahima Moctar Sarr selon qui de simples ententes électoralistes ne sauraient remplacer un véritable débat national.

Mais Birame et ses partisans estiment qu’ils n’ont pas seulement le ministre de l’Intérieur sur leur dos, ils accusent aussi le Premier Ministre, Mohamed Bilal Messaoud, de faire partie des faucons qui cherchent la mise à mort politique de Birame. Ce dernier verrait dans la montée populaire du leader abolitionniste, un réel danger pour la reconduite de Mohamed Cheikh Ghazouani pour un second mandat.

Sur le dos des faucons, les partisans de Birame citent la campagne de diabolisation dont il fait l’objet et où l’ennemi a jeté toutes ses forces et tous ses moyens, utilisant les manipulations vidéos pour déformer ses propos, payant des mercenaires de la plume pour l’attaquer sur toutes les plateformes et les médias, ressusciter ses vieilles recrues de la cinquième colonne, en l’occurrence les anciens transfuges d’IRA, et même des vieilleries politiques du troisième âge.

Mais tout cela, n’augure-t-il pas d’un retour de Aziz au pouvoir ?

Tout ce remue-ménage ne serait-il pas le prélude à un retour de Mohamed Abdel Aziz au pouvoir, sinon l’accomplissement d’un deal entre celui qui tenait à respecter sa promesse de ne pas briguer un 3ème mandat et son successeur déclaré ?

Ghazouani et Aziz

Une certaine analyse penche sur la non disponibilité de Mohamed Ould Ghazouani à briguer un second mandat, malgré les apparences. Cette vision évoquerait un accord passé entre lui et Mohamed Abdel Aziz, si l’on sait que l’élection de Ghazouani en 2019 a été préparée, planifiée et organisée par ce dernier. Sinon, personne ne pouvait parier un sou sur un inconnu du sérail sans assise populaire et sans aucune expérience politique. Le deal serait « je te fais président en 2019, et en 2024, je reviens au pouvoir ». Ainsi, tout aurait été minutieusement préparé, le dossier de la décennie, lâcher un peu de lest à Birame, faire croire à une inimitié entre les deux hommes, les tracasseries administratives et judiciaires. Tout serait pure mascarade visant à installer une inimitié qui n’a jamais existé. Sinon, la brutale rupture entre deux hommes liés par quarante ans de pouvoir, le discours d’investiture de Ghazouani et ses louanges dithyrambiques à l’endroit de Aziz, le fait que Aziz lui ait préparé le fauteuil présidentiel en le désignant comme son dauphin…Et puis, brusquement une guerre fratricide sans raison. Tout cela aurait dû mettre la puce à l’oreille des observateurs les plus avertis.

Aujourd’hui, Mohamed Abdel Aziz jouit de toute sa liberté et ne court aucun risque d’être traîné devant les tribunaux. Il se repose à Paris, se promène entre les restaurants chics de la capitale française et se ballade entre deux examens médicaux. A l’approche des échéances électorales, il retournera tranquillement en Mauritanie et se présentera à la prochaine présidentielle. Il trouvera un terrain tout préparé, avec un bilan catastrophique de Ghazouani sous l’ère de qui les Mauritaniens se sont massivement appauvris et où les détournements des deniers publics et les injustices sociales se sont accumulées sans aucun bilan à défendre. D’ailleurs, de plus en plus de personnes n’hésitent plus à regretter son époque, pourtant l’un des pires épisodes de la Mauritanie contemporaine.

Entre les jeux yoyo du système à vase clos où des militaires à la retraite se passent le relais au-dessus des souffrances des Mauritaniens, les partisans de Birame soutiennent qu’une personne est désignée à la vindicte populaire, comme un os que l’on jetterait à la postérité pour les détourner du grand cirque qui se prépare. Pour eux, Birame est cet os sur lequel se jettent des meutes incultes et éborgnées.

Cheikh Aïdara


LES FEMMES NOMADES DE MAURITANIE : Des milliers de laissées pour compte dans l’accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la contraception

Que cela soit au niveau du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), dont pourtant la devise est « ne laisser personne derrière », ou au niveau du Ministère de la Santé, peu d’attention est accordée aux besoins particuliers des femmes nomades de Mauritanie et à leur accès aux services de santé sexuelle reproductive et à la planification familiale (SSR/PF).

Réveil au petit matin chez une famille nomade aux alentours de MBout – Crédit Aïdara

Centre de santé de Ghayra, des femmes déboulent des montagnes

Le centre de santé de Ghayra, relevant de la Wilaya de l’Assaba, accueille des dizaines de femmes nomades, déversant à dos de chameaux ou d’ânes les pentes abruptes de cette vaste région rocailleuse. Située à près de 400 kilomètres de Nouakchott, sur la route de l’Espoir, Ghayra est devenue une grosse bourgade et sa structure de santé est désormais trop petite pour une agglomération qui s’est développée d’une manière spectaculaire, sous la poussée de familles nomades à demi-sédentarisées. La population est estimée à plus de 6.000 habitants (RGPH 2013) et elle s’étend sur 132 kilomètres de long.

Tikbir, l’accoucheuse de Ghayra, l’amie des femmes nomades – Crédit Aidara

En effet, de plus en plus de nomades ont fait installer leurs familles près de leurs parcours de déplacements habituels entre le Tagant et l’Assaba, aux orées de la passe de Diouk et la cité de Kamour, en plus de Ghayra, Siassa et Achram, pour la scolarisation des enfants.

Le centre de santé de Ghayra est la seule structure dans un rayon de 30 kilomètres à offrir des services de santé sexuelle reproductive et contraceptive, et c’est aussi la plus proche des grands circuits de transhumance longeant les régions nord-est du pays. De plus en de plus de femmes nomades y suivent leurs consultations pré et post-natales et y accouchent.

Tikbir Mint El Voulany dite Diabira est la plus ancienne accoucheuse de Ghayra. Elle a la confiance des familles nomades. Entre Tikbir et ces dernières, le contact dure depuis près de 20 ans. « Elles viennent des hauteurs du Tagant et de l’Aftout pour divers services maternels et infantiles et elles demandent de plus en plus des méthodes contraceptives. Il faut dire que les séances de sensibilisation sur la santé sexuelle reproductive et contraceptive que nous menons depuis des années ont porté leurs fruits » affirme-t-elle. Elle regrette cependant l’absence de véritables campagnes de proximité adaptées à cette population. Elle soutient que beaucoup d’entre elles restent encore sous l’emprise des traditions et refusent tout contact avec les services de santé. « Ce qui laisse encore des risques importants, surtout chez les jeunes filles nomades qui continuent à accoucher sous les tentes, loin des spécialistes de la santé » déplore-t-elle.

Des femmes nomades sont parfois évacuées vers les structures de santé lorsqu’elles sont au dernier stade d’une grossesse compliquée, et certaines meurent en cours de route, en particulier durant les hivernages où les torrents provoquent des ilots d’enclavement.

Cela étant dit, la révolution des télécommunications, notamment les réseaux sociaux, mais aussi les campagnes de sensibilisation des services de l’Education du Ministère de la Santé, l’accompagnement et la volonté des partenaires tels que l’UNFPA d’assurer la disponibilité des produits contraceptifs au dernier kilomètre, sont en train d’opérer une véritable révolution des mentalités.

Près de 10.000 femmes nomades en dehors des circuits de santé

Le dernier véritable recensement nomade en Mauritanie remonte aux années 70. Certes un questionnaire a été conçu dans le recensement de 2000. Des contraintes liées à la localisation de ces populations en perpétuel déplacement, parfois hors des frontières du pays, ont été relevées. Les derniers chiffres parlent d’une population qui représente environ 2% de la population générale, soit près de 80.000 individus. Les femmes représentant 52% de la population mauritanienne, les femmes nomades seraient, par extrapolation, autour de 42.000, dont environ 30.000 en âge de procréer.

Une nouvelle journée pour cette famille nomade – Crédit Aidara

Cette réalité reste têtue, malgré les nombreux efforts déployés par l’Etat pour fixer les nomades dans des villes champignons comme Nbeikat Lehwach, ou Bourrat, et autres agglomérations créées ex-nihilo dans ces vastes régions de l’Est pour sédentariser une population toujours attachée à la tradition.

En effet, des dizaines de milliers de familles mauritaniennes restent encore tributaires de la vie nomade, avec plusieurs parcours, aux alentours des régions du Trarza, du Brakna, du Gorgol, du Guidimagha et des deux Hodhs, mais aussi dans les environs du Tagant, de l’Adrar, de l’Inchiri et du Tiris-Zemmour.  

La principale question qui se pose aujourd’hui est la suivante : « comment assurer l’accès aux soins, notamment en matière de santé reproductive, à une partie de la population rurale toujours nomade, même si elle est de moins en moins importante ? »

Une population qui se sédentarise de plus en plus

Cette population négligée et invisible des structures de santé continue de peser sur les forts taux de mortalité maternelle en Mauritanie (484/100.000 naissances vivantes selon l’EDMS 2020), un pays dont la prévalence contraceptive est l’une des plus faibles de la région du Sahel (14% – EDS 2020).

Tente nomade aux alentours de MBout – Crédit Aidara

Deux grands ensembles continuent de pratiquer le nomadisme en Mauritanie, les bouviers peulhs et les chameliers maures, chacun avec ses propres circuits traditionnels, mais qui se croisent de plus en plus fréquemment autour de points de convergences dans les régions du Sud, qui connaissent pendant la soudure (février-juin) des pointes en termes de concentration du bétail.

Même si le nombre de familles nomades s’est beaucoup rétréci, les hommes préférant laisser leurs familles dans les grandes villes, beaucoup continuent cependant à trimballer femmes et enfants dans leurs déplacements. Les femmes nomades, 5.000 à 6.000 environ, constituent le plus grand défi pour les services de santé, malgré l’adoption de politiques sanitaires visant à élargir au kilomètre près les offres de services.

Cependant, des études ont démontré que « les femmes résidant en zone rurale sont 46% à devoir parcourir plus de 30 kilomètres pour accéder à un centre de santé/PMI et 83% pour accéder à un hôpital ».

Les risquent augmentent considérablement pendant l’hivernage, beaucoup de villages, localités et zones pouvant être coupées des villes pendant de longues périodes. Ce qui accroît davantage le nombre d’accouchements à domicile et le nombre de décès maternels.

Sur le parcours Mbout-Gouraye

Aux alentours de la ville de Mbout dans le Gorgol, une famille de nomade s’est installée à une trentaine de kilomètres de la ville. Cette famille originaire de Kamour en Assaba suit un parcours saisonnier qui la mène des hauteurs de l’Aftout vers les rives du fleuve Sénégal. Elle fait une escale de quelques mois près de Mbout, avant d’atterrir durant la période de soudure aux alentours de Sélibaby, puis redescend vers la ville de Gouraye au bord du Sénégal, trainant plusieurs dizaines de chameaux et plus d’une centaine de têtes de caprins.

Jeune fille et ses trois enfants (aux alentours de MBout)- Crédit Aidara

Si Brahim a préféré laisser sa famille à Kamour, notamment sa femme et ses enfants pour cause de scolarité, son frère, Isselmou lui, a amené son épouse et ses trois petits avec lui.

« Le centre de santé de Mbout est juste à côté, en cas de bobo, cela ne nous prend que quelques minutes » lance Isselmou, interrogé par rapport à l’accès de sa femme et de ses enfants aux soins de santé. Quant à l’espacement des naissances, un rire fou pris les deux époux. « C’est Dieu qui assure la nourriture et la santé, et nous n’irons jamais à l’encontre de sa volonté. Les enfants sont un don précieux et nous en ferons tant qu’il en sera décidé ainsi » répond Isselmou.

Un fatalisme largement partagé par les nomades qui confondent contraception et limitation des naissances, formellement interdit par l’Islam, même aux yeux de certaines prestataires. D’où la nécessité d’une campagne de proximité qui viserait intensivement ces milliers de femmes encore maintenues hors des circuits de l’Etat.

Au Centre de santé, Haby Sow, la sage-femme estime recevoir une trentaine de patientes par jour. Elle a soulevé la difficulté de suivre les femmes nomades, car « elles se déplacent fréquemment à la recherche de meilleurs pâturage pour le bétail avec leurs maris ».

Des stratégies sans mise en œuvre et des projets en gestation

Au niveau du Ministère de la Santé, d’après Vatimetou Mint Moulaye, présidente de l’Association des Sages-femmes de Mauritanie et chef de division de la santé maternelle, infantile, néonatale et adolescent, la problématique des femmes nomades est bien prise en compte dans les stratégies communautaires qui prévoient la mise en place d’équipes composées d’agents communautaires chargés de sensibiliser les populations sur les bienfaits des accouchements assistés en milieu médical et le suivi des grossesses. A côté, une stratégie mobile a été également conçue.

La famille de Isselmou (près de MBout) – Crédit Aidara

Elle reconnaît cependant que « toutes ces stratégies sont déjà conçues, mais restent encore sans plan de mise en œuvre ». Elle a évoqué deux projets en cours, celui financé par la Banque Islamique de Développement (BID) qui était sur une région, celle du Hodh Gharbi, mais qui va être élargi, selon elle, sur cinq autres régions et qui cible le milieu communautaire, notamment les femmes nomades. Elle a aussi évoqué le Projet de l’Agence Française de Développement (AFD) basé à Kiffa et qui veut faire de l’Assaba, le point de convergence d’une politique de santé communautaire ciblant également les femmes nomades.

Interrogée sur la prise en compte des femmes nomades dans l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive et à la planification familiale, Mme Marième Bassoum, Conseillère sage-femme au bureau UNFPA à Nouakchott, semble comme piquée au vif. « Je suis en poste à l’UNFPA depuis 2016, nous avons mené plusieurs efforts pour faciliter l’accès aux SSR/ PF mais le besoin particulier de ces femmes nomades, même au niveau des grandes campagnes qui ont été menées dans ce cadre, n’a pas été malheureusement pris en compte ». Puis, elle reconnaît, « je trouve que c’est un volet très important auquel un intérêt particulier doit être porté pour que tous les besoins soient satisfaits ».

Et de rappeler un débat qui vient d’avoir lieu dans un atelier de priorisation en présence de toutes les agences des Nations Unies, de la partie nationale et de la société civile, lorsqu’un membre très actif de la société civile a posé le problème de l’accès des femmes et des enfants nomades aux soins de santé.

Avec la famille de Brahim et Isselmou au petit matin – Crédit Aidara

Hamada Bneijara, président de l’Association pour le Développement Intégré du Guidimagha (ADIG) et qui travaille depuis près de vingt ans sur cette région et sur celle de l’Assaba, appartenant lui-même à une famille traditionnellement nomade, est intransigeant. « La population nomade est la plus marginalisée en Mauritanie, ignorée des registres sociaux, des services de l’Agence Taazour, notamment ses filets sociaux et ses cash-transfert, ignorée des services de l’état-civil, de l’éducation nationale et de la santé. Bref, une population complètement ignorée et dont le mode de vie pastoral participe pourtant à hauteur de 19% du PIB ! » s’insurge-t-il.

Selon plusieurs observateurs, les Etats africains, en particulier ceux du Sahel et leurs partenaires internationaux, devront veiller à la préservation d’un mode de vie, empreinte d’une identité, celle que quelques 20 millions de nomades en Afrique, tentent de préserver et de perpétuer, malgré les difficultés et les risques inhérents à la montée de l’insécurité et à l’urbanisme galopant.

Dieh Moctar Cheikh Saad Bouh dit Cheikh Aïdara


Commissaire aux droits de l’homme à Genève : « La Mauritanie a pris une série de mesures efficaces qui criminalisent les pratiques esclavagistes et punissent leurs auteurs »

Le Commissaire aux Droits de l’Homme, à l’Action Humanitaire et aux Relations avec la Société Civile, M. Cheikh Ahmedou Ould Ahmed Salem Ould Sidi, a expliqué que la Mauritanie a pris un certain nombre de mesures efficaces qui criminalisent les pratiques asservissantes et punissent leurs auteurs.

Il a ajouté dans un discours devant la cinquante et unième session du Conseil des droits de l’homme à Genève, que ces mesures comprenaient l’adoption d’une législation nationale criminalisant et réprimant l’esclavage, la création de tribunaux spécialisés pour le combattre, la mise en place d’un plan d’action de lutte contre la traite des êtres humains, et la mise en place d’un organe national de lutte contre la traite des êtres humains et le trafic de migrants, en plus de l’organisation d’un forum régional sur l’esclavage pour les organisations de la société civile dans les cinq pays du Sahel.

Il a indiqué que ces mesures s’accompagnent de la mise en œuvre d’un certain nombre de programmes économiques et sociaux au profit des victimes de ces pratiques, notant que l’ambition du gouvernement mauritanien est que notre pays soit un modèle dans la lutte contre les pratiques esclavagistes dans la région du Sahel.

Le Commissaire a indiqué par ailleurs que la Mauritanie avait mis en place un comité ministériel de haut niveau de lutte contre la traite des êtres humains et un comité technique de suivi de la mise en œuvre des recommandations contenues dans la déclaration finale du la visite du Rapporteur spécial dans notre pays en mai dernier, au cours de laquelle il a été informé des progrès réalisés en Mauritanie dans la lutte contre les formes contemporaines d’esclavage.

Cheikh Aidara


Violences basées sur le genre, une mission conjointe MASEF-UNFPA constate les difficultés rencontrées par 7 plateformes régionales

Une mission conjointe entre le Ministère de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Famille (MASEF) et le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) a constaté lors de sa tournée effectuée dans sept Wilayas, entre le 18 août et le 3 septembre 2022, les difficultés majeures rencontrées par les plateformes de lutte contre les Violences Basées sur le Genre (VBG) créées il y a plus d’une année.

La mission se réunit avec les membres de la plateforme du Tiris-Zemmour

Du 18 août au 3 septembre 2022, une mission conjointe MASEF-UNFPA a sillonné les régions de l’Inchiri, de l’Adrar, du Tiris-Zemmour, de Dakhlet-Nouadhibou, du Tagant, du Trarza et du Brakna. L’objectif de la mission conduite par Mme Aïchetou Sidi, Directrice adjointe chargée de la famille, de la promotion féminine et du Genre au MASEF et par Mme Khadijetou Lô, Chargée de Programme Genre et Droits Humains à l’UNFPA, était à la fois fastidieux et complexe.

Avec le Hakem de Zouerate

Il s’agissait entre autres de faire l’état des lieux des sept plateformes multisectorielles de lutte contre les VBG mises en place en 2021 dans les sept régions citées, notamment l’état de mise en œuvre des plans d’action, l’analyse des forces et faiblesses de ces structures, pour en tirer des recommandations. La mission devait également renouveler son plaidoyer auprès des autorités régionales et communales pour un plus grand ancrage de ces plateformes dans le dispositif administratif local. Elle devait également recueillir les données sur les cas de violences enregistrés, actualiser la liste des membres et identifier les besoins pour la planification 2023.

La réussite dépend souvent des autres

Membres de la plateforme de l’Adrar

Les observateurs ont constaté que là où d’autres acteurs s’impliquent, en l’occurrence des ONG internationales comme Medico Del Mundo (MDM), World Vision, Terre des Hommes, Save The Children, ou quelques rares acteurs nationaux, comme la Garde Nationale ou l’Association Mauritanienne pour la Promotion de la Famille (AMPF), les plateformes de lutte contre les VBG marchent. C’est le cas au Brakna où deux antennes ont été installées à Aleg et à Boghé avec l’appui de MDM, ou encore à Nouadhibou avec MDM et Save The Children. C’est encore dans ces deux régions, en plus de l’Inchiri, où l’implication des maires a été jugée de déterminante dans la performance des plateformes.

L’absentéisme de certaines Directrices régionales du MASEF pointé du doigt

Selon les témoignages recueillis auprès de sources proches des plateformes au niveau de l’Inchiri notamment et du Trarza, l’absentéisme des directrices régionales du MASEF qui président les plateformes ainsi que leur faible implication ont lourdement pesé sur leur fonctionnement. Ajoutée à cela, l’absence de ressources financières. Selon les mêmes sources, le MASEF pourtant saisi n’a pas encore répondu aux requêtes qui lui ont été adressées par les responsables des plateformes et aucun n’a pu mobiliser des ressources ailleurs.

Quelques résultats encourageants

Malgré les difficultés auxquelles elles font face, plusieurs plateformes tentent cependant de mener leurs activités, avec des séances de travail ponctuelles, des activités de sensibilisation menées à l’occasion, ainsi que des cas de violences répertoriés, même en l’absence d’outils de collectes efficaces. D’où des résultats mitigés, notamment au Trarza où les taux faibles déclarés, 15 cas en une année, semblent souffrir d’une irrégularité dans la collecte, même si la région est connue pour sa faible prévalence en VBG. Même cas en Inchiri où les acteurs parlent de forte prévalence alors que les chiffres annoncés sont très bas.

Photo avec les membres de la plateforme du Tiris-Zemmour

En termes de cas répertoriés et de prévalence, Nouadhibou vient en tête parmi les 7 régions, avec 197 cas depuis 2021, suivi de l’Adrar, 65 cas, Tiris-Zemmour avec 59 cas, Brakna (52), Tagant (41) et Inchiri (6). La plupart des cas sont liés aux violences conjugales, violences physiques et morales, violences économiques, abandon de foyer, etc.

Des solutions pour rendre les plateformes performantes

Selon les experts, les plateformes en difficulté pourraient réaliser les objectifs escomptés si les directrices régionales du MASEF étaient plus présentes et s’impliquaient davantage et si leur staff ainsi que les membres des plateformes étaient dotés de plus de compétence dans le domaine des VBG. Ils ont évoqué aussi la nécessaire implication des autorités régionales ainsi que celle des conseils régionaux et municipaux, en plus des moyens financiers pour la mise en œuvre des plans d’action.

Avec le Wali du Tiris-Zemmour

Autre insuffisance à corriger, d’après les experts, la création de bases de données formelles et fiables, ainsi que l’adoption d’outils de collecte efficaces pour la remontée de l’information.

Parmi les difficultés pratiques posées aux plateformes, l’apparition de nouvelles formes de violences et les arrangements à l’amiable qui spolient les survivant(es) en l’absence de toute assistance judiciaire, de toute forme de prise en charge et de tout centre d’accueil.

De l’utilité des plateformes de lutte contre les VBG

Il est pourtant admis que les plateformes de lutte contre les VBG constituent un cadre d’échanges, de collaboration, de référence et de contre référence au niveau régional entre tous les acteurs intervenant dans la problématique, services de l’état et société civile. Outre les réunions mensuelles, les membres de la plateforme doivent également faire le point une fois par trimestre. Ils doivent se réunir chaque fois qu’un cas est signalé, produire des rapports et des notes de suivi des cas, y compris la prise en charge psychosociale des survivants et le suivi judiciaire .

A noter que toutes les plateformes ont été équipées en outils informatiques, imprimantes laser, armoires, chaises, ainsi que tout le matériel bureautique au complet.

Sources d’espoir, des autorités locales, comme les maires d’Aleg, d’Akjoujt et de Nouadhibou sont cités en exemple pour leur engagement contre les VBG et pour leur leadership au sein des plateformes mises en place dans leur région, ce qui renforce la crédibilité de leurs structures au sein des populations et des partenaires.

Cheikh Aïdara