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Affaire Jean Marc Pelenc, antisémitisme et extrémisme religieux au sein de la diplomatie mauritanienne

Mme Marième Mint Aoufa

L’affaire Jean Marc Pelenc, activiste des droits de l’homme et président d’IRA-France expulsé de la Mauritanie par erreur et autorisé à revenir s’il le souhaite, a connu un nouveau rebondissement avec l’entrée en scène de Madame Marième Mint Aoufa, diplomate et fonctionnaire statutaire, ancienne ambassadrice de la Mauritanie à Rome.

En effet, au lendemain de la déclaration faite par le Ministre des Affaires Etrangères qui, rassurant l’ambassadeur de France qu’il recevait, parlait d’une «erreur » s’agissant de l’expulsion de M.Pelenc, Son Excellence la Directrice du département Amérique-Asie-Pacifique publiait un tweet ainsi libellé : «il est louable ce que les autorités ont fait, en expulsant le juif Jean Marc du journal Charlie Hebdo, qui offense la religion islamique en général, le Saint Coran et le Grand Messager, que Dieu le bénisse et lui accorde la paix en particulier, en essayant d’entrer dans notre pays, par l’aéroport Oum Tounsy. Il est donc bien naturel de chasser la malveillance et ses adeptes, de la terre des lumières et des Almoravides».

En réponse à ce tweet, le mouvement IRA-Mauritanie considère que la réaction de Mme Aoufa ne comporte rien de bien original si l’on considère la banalité de tels propos, si l’auteur n’était pas un membre du personnel de l’administration publique. Ainsi, la judéophobie, reflexe hérité en Mauritanie se double, selon le communiqué, d’une promotion du Jihad de la part d’une employée de l’Etat, dans le domaine combien stratégique de la diplomatie. Et de rappeler que le gouvernement qu’elle représente participe à la force conjointe du G5 Sahel et compte parmi ses alliés, d’Afrique et du Monde libre, l’ensemble arabo-musulman, des puissances qui collaborent dans le cadre de la résistance à la terreur au nom de la foi.

Et IRA-M de soutenir que l’honorable Mme Aoufa approuve in fine, l’attentat contre Charlie-Hebdo puisqu’elle adopte les arguments des frères Kouachi, auteurs de la tuerie du 7 janvier 2015 à Paris. Elle l’agrémente, selon le document, d’une incitation à la haine raciale qu’un Nazi ne désavouerait ni aucun illuminé qui trouverait là, une raison pour assassiner M.Pelenc.

En définitive, selon IRA-M, les mots de Mme Marième Aoufa interrogent la crédibilité extérieure de la Mauritanie. Le problème se présente ainsi sous des auspices d’autant moins rassurants que le parti au pouvoir, lors de son congrès du 28 décembre 2019, abritait un contingent de délégués âpres à réclamer une revanche contre le Français. A divers niveaux de sensibilité sécuritaire, notamment la police criminelle, la magistrature, la diplomatie et les renseignements, la Mauritanie abrite des sympathisants spontanés de l’extrémisme, produits de trois décennies d’hostilité aux langues étrangères. La menace viendrait à présent, selon IRA-M, du cœur de l’entité en charge de protéger sur le sol national, les citoyens et les ressortissants d’ailleurs.

Aujourd’hui, il convient, poursuit le document IRA-M, d’admettre la faille et la traiter, sans atermoiement ni paranoïa avant de devoir payer le prix  lourd de sa duplication.

Et de conclure,  «l’histoire rappelle à quel degré de ruine mènent le racisme et la répulsion envers un humain, du seul fait de sa différence. Les grandes tragédies commencent souvent en petites phrases».

Cheikh Aïdara


Birame Dah Abeid, l’homme qui a marqué la décennie 2008-2019

S’il y a un acteur qui a marqué la scène politique et droit de l’hommiste en Mauritanie durant la décennie 2008-2019, c’est bien Birame Dah Abeid. Deux périodes peuvent être distinguées dans la vie de cet illustre personnage. Une période que certains qualifient de provocatrice et de radicale dans son combat contre l’esclavage qui va de 2008 à 2014, et la période suivante où son discours évolue compte tenu de son statut de présidentiable qui cherche à brasser plus large. Outre l’électorat haratine et négro-africain qui forme l’essentiel de son contingent politique, il aspire désormais à séduire l’électorat arabe.

Sa popularité dépasse les frontières de la Mauritanie et son aura en fait aujourd’hui le politique et l’activiste des droits de l’Homme qui a le plus marqué la décennie 2008-2019, en particulier l’année 2019. Son élection comme député à l’Assemblée Nationale à partir d’une cellule de prison en septembre 2018 et son arrivée en 2ème position aux élections présidentielles du 22 juin 2019, face à des ténors politiques, un ancien Premier ministre, une coalition de Halaybé et un leader historique, sans structure politique et sans soutiens financiers forts, constitue un exploit inédit. Il, c’est Birame Dah Abeid, président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), député à l’Assemblée nationale, deuxième sur les deux dernières élections présidentielles (2014 et 2019), et l’un des défenseurs des droits de l’homme le plus titré du continent.

 En somme, la vie de Birame Dah Abeid ressemble à s’y méprendre à celle des grandes figures noires de l’Histoire contemporaine, à l’image de Martin Luther King, Malcom X, Nelson Mandela, pour ne citer que ces hommes aux destins si croisés et semés d’embûches. Des destins tissés autour de combats pour un idéal, l’égalité des races et la justice sociale, notamment en Mauritanie, pays traversé par des courants et des idéologies qui s’entrechoquent autour de questions aussi controversées que l’esclavage, le racisme d’Etat, l’exclusion des descendants d’esclaves et la stigmatisation de la composante négro-africaine, mais aussi la pauvreté et les injustes qui n’épargnent aucune communauté.  Jamais homme n’a été aussi combattu, haï, voué aux gémonies, embastillé et pourchassé au cours de la dernière décennie. Jamais également acteur mauritanien n’a été aussi décoré et distingué sur les plus prestigieuses tribunes du monde, en Irlande, en Belgique, jusque dans l’hémicycle des Nations Unies.

Cependant, l’évolution de Birame Dah Abeid, peut-être scindée en deux grandes périodes, celle du défenseur des droits de l’homme qui passe par l’ultra-radicalité pour nourrir sa confrontation contre la société maure, ce qui lui vaudra plusieurs séjours en prison, et celle de la recherche du consensus et du rassemblement autour de questions non plus communautaristes, mais d’envergure nationale, pour nourrir de nouvelles ambitions politiques.

Birame, « l’impénitent provocateur« 

Le combat premier de Birame Dah Abeid sera d’abord circonscrit dans son propre ensemble, celui de la communauté maure, où sa frange, celle des Haratines à laquelle il appartient, se sent oppressée, exploitée et oubliée dans le partage du pouvoir politique et des prébendes économiques. Les militants d’IRA commencent le combat par la revendication d’une nouvelle identité, l’identité Harratine, pour se démarquer de leurs tribus. Le tout servi par un discours jugé subversif et diviseur de l’ensemble maure.

Birame quitte SOS Esclaves, une organisation non gouvernementale qui combat l’esclavage et dans laquelle il militait. Son président, Boubacar Messaoud et les siens ne peuvent cependant être accusés de n’avoir pas servi loyalement et engagement la cause antiesclavagiste. Ils ont eu leur lot de brimades et d’emprisonnement, connue des succès et essuyé des échecs plus d’une décennie durant pour la défense de la cause, avant d’être officiellement reconnue en 2005, après la chute de Ould Taya.

Mais Birame trouvait sans doute que les moyens de lutte de SOS Esclaves étaient peu énergiques et molles à son goût. Il décide de fonder une organisation radicale au discours percutant. Le premier noyau dur est formé de quelques compagnons, de jeunes intellectuels révoltés par la situation des communautés noires, haratines et négro-africaiines, notamment Brahim Ould Ramdhane, Hamady Lehbouss, Ahmed Hamdy, Balla Touré et d’autres qui l’ont rejoint, persuadés que sans une secousse violente contre la muraille féodale, l’esclavage aura encore de beaux jours devant lui.

Une organisation ultra-radicale est née, l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA). L’objectif de ce mouvement, obliger les autorités à appliquer la feuille de route des Nations Unies et la loi 2O07-048 criminalisant l’esclavage qui venait d’être adoptée. Très vite, l’organisation prend de l’ampleur, plusieurs jeunes harratines et négro-africains, séduits par le discours rugueux et radical d’IRA s’engouffrent dans la brèche. Les discours d’IRA choquent par leur nature crue et provocatrice. Les militants traquent les cas d’esclavage, forcent la police à interpeller les suspects de pratiques esclavagistes, organisent des sit-in devant les commissariats de police pour éviter que les coupables ne soient mis en liberté in petto. SOS Esclaves et IRA exigent la révision de la loi 2007 et parviennent avec la pression internationale à faire adopter une loi plus répressive en 2015. Les peines sont doublées et la société civile peut désormais se porter partie civile.

Des dossiers commencent à défrayer la chronique. Janvier 2012, le cas d’esclavage à Aïn Farba.
En 2013, une autre affaire éclate à Atar. C’est «l’affaire Oùmoulkheiry Mint Yarba »..
La même année, c’est l’affaire Noura, 18 ans, cette fois à Boutilimit. Les militants d’IRA observeront le plus long sit-in dans l’histoire du mouvement devant la brigade de gendarmerie pour exiger la traduction en justice des présumés maîtres. Puis, sans résultat après plus de quinze jours de sit-in,  ils organisent une marche de 150 kilomètres pour rejoindre Nouakchott et exprimer leur indignation face à l’impunité.
Plusieurs autres dossiers suivront, dont celui de Yarg et son frère. Le mouvement IRA jugé subversif par les autorités sera ainsi l’organisation la plus réprimée dans l’histoire des droits de l’homme en Mauritanie. Les sit-in d’IRA se terminent toujours par des séries d’arrestations, des charges policières, de plus en plus violentes, répressives et ciblées. Cela se termine souvent aux urgences des hôpitaux,..

En 2012, IRA engage un autre combat. Idéologique cette fois. C’est l’incinération des livres du rite malékite, considérés par le mouvement comme le fondement théologique de la perpétuation de l’esclavage en Mauritanie, «base de formation des administrateurs et des magistrats » soutient-on. L’incident créé un  séisme et soulève un large débat, des marches de colère organisées, vite instrumentalisées. C’est la fin de Birame et de IRA, prédisent déjà la plupart des observateurs. Birame est arrêté et emprisonné avec quelques militants. Ils seront libérés quelques mois plus tard et le cortège triomphal de leurs admirateurs s’étire sur des kilomètres, de la prison civile de Nouakchott jusqu’à son domicile au P.K 9. Un rassemblement monstre, populaire, inédit, qui fait trembler des certitudes. La même année, Birame Dah Abeid reçoit deux prestigieux prix, le Front Line Award for Human Rights Defenders at Risk de l’ONG Irlandaise Front Line Defender et le Prix des Nations Unies pour les droits de l’Homme.

En 2014, sans parti politique qui soutient sa candidature, Birame décide de se lancer en politique et participe en indépendant à l’élection présidentielle boycottée par la Coordination de l’opposition démocratique. A la surprise générale, il rafle la deuxième place devant deux chefs de partis politiques. Aux lendemains du scrutin, Birame décide de se mettre dans la peau d’un homme politique et commence à changer de discours. Au cours d’une conférence de presse largement médiatisée, il prône la modération et l’ouverture, se dit prêt à un compromis social. Le pouvoir de Mohamed Abdel Aziz semblait plutôt préférer un Birame ultra radical qu’un Birame pacifiste.

Il est arrêté en  novembre 2014, en marge d’une caravane contre l’esclavage foncier qui avait sillonné la Vallée et à laquelle il n’avait même pas participé. Cette fois, Ould Abdel Aziz semblait vouloir en finir avec lui. Il est conduit à la prison d’Aleg, puis condamné le 15 janvier 2015 à 2 ans de prison fermes au cours d’un procès qu’il avait boycotté.

Birame, le présidentiable au discours rassembleur

Birame Dah Abeid, dans la peau du présidentiable qui se donne pour ambition de fédérer tous les Mauritaniens autour d’un projet politique, celui de l’après 2014, a enterré à quelques nuances près le Birame défenseur des droits de l’homme, celui dont le discours percutant avait longtemps catalysé les ressentiments et égratigné une Mauritanie qui ne voulait plus voir son image associée à celui du dernier «bastion négrier du monde»,. Birame ira plus loin. Il s’allie au parti  arabe Baath, Sawab,  l’ennemi numéro 1 de la communauté négro-africaine qui le rend responsable des épurations ethniques des années 89-91.

Le choix est d’autant plus dangereux que la plupart des militants d’IRA appartiennent à cette communauté dont la majeur parti l’avait rallié pour son courage, celui d’avoir porté en bandoulière leur cause, jusqu’à organiser les fameux pélerinages d’Inal, Wothié, Sory Mallé, ainsi que d’autres fausses communes dont aucun leader négro-africain n’avait osé foulé les pieds.  Mieux, Birame, aux yeux de la jeunesse négro-africaine, est celui qui a le plus défendu leur cause parmi tous les ténors de l’opposition, y compris ceux de leur propre faction.

Cette alliance entre IRA et Sawab sera ainsi utilisée à fond par les adversaires politiques de Birame Dah Abeid, notamment certains leaders Halpulaars qui voyaient d’un mauvais œil son empiètement sur ce qu’ils considèrent être leur plate-bande électorale dans la Vallée.

Certains jeunes militants négro-africains au sein de la communauté halpulaar membres d’IRA vont plus loin. Ils trouvent que la Coalition du Vivre Ensemble (CVE) savait qu’elle n’avait aucune chance pour gagner la présidentielle du 22 juin 2019 et que son seul objectif était de barrer la route à Birame Dah Abeid. Mais de l’autre côté, certains militants de la CVE qui trouvent l’accusation de ridicules trouvent que les intérêts de Birame et des leaders de la Coalition étaient d’’autant plus divergents que ces derniers ne pouvaient aucunement s’allier à un candidat soutenu par un parti  politique génocidaire, en l’occurrence le parti Sawab.

Ce qui est sûr, l’alliance IRA-Sawab, considérée par beaucoup d’observateurs comme un mariage de raison contre-nature, serait selon certains observateurs, une porte d’entrée qui allait permettre à Birame de s’ouvrir sur un électorat arabe, dont l’adhésion à son combat se résumait jusque-là à quelques individualités. A partir de là, le discours traditionnellement radical de Birame Dah Abeid va se muer en un discours politique, sorte de jeu d’équilibre où il cherchera à ménager la chèvre et le choux sans tomber toutefois dans la compromission, ni dans le déni de ses principes basés sur la lutte contre l’esclavage, les injustices sociales, l’exclusion.

Même après la proclamation des résultats controversés de l’élection présidentielle et les exactions qui les ont suivies, répressions et arrestation des militants, dont ceux d’IRA, Birame Dah Abeid, évite l’escalade et joue à l’apaisement. L’homme fougueux et impulsif des années de confrontation sur le terrain des droits de l’homme avait laissé la place à l’homme politique, calculateur et visionnaire, qui compte endosser un nouveau costume. Celui d’un futur Président de la République qui aspire à faire le consensus autour de sa personne plutôt qu’à jouer au leader d’un simple mouvement informel, fût-il l’un des plus emblématiques que la Mauritanie ait connu.

Cheikh Aïdara


« La Mauritanie D’abord », le mouvement le plus citoyen en 2019

Par la diversité et l’ampleur de ses activités durant ces dernières années, le mouvement «La Mauritanie D’abord» peut être considéré sans conteste comme l’un des plus citoyens de l’année 2019. Sous l’impulsion de sa présidente, Seyide Mint Yenge, présidente de l’ONG ASPOM, chef de fil du mouvement, plusieurs cadres activistes de la société civile se sont donnés pour mission de s’engager dans le réveil citoyen et la réflexion sur le développement économique, culturel et social de la Mauritanie.

Seyide Mint Yenge, la combattante du développement. Réunion de concertation au siège de ASPOM

Les activités menées par le mouvement citoyen « La Mauritanie D’Abord » ont porté durant ces dernières années, et en particulier au cours de l’année 2019, sur plusieurs domaines et ont abordé toutes les thématiques de développement, à travers l’organisation de plusieurs ateliers, séminaires et forums de réflexion, mais aussi à travers l’organisation d’une caravane de sensibilisation et de formation, « Caravane du développement et des droits de l’homme au Guidimagha et Hodh Charghi » qui a sillonné deux grandes régions du pays et qui compte embraser les années suivantes d’autres Wilayas. Cette campagne de formations a porté sur le maraîchage, la teinture, la transformation du plastique, la sensibilisation citoyenne, la santé, l’éducation, l’agriculture, autant d’activités qui se sont ajoutés à plusieurs initiatives humanitaires, notamment des dons de sang en collaboration avec l’Association des Jeunes Volontaires pour le Développement (AJVD) ou la campagne médicale annuelle qu’organise Dr. Ould Sneïba grâce à la capacité de mobilisation populaire du mouvement.

Session de formation au siège de ASPOM sur la couverture des élections présidentielles

« La Mauritanie D’abord » contribue également à éclairer l’opinion publique nationale et internationale, mais aussi les autorités nationales et les partenaires au développement, sur les axes de préoccupation réels des populations et les priorités sur lesquelles doivent se concentrer les interventions.  Le mouvement organise également chaque année des cérémonies de distinction au cours desquelles sont honorées les personnalités nationales qui ont marqué par leur action ou leur contribution dans l’œuvre de construction nationale et cela dans tous les domaines. La dernière cérémonie a été organisée à l’hôtel Halima de Nouakchott, en 2019.

Session de formation de masse sur les techniques de conservation

« La Mauritanie D’abord », c’est surtout une plateforme de discussion et de débat à travers les réseaux sociaux, notamment sur sa page Facebook et son groupe Whatsapp. Sur ces plateformes sont débattues, loin de la politique politicienne, les questions sociales et de développement en rapport direct avec les préoccupations des populations.

session de formation sur le devoir citoyen au siège de ASPOM

Mouvement citoyen au premier sens du terme, « La Mauritanie D’abord » a participé aussi à plusieurs campagnes de salubrité publique, à travers l’organisation périodique de campagnes «rues propres» dans divers quartiers de Nouakchott.

« La Mauritanie D’abord, c’est un travail quotidien, des efforts soutenus et ininterrompus entre activités de terrain, réflexion et contacts avec les décideurs pour changer les conditions de vie des populations » soutient Seyide Mint Yenge qui regrette toutefois l’absence d’engouement des partenaires au développement qui selon elle, accordent peu de leurs interventions à la société civile mauritanienne comparée à leurs actions dans les pays limitrophes.

Dernière campagne lancée par «La Mauritanie D’Abord » en cette fin 2019, le suivi-évaluation citoyen de chaque haut responsable du pays, pour mesurer son degré d’engagement et le taux de performance de ses réalisations dans l’œuvre de construction nationale.

Cheikh Aïdara

REPORTAGE PHOTOS

Formation en teinturerie
Séance de sensibilisation citoyenne
séance de sensibilisation sur les droits et les devoirs citoyens
Transformation de plastique en pavé. Séance de démonstration
Pavés en plastic pour dallage
Mme Seyide Mint Yenge au cours d’une émission à TV Al Wataniya sur les questions de développement


Bref aperçu sur la vie du Pr. Cheikh Saad Bouh Kamara

Le Pr. Cheikh Saad Bouh Kamara, sociologue et éminent défenseur des droits de l’homme s’est éteint lundi 30 décembre 2019 à l’âge de 75 ans. Avant sa disparition, le défunt m’avait confié, avec Bios Diallo, le soin d’une biographie complète sur sa vie. Notre dernière entrevue date d’octobre 2019, pour des compléments d’informations. Le travail reste inachevé. Cependant, grâce aux quelques éléments que le défunt nous a fournis, j’avais esquissé un résumé de cette grande anthologie qu’est la vie du Pr. Cheikh Saad Bouh Kamara, qu’Allah l’agrée parmi ses privilégié. Voici le résumé sur la vie combien riche et foisonnante de l’illustre disparu.

Pr Cheikh Saad Bouh Kamara est issu d’une famille de savants. Son père, Tourade Kamara, est le fils du grand érudit Cheikh Moussa Kamara, auteur de plusieurs ouvrages. Certains écrits de ce dernier sont encore d’une actualité étonnante. Notamment son livre sur le «Jihad » qui alimente de nos jours la réflexion.

Sa mère est aussi fille d’un grand érudit de la tribu des Idawali de Tijikja. En effet Sidi Abdoullah Ould El Hadj Brahim, c’est son nom, est auteur du Wassit, l’ouvrage de Fiqh le plus enseigné dans les universités d’Al Azhar Chérif au Caire.


Cheikh Moussa Kamara

Savant théologien du Fouta, Cheikh Moussa Kamara était un intellectuel engagé. En témoigne sa Fatwa contre l’esclavage, par laquelle il refuse tous les présents qui lui sont offerts : femmes, or et esclaves . Mais son livre le plus emblématique est celui sur le «Jihad de Cheikh Oumar Foutiyou». Objet de controverses, à son époque, il demeure un sujet passionnant de nos jours. Dans cet écrit Cheikh Moussa, qui décèdera en février 1945 à Guanguel, une localité de Matam au Sénégal, s’élève contre le meurtre de musulmans au nom du Jihad.

Le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara raconte que lorsque son père annonça la naissance prochaine de son fils à son grand-père, Cheikh Moussa Kamara, ce dernier s’acquitta de la prière prémonitoire dite Istikkara qui permet d’interroger l’avenir. C’est là qu’il suggéra de prénommer le futur enfant Cheikh Saad Bouh, du nom de son grand frère, qui lui-même portait le nom du grand Walyou de Nimjat, Cheikh Saad Bouh Ben Cheikh Mohamed Vadel. Puis, il prédit : «ton fils sera très maladif, et s’il survit à la mort il voyagera beaucoup à travers le monde, écrira des ouvrages et sera très célèbre. Mais il ne manquera pas d’ennemis, car sera rudement combattu, ce qui ne l’empêchera pas de porter la notoriété de la famille».

Cette lucidité dans la lecture des faits n’a rien de surprenant. Cheikh Moussa Kamara avait côtoyé les grands érudits de son époque, notamment Baba Ould Cheikh Sidiya des Oulad Berri et qui fit un pèlerinage, en 1930, à Nimjatt, lieu de la confrérie  khadiriya. Déjà à son époque, il avait une méthode très scientifique dans ses démarches en donnant toujours la thèse, l’antithèse et la synthèse de ses réflexions.

Cheikh Tourade Kamara, père du Pr.Cheikh Saad Bouh, décèdera en septembre 1981 à Kiffa.

La famille maternelle

La mère du Pr Cheikh Saad Bouh Kamara est Zghouma Mint Sidi Ould Sidi Abdoullah Ould El Haj Brahim, savant et théologien de la tribu des Idawali de Tijikja.

La famille de Sidi Abdoullah Ould Hadj Brahim du Tagant est bien connue pour son érudition. Cheikh Sidi Abdoullah al Alawi (1733-1818) est l’un des plus réputés savants en Mauritanie. Son rayonnement a dépassé les frontières du pays, comme l’atteste son voyage au Maroc où le Sultan de Fez lui réserva un accueil mémorable, mais aussi au Caire, alors qu’il effectuait son pèlerinage à la Mecque. Il a écrit plus de 80 livres dans divers domaines.

Naissance de Cheikh Saad Bouh Kamara

Pr Cheikh Saad Bouh Kamara est né le 30 septembre 1944 à F’Dérick (région du Tiris Zemour). Il a passé, entre 1951 et 1956, son concours d’entrée en 1ère année du collège à Rosso dans la région du Trarza au Sud du pays. Il était sous la bonne protection, entre les mains, de Boubacar Daouda Fall, célèbre instituteur qui forma une grande partie de l’élite mauritanienne, dont l’ancien président de la République, Me Mokhtar Ould Daddah. En effet, le jeune Cheikh Saad Bouh Kamara avait été confié, par son père à maître Thierno, père de Fall Thiernoqui sera le fondateur du groupe scolaire Al Baraka. Parmi ceux qui ont enseigné Cheikh Saad Bouh Kamara, on peut citer Mohamed Saleh, ancien ministre sous Mokhtar Ould Daddah. Et parmi ses promotionnaires, beaucoup de cadres dont certains sont encore en vie. On peut citer : Saleck Ould Ely Salem, Abderrahmane Ould Moine, Mohamed Lemine Ould Moine, Abderrahmane Ould Boubou de l’UTM, Moustapha Ould Cheikh Ahmedou, ancien président de l’Autorité de régulation, Abdallahi Ould Ismaël, l’ancien ministre de Taya, Moustapha Ould Abeiderrahmane, Dr Diagana Yousouf, l’historien Bâ Moussa Bathily, etc.

Un homme dans les droits de l’homme

Le 12 décembre 1984, date du coup d’Etat du colonel Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya contre le président Mohamed Khouna Ould Haïdalla en déplacement à Boujoumboura, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara était chargé de mission à la Primature, poste qu’il occupait depuis 1980 sous le gouvernement de Ould Bneïjara. Nommé Président du Conseil d’Administration de la Société Mauritanienne d’Assurance (SMAR), son limogeage de son poste de conseiller à la Primature serait consécutif à une calomnie rapportée au Premier ministre. On l’accusait d’avoir refusé un Audit, en tenant ce propos : «j’ai été nommé par décret comme conseiller à la Primature et non pour masser les pieds du Premier ministre»..


Pr Cheikh Saad Bouh Kamara soutient pour sa part un autre geste : «lorsque le Premier ministre tomba malade, j’étais le seul à l’avoir accompagné à l’aéroport pendant son évacuation en Algérie ». Mais le mal de son éviction sera fait !

Après le coup de force du commando du 16 mars 1981, mené par le commandant Kader et ses amis, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara forma avec un groupe de cadre, une coalition qui comprenait Mme Bâ dite Simone, les Pr Saleh Baber,  Dahi et Haïbetna Ould Sidi Haiba, en plus du futur doyen de la Faculté  des Lettres,Diallo et Mohamed Ould Naji de l’ENS.

En 1986, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara est accusé d’être le conseiller des Forces de Libération Africaine de Mauritanie (FLAM). Accusations qu’il dément formellement.

Entre 1989 et 1991, création de l’Association Mauritanienne des Droits Humaines (AMDH) avec à sa tête Feu Diagana Mamadou Samba. Dans la foulée, le gouvernement créa la Ligue Mauritanienne des Droits Humains (LMDH), pour saper les activités de ce mouvement d’indépendants qui cherchaient à dénoncer les dérives du régime. C’est alors que les ennuis commencent pour le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara et ses amis. Le régime les accuse de préparer un coup d’Etat. En janvier 1992, avec la première mission conjointe en Mauritanie, menée par Anti Slavery, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’ONG Agir Ensemble, les membres de l’AMDH, dont le Pr.Cheikh Saad Bouh Kamara seront arrêtés par la Police Politique.

En juin 1993, suite à la Conférence mondiale sur les droits humains organisée par l’ONU à Vienne en Autruche, Hamdy Ould Mouknass est arrêté l’année suivante en 1994, en même temps que le Pr.Cheikh Saad Bouh Kamara et Diabira Maaroufa. Les défenseurs des droits de l’homme lancent alors l’escalade et c’est la fameuse signature des «50» qui exigent la lumière sur le Passif humanitaire qui aurait coûté la vie à plus de 500 négro-africains, dont la plupart des militaires exécutés extrajudiciairement entre 1990 et 1991, sans compter les déportations, les meurtres massifs et leur cohorte de fosses communes.

Ces revendications étaient nées alors qu’un climat de démocratie pluraliste soufflait sur le pays qui, à l’instar de beaucoup de pays d’Afrique, subissait les contres-coups du Discours de La Baule tenu par le président français François Mitterrand. La Mauritanie se dota alors, en 1991, d’une nouvelle constitution qui consacrait les libertés publiques et individuelles, la liberté d’opinion, la liberté des partis politiques, des syndicats et associations.

En 1997, les activistes des droits de l’homme multiplièrent leurs actions ainsi que leurs activités pour soutenir les victimes du Passif humanitaire, pour informer l’opinion publique nationale et internationale, à travers les rapports réguliers adressés à la FIDH.
En mars-avril 1997, la Commission africaine des droits de l’homme organise un forum à Nouakchott, alors que les membres de l’AMDH étaient pourchassés par la police qui empêcha ses délégués d’accéder à la salle de l’Assemblée Nationale où se déroulaient les assises.
L’idée de créer un Forum national des droits humains (FONADH), qui regroupe l’ensemble des organisations mauritaniennes actives commença alors à faire son chemin. Le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara sera brièvement interpellé lors de la visite, la même année 1997, du président Jacques Chirac à Nouakchott, visite au cours de laquelle, le Pr Kamara avait été reçu par le conseiller du président français en charge des droits de l’homme à l’ambassade de France.

En janvier 1998, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara est de nouveau arrêté. Cette fois, il est envoyé en prison avec Boubacar Messaoud de SOS Esclaves, les avocats Me FatimataMBaye et Me Brahim Ould Ebetty. L’évènement malheureux s’est produit au moment du passage du Rallye Paris-Dakar. Deux autres activistes, Jemal Ould Yessa du mouvement Conscience et Résistance et le Pr.AbdelWedoud Ould Cheikh, furent activement recherchés mais la police ne parviendra pas à mettre la main sur eux. A l’origine, de cette chasse aux sorcières, la diffusion d’un film sur l’esclavage.

Il convient de noter que le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara était membre depuis 1993 du Conseil d’Administration du Fonds de contribution volontaire de lutte contre l’esclavage créé en 1991-1992 pour venir en aide aux victimes de l’esclavage. Les membres du Fonds se réunissaient une fois par an à Genève. Quelques 10.000 dollars U.S furent distribués à l’époque entre 1993 et 2007. Le Pr.Cheikh Saad Bouh Kamara fut même contraint une fois de voyager avec un passeport de l’ONU, le sien ayant été confisqué pour l’empêcher de se rendre à Genève. Une fois sur place, il butera sur l’ambassadeur mauritanien auprès de l’ONU, Ould Mohamed Saleh qui ira jusqu’à soutenir que le Pr.Kamara n’est nullement un défenseur des droits de l’homme.

Le consultant itinérant

Après plusieurs décennies de combat pour les droits de l’homme, dans son pays et sur tous les fronts et tribunes internationales, Pr Cheikh Saad Bouh Kamara se consacre au Consulting international et poursuit une riche carrière d’expert. Il faut dire que la consultation n’a jamais été éloignée de son parcours, même quand il était plongé dans la défense des droits de l’homme. Sa première expérience dans le domaine remonte à 1980 avec la FAO dans la lutte contre la désertification. Puis, le PNUD  et l’UNESCO sollicitèrent ses services dans plusieurs autres secteurs sociaux et de développement.

Pr Cheikh Saad Bouh Kamara se rendra trois fois à Madagascar où il forme des consultants sur place. En 1986-1987, lorsque le gouvernement mauritanien, demande à la FAO de lui envoyer un consultant, ce dernier lui répond qu’il y a sur place un expert consultant, en la personne de Cheikh Saad Bouh Kamara à Nouakchott. Autant dire un pied de nez !

Ce n’est qu’à partir de 1998 que le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara va se stabiliser relativement en Mauritanie, après des années de voyages à travers le monde, pris dans le tourbillon de l’expertise internationale.

En janvier 2001, il est nommé Premier Vice-Président de la FIDH et anime dans ce cadre, au cours de la même année, le Premier Forum Social Africain dont il devient membre lors de la rencontre de Bamako du 5 au 9 janvier 2002.

Après le coup d’état d’août 2005, contre le régime de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara se retrouve en novembre de la même année membre de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Il est alors désigné président de la Commission communication et éducation citoyenne.

Deux ans plus tard, en 2007, le Pr Cheikh Saad Bouh Kamara qui était professeur de Sociologie à l’Université de Nouakchott, est admis à faire valoir ses droits à la retraite à l’âge de 65 ans.

Ce qui va lui permettre de s’adonner à ses passions. Les voyages, notamment. Il continue à sillonner le Continent africain où il anime sans arrêts des conférences.

En 2009, il est nommé président de la CENI après les fameux Accords de Dakar qui avaient mis fin à la crise politique née du coup d’Etat contre le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Aballahi.En marge de ses multiples actions, le Pr Kamara publie sans arrêts. En 1986, il est co-auteur de l’ouvrage «Le Sahel face au futur » édité par l’OCDE ; en 1990, il publie aux éditions FAO «Espace pastoral mauritanien ». En 1988, suite à uneconsultation offerte par l’ambassade de France, il est de nouveau co-auteur de «Urbanisation de la Mauritanie ». Enfin, son dernier ouvrage, somme de ses réflexions, «Afrique Espérance » paru aux éditions L’Harmattan en 2011.

Le Pr. Cheikh Saad Kamara s’est éteint le lundi 30 décembre 2019 à Nouakchott. Qu’    Allah lui accorde son Paradis céleste et l’honore de la compagnie du Prophète (PSL), de ses compagnons, des Véridiques et des Hommes Justes.

Cheikh Aïdara