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De Gouraye à Nouakchott : L’Odyssée d’un indésirable de la République

Déclaré Persona non grata à Sélibaby, Boghé, Aleg et Boutilimit, Birame Dah Abeid, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), indésirable dans son pays et Messie ailleurs, est rentré à Nouakchott, escorté sur plus de six cent kilomètres par une armada de policiers, de gendarmes et de gardes qui se le sont relayés comme une patate chaude.

L’arrivée de Birame Dah Abeid, président d’IRA, le 7 mai 2017 au Guidimagha, a suscité une véritable levée de boucliers au sein de l’appareil sécuritaire du pays, allant jusqu’à secouer le pouvoir et la Présidence de la République, d’où fusait manifestement toutes les instructions relative à la gestion d’une affaire qui avait profondément ébranlé les féodaux soninkés. La preuve, Sélibaby, capitale du Guidimagha et porte par laquelle le leader abolitionniste comptait entrer sur invitation d’associations antiesclavagistes soninkés, sera fermée pendant deux jours à tout étranger à la région.

Selon des informations concordantes, la classe féodale soninké, sous la houlette de ses plus grands cadres, auraient contacté directement le président Mohamed Abdel Aziz pour lui dire que s’il laisse Birame poursuivre tranquillement son périple au sein des esclaves soninkés, le vote en faveur du référendum constitutionnel sera sérieusement compromis au Guidimagha. D’où les instructions données au Wali, Diallo Oumar Amadou, de prendre toutes les dispositions pour empêcher aux militants d’IRA de pénétrer jusqu’à Sélibaby et à Birame de rester ne serait-ce qu’une demi-journée dans la région. A quelques doigts de la retraite, le gouverneur devait redoubler de zèle pour couronner sa longue carrière d’administrateur par la gestion du cas Birame, une affaire dont il n’avait pas du tout besoin à ce stade de sa vie professionnelle. Aussi, avait-il parcouru toute la région, semant la terreur et la panique au sein des classes serviles, dans les hameaux et les villages. Ainsi, beaucoup parmi ceux qui étaient prêts à recevoir Birame, à Gouraye, Diaguili et dans d’autres villages cédèrent sous les menaces d’emprisonnement. Seuls les militants antiesclavagistes de Diogountoro ont résisté à ces menaces. Bakayoko, l’un de ses leaders, aurait ainsi tête aux autorités à qui il a dit «je suis toujours prêt à recevoir Birame comme invité, même si cela doit me conduire en prison».

Tachott, la porte de filtrage

Depuis l’annonce de l’arrivée du président d’IRA par la porte de Gouraye qui fait face à la ville sénégalaise de Bakel, les autorités régionales du Guidimagha avaient porté l’alerte sécuritaire à son maximum. Diallo Oumar Amadou savait qu’il jouait sa tête. Aussi, fit-il installer des barrages de la gendarmerie sur toutes les voies d’accès menant à Sélibaby et à Gouraye. Des dizaines de militants d’IRA qui avaient quitté les autres villes du pays pour rallier le Guidimagha seront formellement identifiés puis refoulés au niveau de plusieurs points d’accès. Même ceux qui avaient tenté de se fondre dans l’anonymat des taxi-brousses ou des bus de transport. Cela était d’autant plus facile que la quasi-totalité des militants d’IRA sont connus. Beaucoup d’entre eux sont fichés suite à des manifestations, des marches de protestation ou des sit-in non autorisés menés ces dernières années et matés dans la répression.
A Tachott, une brigade mobile de la gendarmerie a été spécialement installée pour filtrer les entrées vers Sélibaby, située à une vingtaine de kilomètres. Le 3 mai 2017, Balla Touré, Secrétaire chargé des relations extérieurs d’IRA et ses compagnons, Samba Diagana, Hanana MBoïrick, Kaw Lô, et leur chauffeur, ont été chopés à Gouraye puis reconduits jusqu’à Nouakchott. Cet incident aurait certainement, selon certains membres d’IRA, motivé l’installation de ce poste avancé.

Trois jours plus tard, le 6 mai 2017, une délégation conduite par la vice-présidente du mouvement, Coumba Dado Kane, et comprenant Khattri Rahel, Mama IRA (une dame de fer membre d’une association antiesclavagiste soninké), Dah Boushab, Ousmane Lô et Ahmed Hamdi seront ainsi stoppés net à Tachott par cette brigade de gendarmerie. Il faisait minuit. Après avoir récupéré leurs pièces d’identité, les gendarmes les ont communiqués à leurs supérieurs. Quelques minutes d’attente et les instructions tombèrent. La délégation était priée de rebrousser chemin. L’entrée à Sélibaby leur était fermée. Après une nuit en pleine brousse, les membres de la délégation ont joué aux obstinés. Une partie regagnera Tachott, situé à 5 kilomètres du poste de gendarmerie. Coumba Dado Kane, à bord de la Prado qui devrait ramener Birame, jouera les têtues.

Le 7 mai, aux environs de 12 heures, des journalistes venus couvrir l’évènement crée par le retour de Birame en Mauritanie, après une longue tournée en Europe et aux USA, et qui allait certainement apporter du nouveau dans une actualité morose et fade, butèrent sur cette même brigade et connurent le sort des militants d’IRA. La porte de Sélibaby leur était aussi fermée.

Ce qui s’est passé à Gouraye

Aux environs de 12 heures, Birame débarqua à Gouraye accompagné d’un seul membre d’IRA. Il raconte.
«J’ai été reçu par le commissaire de Gouraye, au milieu d’un véritable déploiement des forces de l’ordre. Il me fit asseoir en attendant de recevoir des instructions. Quelques minutes plus tard, il me dit que le chef d’arrondissement me demandait si j’étais prêt à le rencontrer et dans ce cas, si j’allais le rejoindre avec ma voiture ou s’il m’en envoyait une. Je lui ai répondu que j’étais prêt à le rencontrer mais que ma voiture est bloquée à Tachott, il devait donc m’en envoyer une. Un peu plus tard, le commissaire me fit savoir qu’il y avait changement de programme. Je devais quitter le Guidimagha sous escorte de la gendarmerie. C’est alors que les autorités décidèrent de laisser passer Coumba Dado Kane et la voiture qui devrait me ramener ».

A Tachott, le reste de la délégation bloquée là depuis des heures, avait suivi au téléphone, grâce à Coumba, l’évolution de la situation à Gouraye. Ils apprirent  que Birame allait être refoulé sous escorte de la gendarmerie.
Assis sous une gargote à plus de 45° à l’ombre,  ils venaient juste de commander quelques plats de riz à la viande d’une qualité médiocre, lorsque le convoi leur passa sous le nez. Ils se lancèrent précipitamment à ses trousses. A hauteur de Djadjibini, ils croisèrent les deux véhicules de la gendarmerie qui venaient de passer le relais à la brigade de Mbout.

La Prado, au lieu de prendre la route de Kaédi, piqua par la bretelle vers le centre-ville, obligeant l’escorte à faire de même. La section locale d’IRA avait préparé un accueil modeste dans la maison d’une des militantes les plus chevronnés du mouvement, Toutou. Les gendarmes s’installèrent près de la maison. Chansons, youyous, accueillirent Birame qui décida de passer la nuit. Un dîner somptueux lui fut servi au milieu des militants, dont une écrasante majorité de femme. Le lendemain cap sur Boghé.

Boghé : le commissaire débarque dans la maison

Arrivée à Boghé vers 13 heures, la délégation d’IRA fut accueillie au domicile d’un militant par une foule de jeunes, hommes et  femmes. Une trentaine de personnes enthousiasmées se trouvait là . Trente minutes après, le commissaire de Boghé, Henoune Ould Sid’Elemine, débarqua accompagné de quatre policiers. Dehors, une Toyota remplie d’éléments armés et cagoulés. «Pas d’attroupement ! » indiqua le commissaire qui s’est entretenu longuement avec Birame. Le ton est monté un peu. Puis Birame, sortit en trombe et lui lança : «si la présence de ces gens te gênent, tu n’as qu’à les embarquer ou fait ce que tu veux, je ne suis pas comptable de leur présence ici ».

Le commissaire entreprit de faire sortir tous les jeunes ressortissants de Boghé, en plus de quelques journalistes locaux venus quérir des informations ou une interview avec le leader abolitionniste, surtout que son périple au Guidimagha avait rempli les réseaux sociaux.

N’empêche, la maison se remplit de nouveau, tandis que quelques policiers chassés par l’harmattan, se réfugièrent dans la maison, sous un hangar à l’écart de la délégation, accompagnés de jeunes Boghéens.

Birame animera ainsi une conférence de presse à l’intention des correspondants de quelques journaux et sites, notamment «Le Calame » mais aussi «Le Véridique », entre autres. Il est revenu sur son périple au Guidimagha, insistant sur l’idéologie de son mouvement basé sur la lutte pacifique contre le racisme et l’esclavage en Mauritanie.

Plusieurs cadres d’IRA ont pris la parole dans les langues nationales, à l’image de Coumba Dado Kane et Ousmane Lô.
Un peu avant le départ de la délégation, le président de la section IRA au niveau de Boghé, Bah Ould Eyoub a pris la parole pour exprimer l’adhésion totale des militants au niveau de la région pour le combat d’IRA. «Nous sommes derrière toi pour relever tous les défis que tu t’es fixé » a-t-il conclu, s’adressant à Birame, dont le corps nageait de sueur sous un boubou léger et un sous-vêtement blanc. Boghé était pris sous une nasse de chaleur torride.

Bouhdida, une visite sans surveillance policière

Birame et sa délégation quittèrent Boghé, escortés par une voiture de police qui s’arrêtera juste au rond-point de la route de Rosso. «C’est sûr qu’ils n’ont plus de gasoil » railla un militant. Le convoi poursuivit son chemin, loin de toute surveillance policière. Direction, Bouhdida, localité située à une vingtaine de kilomètres d’Aleg, la capitale régionale du Brakna. Un arrêt de quelques minutes au cours duquel plus d’une trentaine de personnes s’attroupèrent sous un hangar autour de Birame que la plupart voyaient pour la première fois. «Si cette visite était mieux préparée, on vous aurait rempli la cour. Vos partisans sont nombreux ici et nous sommes tous avec ton combat » déclara une femme, la quarantaine. Applaudissements sonores et quelques tambourinements sur un fût vide. Le départ de Birame sera salué par une salve de youyous. Cap sur Aleg, où la délégation devait passer la nuit.
Aleg et Boutilimit barricadés

Le rond-point d’Aleg avait disparu sous le foisonnement des tenues kaki. Une véritable armada policière, casques vissés sur la tête et matraque au ceinturon, obstruait la bifurcation qui menait vers la ville d’Aleg. Comme si ce mur humain ne suffisait pas, une Toyota de la Police tout en diagonale barrait le chemin. Les voitures de la délégation, la Prado de Birame en tête, s’immobilisèrent sur le bas-côté, tandis que des passagers qui faisaient le pied de grue sur la nationale menant vers Boghé, jouèrent aux badauds. Quelques minutes s’écoulèrent. Le Directeur régional de la Sûreté (DRS) du Brakna, Mohamed Ali Ould Mélaïnine, boubou blanc, cheveux grisonnants, s’avança vers la voiture de Birame. Ce dernier sortit et le rejoignit sur le talus. Les deux hommes s’abîmèrent dans de longs palabres dont les propos échappèrent au reste de la délégation. Puis, Birame se dirigea vers ses amis. «Nous sommes interdits d’entrer dans la ville d’Aleg. Les ordres viendraient de très haut, selon le DRS » lâcha Birame. Quelqu’un lui lança, irrité, alors qu’il prenait place dans la Prado. «Et la route de Nouakchott, elle nous est aussi fermée ? » Birame sourit et lui répondit «c’est vrai, je vais le lui demander ». Il redescendit et se dirigea vers le DRS. «Mon commissaire, j’espère que la route de Nouakchott ne nous est pas fermée aussi ? » Le commissaire lui répondit : «non, elle est ouverte ».

La délégation, suivie pendant quelques mètres par une voiture de police, s’ébranla. Cap vers l’étape de Boutilimit qui n’était prévue dans le programme que le lendemain.
De Boutlimit à Nouakchott, la ligne droite

Au carrefour de Boutilimit, là où la voie bifurque sur une bretelle de contournement, une voiture de police était à l’accueil. Ordre fut donné au convoi d’emprunter cette voie, qui permet d’éviter la ville. Ainsi, après Aleg, Boutilimit était aussi interdite à Birame. Une voiture de la police l’accompagnera jusqu’à la sortie de la vieille cité maraboutique.
Le reste du trajet vers Nouakchott se déroula sans aucun incident. Les gendarmes qui jonchaient la route semblaient parfaitement au courant de ce qui se passait. A chaque arrêt, dès qu’ils demandaient les papiers de la voiture au chauffeur et qu’on leur disait que cette voiture fait partie du convoi de Birame Dah Abeid, ils faisaient automatiquement signe de continuer.

Enfin, Nouakchott ! Deux voitures de la délégation arrivèrent les premiers au poste de police du kilomètre 18 marquant l’entrée de la capitale. Beaucoup de policiers sur la chaussée et deux Toyotas clignotant sur les deux bords de la route. «Où est le président Birame ? » s’enquit un gradé. «Il vient ! Il est en cours de route ! » répondit l’un des membres du Comité de Paix, reconnaissable à son pantalon noir, chemise blanche et cravate noire.

La Prado était restée loin, garée quelques kilomètres derrière. La vice-présidente, Coumba Dado Kane se livrait à une interview sollicitée par une station étrangère. Une demie heure et la Prado fit son apparition. Un bref arrêt et la délégation prit le chemin de la ville. Une Toyota de la police la suivit puis s’arrêta quelques mètres plus loin.

Au domicile des Ehel Ahmed, les beaux-parents de Birame, une foule attendait. Les crissements des pneus devant la porte d’entrée furent accompagnés d’une salve de youyous. Dans le salon bondé de monde, Leïla, l’épouse de Birame était couchée près d’un berceau où reposait un bébé. Le dernier né du couple.


Couverture sur des sujets d’esclavage : SOS Esclaves forme des journalistes spécialisés

L’organisation SOS Esclaves que dirige Boubacar Ould Messaoud a organisé, les 4 et 5 mai 2017, une session de formation et d’échanges avec un groupe de journalistes triés sur le volet sur les techniques de couverture des sujets relatifs à l’esclavage en Mauritanie. Des bourses de recherches seront octroyés à certains d’entre eux pour se lancer dans des recherches sur le terrain.

Vue partielle des participants et de leurs formateurs

Pendant deux jours, une dizaine de journalistes choisis pour leur intérêt aux questions des droits de l’homme, notamment la lutte contre l’esclavage, ont été conviés à une session de formation et d’échanges sur le sujet. SOS Esclaves, l’une des organisations les plus actives dans ce domaine, compte ainsi mettre ses vingt années d’expérience au service d’un travail de profondeur, avec l’aide de ses partenaires, l’ONG américaine Antislavery et l’ONG britannique Minority Rights Group International. Deux experts envoyés par ces deux prestigieuses institutions, Emma et Jakub, ont ainsi échangé et formé les participants sur des principes spécifiques d’enquête et d’approche qui pourraient aider dans l’avenir les journalistes à mener des investigations de terrain.

La session avait débuté le 4 mai 2017 par un mot d’introduction du Doyen Boubacar Messaoud qui a fait l’économie de son organisation, SOS Esclavage et de sa riche expérience dans la lutte contre le fléau en Mauritanie. Il sera suivi de notre confrère et non moins activiste au sein de l’organisation, Sneïba Kory qui a brossé pour sa part un état des lieux de l’esclavage dans le pays, soulignant que cette question a été insuffisamment traitée jusque-là par les médias, notamment les médias indépendants, la presse officielle bien entendu s’inscrivant sur la ligne du déni professée par les tenants du pouvoir. Par la suite, Ahmed Ould Wediya, journaliste et vice-président de SOS Esclaves devait souligner que la lutte contre l’esclavage doit prendre des dimensions politiques, économiques, culturelles que sociales.

Boubacar Ould Messaoud, président de SOS Esclaves lisant son discours

Après deux jours de débats riches et fructueux sur le rôle des médias et l’importance de faire des reportages sur l’esclavage, sur une meilleure connaissance des victimes et des anciennes victimes, ainsi que sur l’utilité de l’éthique dans le traitement du sujet, mais aussi sur la manière d’identifier et de développer les récits ayant un impact réel, doublé d’une meilleure connaissance des communautés, une entrevue a été organisée le 6 mai 2017 à l’hôtel Khater entre les journalistes et les activistes.

Il faut signaler que la session a été marquée par la présence d’un représentant de l’Agence Tadamoun pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, d’un représentant du département de la Justice et du représentant du Projet «Bridge» au sein du Bureau International du Travail (BIT) en Mauritanie. La modération de l’atelier a été assurée par le doyen Abdoulaye Ciré Bâ. Au cours de la formation, les journalistes se sont prêtés à une séance pratique au cours de laquelle certains ont joué le rôle d’interviewers et d’autres celui d’esclave ou d’ancien esclave.


Interview Birame Dah Abeid, président d’IRA : «L’expulsion des deux françaises est une sottise d’Etat »

Sur sa tournée en Europe et aux USA, sur les projets à venir d’IRA, sur les départs qui ont saigné son mouvement, mais aussi sur le référendum constitutionnel, sur la grève récente des chauffeurs de taxis et sur l’affaire des deux françaises expulsées de Mauritanie, sur toutes ces questions, le président du mouvement abolitionniste, Birame Dah Abeid, revient en détail.

Birame Dah Abeid

Question : vous avez effectué un long périple dans plusieurs pays européens ainsi qu’aux Etats-Unis, pouvez-vous nous livrer le bilan de cette tournée ?
Réponse : le bilan de ma tournée en Europe et aux Etats-Unis est très visible, d’abord au niveau du pouvoir mauritanien qui a été troublé par mon retour, qui s’est passé d’une manière pacifique et légale, avec toutes les démarches dignes d’une personne qui privilégie la compétition au niveau des idées et des stratégies. Le régime accuse ainsi le coup devant l’impact, la cohésion et l’élargissement d’IRA Mauritanie.
Le régime de Mohamed Abdel Aziz est frappé par les dernières victoires d’IRA suites à ma sortie de prison le 17 mai 2016, qui s’est transformée en plébiscite au niveau national et international, valant à notre combat de très nombreux soutiens.
Aujourd’hui, le régime est affaibli sur le plan diplomatique par tout ce qui a matérialisé notre supériorité dans le concert des Nations comme distinctions et reconnaissances de haut niveau.
Les tentatives du pouvoir de reprendre main en essayant de mettre des embûches devant notre connexion avec le peuple mauritanien très mobilisé en notre faveur les 15 et 16 janvier 2015 à Rosso et à Nouakchott, mais aussi aujourd’hui, le 7 mai 2017 à Gouraye et dans le Guidimagha, resteront vaines. En se débattant, le pouvoir a imprimé beaucoup plus de publicité et d’impact à mon passage et celui des militants dans la région, déployant des forces militaires, administratives et politiques, remettant en selle les armées d’aboyeurs et de laudateurs du système coopté parmi l’élite et les cadres des populations locales chosifiés et méprisés par un pouvoir monocolore et afrophobe réfractaire à toute égalité entre races et à toute culture des droits de l’homme ou de démocratie. Tout ce déploiement sécuritaire est à la hauteur de la foce d’IRA Mauritanie et de la panique mais aussi de ce cafouillage qu’elle inspire aux tenants du système.

Question : beaucoup de personnes trouvent que vous avez changé de discours ces derniers temps, et que vous êtes devenus plus conciliants. Est-ce qu’IRA est en train de changer de stratégie de combat ?
Réponse
 : le mouvement IRA reste sur la même lancée, mais je pense que les priorités changent au gré des circonstances. Durant les premières années de son combat, IRA était obligé de répondre aux violentes attaques des laudateurs politiques et aux autres corporations sociales comme les érudits, à certains pseudo journalistes ou écrivains. Ces premières années ont permis à IRA de gagner la sympathie de larges cercles qui étaient dressés auparavant contre le mouvement et son président. Ce changement s’est matérialisé par la main tendue des autorités et des autres pans du système. C’est pourquoi l’urgence n’est plus aujourd’hui à la polémique et aux ripostes acerbes et aux coups sévères qu’IRA assénait dans le tas ici et là. Aujourd’hui, IRA est moins esseulé, plus soutenu, plus serein et plus magnanime. Conséquence de cet état de fait, le fond de nos idées reste le même. Bien sûr, nous n’avons jamais épousé la violence.

Question : le mouvement IRA a été saigné par plusieurs départs, dont d’importants cadres qui y occupaient les premières places dans la hiérarchie. Cela ne vous a pas trop affaibli ?
Réponse
 : non, pas du tout. Nous sommes habitués à perdre quelques personnes fraîchement sorties de prison. Ces départs n’ont aucun rapport avec le fonctionnement d’IRA ni avec sa ligne de combat. Ces départs ont un rapport direct avec les effets de la prison, de ses difficultés, de l’idée épouvantable d’y rester ou d’y retourner, du souci personnel et tout à fait humain de se protéger et de se soustraire des dangers inhérents à la lutte qui requiert un sacrifice à toute épreuve.
Bien sûr, dans son obligation de rendre compte des motifs de sa transhumance ou de sa métamorphose, chaque personne selon son élévation morale et son état d’esprit, va servir sa propre cuisine. Mais c’est à l’opinion d’apprécier la saveur du plat qui lui est servi. En tout cas, le mouvement IRA est en très bonne santé.

Question ; on entend de moins en moins parler des prisonniers d’IRA restés encore dans la prison de Bir Moghreïn. Vous les avez oubliés ?
Réponse
 : pas du tout. IRA est loin d’oublier ses martyrs, Moussa Birame et Abdallah Maatalla Saleck. Les militants continuent à les soutenir malgré les brimades et les répressions policières. Le mouvement continue les campagnes et les missions nationale et internationales en leur faveur, à publier des communiqués de condamnation en faveur de ces prisonniers de conscience et d’opinion. IRA continue à jouer son rôle par rapport aux prisonniers et leurs familles tout en gardant des contacts réguliers avec eux et leurs avocats.

Question : que pensez-vous du référendum constitutionnel prévu dans trois mois ?
Réponse
 : le référendum constitutionnel envisagé marque la mauvaise foi d’un pouvoir qui se complait à prolonger le martyr du peuple mauritanien maintenu sous le joug d’un système désastreux et ignorant. C’est avec beaucoup de maladresse que le général Mohamed Ould Abdel Aziz envisage de contourner la Constitution et toutes les lois du pays qu’il ne cesse d’enfreindre afin de reproduire son pouvoir à travers une marionnette qu’il compte placer sur le fauteuil présidentiel et rempiler par la suite. Je trouve dans cet état d’esprit une mégalomanie poussée, une ignorance marquée de la chose publique et surtout un souci de s’absoudre des dérives, des malversations et délit dont il se sait coupable. Ce référendum est un véritable problème pour la Mauritanie. C’est pourquoi, il ne passera pas, ni aux yeux de la communauté nationale, ni aux yeux de la communauté internationale. Il ne fait qu’accentuer l’illégitimité du pouvoir en place.
Question : à la suite de la grève des taxis où beaucoup de dérives ont été relevées, certaines à caractère raciste et sectaires, on a entendu le ministre de l’Intérieur indexer des organisations radicales et racistes. Vous êtes-vous sentis visés ?
Réponse
 : j’ai entendu les propos du Ministre de l’Intérieur et d’autres proférés par de prétendus dirigeants d’organisation Made In Renseignements Généraux qui ont répété à tort et à travers que la grève et les violences survenues à la suite de la crise des transports est une fabrication d’organisations harratines militantes et que ces évènements sont une manifestation d’un racisme harratine destructeur. Je pense que ces propos se démentissent d’eux-mêmes. Pourquoi les organisations indexées n’ont pas été inquiétées et traduites en justice pour répondre de leur arrogance et de leurs actes ? Et pourquoi les individus arrêtés dans le cadre de ces évènements n’ont pas été inculpés d’incitation à la haine raciale ? Ceci pour simplement dire, que le Ministre de l’Intérieur et ses indicateurs membres de la société civile ne sont en fin de compte que des farfelus qui ont versé dans la propagande classique, celle inhérente aux régimes aux abois et à leurs acolytes habitués à réagir ainsi dans de pareilles circonstances.

Question : quels sont les projets à venir du mouvement IRA ?
Réponse
 : les perspectives du mouvement IRA sont d’abord, le rôle que le mouvement doit continuer à jouer, c’est-à-dire celui d’une lame de fond contre le pouvoir en place dont il cherchera à empoisonner l’existence de manière pacifique, légale et dans la loyauté des principes qui fondent la République. L’objectif est d’écourter la vie de ce pouvoir pour l’amener vers sa fin par différentes méthodes originelles et militantes, par des coups d’éclat dans les limites permises par les lois en vigueur, de manière à frapper très fort les esprit, par l’excellence et l’élégance de notre approche et démarche diplomatique, afin de proposer à sa place, une face fréquentable de nos idées à nos concitoyens et à nos partenaires.
IRA s’attèlera à jour un rôle de leader dans le rassemblement d’un très large front démocratique et populaire visant à préparer une transition démocratique et la chute du pouvoir d’une manière pacifique et légale.
IRA est toujours dans l’optique d’organiser un grand congrès qui sera l’objet de débats, ce qui requiert une solide préparation matérielle, environnementale et dans les délais que nous jugeons difficile à tenir à cause du contexte sécuritaire actuel.

Question : quels commentaires faites-vous par rapport à l’affaire des deux françaises expulsées récemment par les autorités mauritaniennes ?
Réponse
 : les deux françaises, Marie Foray et Tiphaine de Gosse ne sont pas à leur premier séjour en Mauritanie dans le cadre de leurs recherches universitaires et journalistiques commandées par deux grandes institutions de prestige mondialement connues, l’Université des droits de l’homme d’Aix-en-Provence et Amnesty International.
Je pense que l’attitude des autorités mauritaniennes relève de la sottise. C’est un manque notoire de discernement qu’un haut responsable militaire accepte de dire que ces deux institutions, avec tout ce qu’elles représentent, s’investissent dans le renseignement et autres manigances au profit d’une organisation comme IRA. J’aurais appris que les deux jeunes françaises ont été tolérées durant leur premier séjour qui a duré plus d’un mois grâce à l’influence d’un civil et d’un policier qui leur faisaient les yeux doux. J’aurais aussi appris, cette fois de sources sûres et concordantes, que l’Etat mauritanien, représenté par le Directeur général de la Sûreté Nationale, les a déclarées persona no grata parce que les deux filles ont pu faire de très bonnes recherches aux sources, sur l’esclavage et ses pratiques, sa persistance et le rôle de l’Etat dans ce cadre, ainsi que l’impunité accordée aux auteurs de ce crime contre l’humanité, selon la Constitution mauritanienne.
Je pense que les recherches menées par ces deux françaises passionnées de leur métier, équilibrées dans leur démarche, a créé la différence par rapport à d’autres travaux menés dans le même domaine.
L’excellence de leurs recherches et de leurs conclusions crédibles et exploitables menacent les intérêts de groupes dominants esclavagistes qui fondent leur mode de vie sur l’exploitation des personnes dont ils tirent des profits illicites et exorbitants.

Propos recueillis par : Cheikh Aïdara

 


Section UPF-Mauritanie : Jean-Kouchner hôte de la «Terre des Hommes»

M.Jean-Kouchner, Secrétaire général de l’Union de la Presse Francophone (UPF) a été l’hôte de la Mauritanie, même si sa visite s’est circonscrite à Nouakchott. Du 28 avril au 2 mai 2017, il a eu l’occasion de rencontrer des hommes et des femmes de ce pays, de visiter plusieurs centres d’intérêt de ce territoire (même s’il n’en a foulé au pied qu’une petite parcelle), et qui a fasciné tant d’explorateurs,  d’écrivains et de journalistes de divers horizons, et que Saint-Exupéry avait baptisé, il y a un peu moins d’un siècle, «Terre des Hommes ».

Jean Kouchner Mariya Traoré Kane Hadya (directeur du Musée)

La section mauritanienne de l’UPF, l’une des plus jeunes sections créée en août 2016, a réservé un accueil chaleureux au Secrétaire général de l’UPF International, M.Jean-Kouchner, consultant, professeur associé à l’Université de Montpellier, homme de radio et ancien directeur du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ). Secrétaire général de l’UPF depuis 2012, il a été reconduit dans ses fonctions en 2016.

Lors de sa courte visite, au cours de laquelle, il a été chaperonné par la présidente de la section locale, Mariya Ladji Traoré, l’hôte de la Mauritanie a visité plusieurs lieux d’intérêt, la plage de Nouakchott et  le Musée National, mais aussi plusieurs institutions de presse, telles Radio Mauritanie, la télévision publique Al Mouritaniya, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuelle (HAPA), l’Agence mauritanienne d’information (AMI). Il a été reçu par les responsables de ces différentes institutions publiques, mais aussi par ceux du ministère des Relations avec le Parlement et la Société Civile qui assure la tutelle de la presse. M.Jean-Kouchner  a eu des tête-à-tête avec plusieurs acteurs de la presse autour d’un dîner ou d’un thé, dont le Doyen du Syndicat des journalistes de Mauritanie (SJM), des directeurs de publication, des journalistes de la presse indépendante et les membres du bureau exécutif de la section UPF-Mauritanie. Il s’est aussi entretenu avec l’ambassadeur de France et visité la Fédération mauritanienne de football.

Une partie de l’assistance

Le 2 mai, M.Jean-Kouchner était l’invité d’honneur du dîner-débat organisé par la section mauritanienne de l’UPF, dans le sillage de la célébration de la journée internationale de la presse, fêtée le lendemain. Au cours de cette soirée, les invités ont débattu de deux thèmes majeurs que certains ont même trouvés complémentaires : «quel avenir pour la presse francophone en Mauritanie ? » et «quel rôle pour les médias dans le maintien de la paix et de la sécurité au Sahel ? »

Un débat riche qui a permis aux participants de nourrir la réflexion,  en soulevant toutes les entraves qui obstruent l’horizon de la presse francophone en Mauritanie, pour ne pas dire toute la presse du pays, eu égard au recul du français dans le système d’enseignement, à la baisse de niveau des élèves dans les deux filières arabe et français, aux problèmes d’accès aux sources traditionnelles de financement de la presse, entre autres.

Une partie de l’assistance

Reprenant un témoignage livré quasi unanimement par tous les hôtes de la Mauritanie, M.Jean-Kouchner a retenu la sympathie du peuple mauritanien, son ouverture d’esprit et sa tolérance, entretenant encore la flamme allumée par les Saint-Exupéry, les Mermoz, les Odette du Puigaudeau, les Pierre Bonte…Bref, tous ceux, depuis des générations, que le désert mauritanien a envoûté et qui sont tombés amoureux de son ciel, de son désert, de ses oueds, de ses hommes…